La honte

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Erwan était replié sur lui-même, les pans de son gilet aussi fermement serrés sur son corps que possible. Il n'arrivait plus à pleurer. Les larmes ne coulaient simplement plus. Il tremblait, à l'intérieur. Il avait envie de disparaître. Il avait mal, là où le stylo était passé avec dureté. Il sentait un peu trop bien les marques. Il y avait écrit pd sur le bas de son cou, près de l'une de ses clavicules. PD. C'était tristement vrai, il n'était qu'un "PD". Son corps ne bandait que devant d'autres hommes, lui offrant honte et ressentiment sans qu'il n'y puisse rien. Il avait tellement honte de son orientation. S'il avait pu la changer d'un coup de baguette magique, il l'aurait fait. Faute de mieux, il rêvait de devenir impuissant. Sur l'un de ses flancs, une autre marque avait été faites, plus polie peut-être, mais tout aussi juste et honteuse à ses yeux. "GAY". Qu'ajouter à cela ? Ils avaient raisons.

Sous son nombril, un autre mot s'incurvait, à peine plus long que les précédents. "PUTE". Il n'avait jamais vendu son corps. Il ne s'était jamais prostitué, mais il y a de nombreuses façons d'être amené à se faire traiter de pute. Peut-être que ce qu'il avait fait était digne d'une telle appellation. Ils avaient sans doute raisons pour ça aussi. Sur l'une de ses hanches, les coups de marqueur laisseraient sans doute des bleus légers là où avait été tracé le mot "POISON". Il était ce qu'il était. Il le savait bien, il avait beau tenté de changer tout ça, il n'y arrivait pas. Les autres souffraient ou mourraient à son contact. Il n'était rien d'autre que du poison. Un poison fourbe et violent. Un poison sournois et douloureux. Il s'empoisonnait lui-même l'existence. Ce mot était terrible parce qu'il lui rappelait autant ce qu'il avait fait que ce qu'il ferait encore. La malédiction sur patte qu'il était frapperait sans doute de nouveau. Pourquoi pas ? Peut-être l'avait-il même déjà fait sans le savoir.

À un moment, ils avaient tiré sur son pantalon pour le dénuder davantage. Il avait hurlé. Son cri avait été étouffé par une main sur sa bouche. Il s'était à moitié étranglé. Ils ne l'avaient pas entièrement déshabillé. Ils n'avaient pas envie de le voir à poil. Personne n'en avait envie. Ils s'étaient contentés de noter "SALOPE" sur son bas ventre, ce n'était qu'après qu'ils s'étaient laissés aller à enfoncer leurs genoux contre son entre-jambe. Ils l'avaient battu un long moment. Avec un peu de chance, elle ne fonctionnerait plus jamais. Avec un peu de chance, elle ne se chargerait plus jamais de sang, elle ne gonflerait plus, elle ne prendrait plus d'ampleur ... Avec un peu de chance, il ne banderait plus jamais. Il l'espérait.

Salope ... Ils avaient raisons. Il n'était qu'une salope, un poison, une pute, un jeune homme gay, un pd. Par-dessus tout ça, un dernier mot trônait, imposant et massif. Ils l'avaient retracé de nombreuses fois tant et si bien que tout autour de la marque, sa peau était rouge vif. Les coups de poings et de pieds étaient venus l'enfoncer dans sa chaire, comme si ça ne coulait pas déjà de partout dans son être, comme si ce n'était pas déjà ce qu'il était au plus profond. Un meurtrier.

Un long frisson glacé le parcourut et il se mit à sourire comme un idiot. La solitude était là, tendre amie, douce amie. Elle était indulgente, elle le laissait oublier ce qu'il était sans se plaindre. Ce n'était pas juste pour autant. En fermant les yeux, il se prit à se dire qu'il aurait été mieux en prison qu'ici. Il aurait pu essayer de payer pour ce qu'il avait fait. Il n'y avait pas eu de procès, alors pas de prison non plus et puis ... Il payait ici.

Ramassé sur lui-même derrière un buisson, il attendait que l'internat soit ouvert. Il voulait aller sous la douche, au moins pour se réchauffer. Il avait tellement froid. Est-ce qu'il pourrait faire partir les marques ? Est-ce qu'il en avait le droit ? Il ne le méritait pas. Il méritait tout au contraire de les graver au cutter dans sa chaire pour que jamais elles ne disparaissent. Il méritait de les enfoncer dans son corps jusqu'à ce que plus jamais il ne parvienne à les écarter de son esprit. Tous ces mots, il se les jetait à la tête. Il essayait de les encaisser tout en sachant un peu trop comment se blesser. Auto-mutilation de l'esprit. Il se découpait à vif.

La porte s'ouvrit. Est-ce qu'il pouvait passer devant le surveillant ? Sans doute, même si l'adulte se rendait compte qu'il y avait un problème, lui aussi il devait penser à Terrance. Tout le monde pensait à Terrance. Il le méritait bien. Pâle comme la mort qu'il incarnait sans doute, Erwan sortit de sa cachette et passa devant le surveillant. Ce dernier eut la gentillesse de ne pas le pousser contre l'embrasure de la porte pour voir comment il rebondirait.

Erwan monta les escaliers en s'aidant de la rampe. Son corps n'était que douleur. En arrivant finalement dans la chambre, il put se réfugier sous la douche. Il laissa l'eau le réchauffer progressivement. Ça ne fonctionnait pas vraiment, puisque le froid était à l'intérieur. Il venait de ses os et se répandait jusqu'à sa peau. Il s'assit au fond de la douche et laissa les gouttes frapper son dos. Ça pinçait. Ça lui faisait mal. Il se sentait bien. Un peu hors de son corps. Il n'était pas tout à fait là. Il était juste à côté, en train de se regarder, de s'observer et de se juger. Il était ridicule, tout maigre, avec un petit sexe flasque entre ses cuisses et des ecchymoses en cours d'apparitions un peu de partout. Son cou en était cerclé. Il avait mal à la gorge. Est-ce qu'il pourrait parler demain ? Peu importe.

Si la honte pouvait tuer, il serait mort depuis longtemps. Peut-être même que Terrance aurait pu lui survivre. Sans doute. Mais la honte n'étant pas mortelle, il se relèverait en espérant ne plus jamais faire la moindre victime. Il ne voulait pas être le meurtrier de l'histoire. Il voulait un autre rôle. À ce moment-là, le seul rêve d'Erwan était de devenir quelqu'un d'autre. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant