Les cauchemars

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Ça commençait toujours de la même manière. Il avançait le long de l'allée. La tête rentrée dans les épaules. Il avait froid. Les autres le regardaient et ils voyaient. C'était l'évidence même : ils voyaient aussi bien que si c'était écrit sur son front. Lui, il avait honte. Honte au point d'en vomir.

Il savait que l'ombre rodait quelque part. Il faisait tout pour l'éviter. La solitude, éclatante, l'entourée de ses voiles. Elle était sa protection, son amie, sa compagne. Elle était aussi douce que dure avec lui. Soudain déchirée, brisée, la voilà qui s'éloignait, alors qu'une main saisissait son avant bras. Il était tiré dans un coin, entre deux murs. Une main relevait son menton, le forçant à échanger un regard avec ce jeune homme. Un regard des plus courts, car déjà, il fermait les yeux. Il refusait de lui offrir le moindre contact. Une bouche, fiévreuse, se posait sur la sienne et son hoquet de terreur était comme étouffé. Il tremblait. Il tentait de le repousser et pour cette affront, une gifle le balayait dans un "clac" sonore.

L'ombre se pencha sur lui, tant et si bien qu'il se retrouva à sentir sa joue contre la sienne et la texture lui donna envie de régurgiter tout le contenu de son estomac. Il n'y avait rien dedans. Les hauts le cœur le prenaient, nouvel affront. Nouveau coup. La douleur lui perçait le ventre. La douleur. Il tenta de s'accrocher à cette douleur. Il connaissait tout ça. Il savait bien que ce n'était pas réel. Il savait qu'il ne s'agissait que d'un cauchemar.

- Tu es à moi.

La voix et son timbre bas le fit frémir, il tenta de se débattre. Il voulait s'en aller. Il voulait fuir. Les mains étaient sur lui. Les lèvres l'embrassaient. Il ne voulait pas. Il chercha à les repousser, plusieurs fois, s'attirant de nouveaux coups.

- Tu es à moi, Erwan ! Dis-le ! Dis que tu m'appartiens.

Un seul mot franchit le pas de sa gorge. Un petit mot. Un mot définitif. Un mot qui n'attendait aucune contradiction. Un mot qui n'offrait pas d'échappatoires à la douleur non plus. Il allait la subir. Il allait souffrir pour avoir osé le dire. Ce mot qu'il avait prononcé à l'époque et qu'il re-prononçait dans chacun de ses cauchemars, c'était "jamais". A peine était-il jeté, éclatant de vérité, que la douleur s'invitait dans ce bal de sensation. Il avait mal de partout. Son ventre. Son ventre lui faisait mal. Il tenta une nouvelle fois de se raccrocher à la douleur. Cette douleur, elle ne venait pas du rêve. Elle venait d'ailleurs. Elle venait de l'extérieur. Elle venait de cette après-midi là.

A l'ombre d'un bâtiment, il se faufilait, essayant d'éviter le plus gros des élèves. Il avait été surpris de le voir là. Il ne s'y attendait pas vraiment. Les coups étaient habituels, alors il avait fait de son mieux pour encaisser même si son corps frêle n'y parvenait pas vraiment. Il y avait eu un éclat étrange. Un éclat inhabituel. Un éclat étonnant. Puis, le couteau s'était enfoncé dans son ventre. Il avait eu envie de hurler lorsque la lame avait reculé, quittant sa plaie. Le sang avait jailli. Il eut un hoquet d'incompréhension alors que l'autre partait en courant, comme horrifié. Erwan tomba par terre. Il tremblait. Qu'est-ce qu'il était censé faire ? Où est-ce qu'il devait aller ? L'infirmerie ? Non, on l'enverrait à l'hôpital. Ils préviendraient ses parents. Ils ... Non. Il se colla un peu plus contre le mur.

L'ombre était toujours autour de lui. Elle lui prit le visage et ses lèvres vinrent rejoindre les siennes. Une langue se glissa contre sa bouche. Il se débattit. La douleur pulsait dans tous les sens. Non, ça n'avait pas le moindre sens. Ça ne s'était pas passé comme ça. Non ! Il hurla "Non !" et le cri déchira tout. Il déchira l'ombre en même temps que les derniers voiles du sommeil.

Il se figea, il y avait des mains sur lui. Il n'était pas sorti de son cauchemar. Les mains étaient sur lui. Elles le tenaient fermement.

- Ouvre-les yeux.

Il n'obéissait pas et attendait que la douleur se mette à fuser. Elle allait venir. Elle allait s'inviter. Elle allait ... Rien, elle ne venait pas et les doigts sur ses bras se firent caressant.

- Tout va bien. Tu faisais un cauchemar. Tout va bien.

Erwan ouvrit les yeux, les mains, c'était les mains de sa mère. Il était dans la chambre de l'hôpital. Il était en sécurité. Il chercha Raphaël du regard, mais il n'était pas là. Tant mieux. Il aurait eu honte sinon. Les larmes se mirent à rouler sur ses joues et il s'effondra en sanglot. Il ne voulait plus dormir. Il ne voulait plus jamais dormir. C'était trop dur. Perdu entre les bras maternel, les sanglots se firent plus long, plus sec, plus nombreux.

- Oh bébé. Tu ne risques plus rien. Tout va bien. On va arrêter celui qui t'a fait ça. Tu as juste à nous dire son nom.

Il ne le dirait pas. Sa mère le savait déjà, en posant la question, mais quel genre de personne aurait-elle été si elle n'essayait même pas ? Elle travaillait toute la journée, elle était très rarement là. La nuit, elle venait le veiller. Elle avait peur pour lui. Son fils, son enfant, son bébé avait failli mourir. Et il se taisait. Pourquoi ? Est-ce qu'on l'avait menacé ? Si oui, de quoi ? Qu'est-ce qui pouvait lui faire tellement peur dans l'idée de parler ?

Elle ne pouvait pas se douter qu'Erwan n'avait pas peur. Il pouvait même se faire planter, cent fois ou mille fois. S'il venait à en mourir, il serait juste soulagé. Non, Erwan avait honte. S'il n'était pas ça, ça ne serait pas arrivé. S'il n'était pas gay, rien de tout ça ne se serait produit. L'inquiétude de ses parents, le sang, la colère de Raphaël, tout ça, absolument tout ça, c'était à cause de lui. Dénoncer qui ? Pourquoi ? Le problème ne venait pas de celui qui maniait le couteau. Erwan en était persuadé. Seulement, sa mère ne voudrait pas en entendre parler. Son père pas davantage. Alors, le silence n'était pas plus mal. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant