Le silence

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Durant plusieurs jours, ils n'échangèrent pas le moindre mot. C'était une bonne chose. Laisser passer le week-end aurait pu aider, mais ce ne fut pas vraiment le cas. La rage qui brûlait le ventre de Raphaël fut ravivée plusieurs fois.

Etre gay ce n'était pas un problème. Éprouver du désir pour d'autres hommes ce n'était pas un problème. Il ne se sentait ni moins viril, ni moins fort, ni moins quoique ce soit. Il n'avait pas envie de se glisser entre les hanches larges d'une jolie demoiselle et encore moins envie de lui faire un gosse un jour. Il n'avait pas envie de glisser ses doigts sur sa poitrine ronde et d'embrasser ses lèvres pulpeuses quelles soient sans artifices, couvertes de gloss ou de rouges à lèvres. À chaque fois qu'il décidait de se donner du plaisir et qu'il glissait sa main vers son entre jambe, il imaginait un mec. Des hanches étroites, un dos fin, un torse plat, une glotte marquée sur laquelle il poserait ses lèvres avant de remonter sur une mâchoire bien dessinée. Il se caressait, en s'imaginant tout ce qu'il pourrait faire avec son bel amant. Une fois que son plaisir s'était répandu, il était heureux que ses pensées restent secrètes. Tout le monde est un peu pervers après tout, non ?

Non, tout ça ne lui posait pas le moindre problème. Les connards homophobes étaient un problème, mais il parvenait à relativiser. Au final, la haine, il y en avait de partout. Si jamais il se faisait coincer dans une ruelle, il pourrait toujours jouer des poings. Peut-être qu'ils gagneraient ... mais une chose était certaine Raphaël ne perdrait pas pour autant. Certains d'entre eux finiraient à l'hosto ...

Le problème c'était que ce soit des gens qu'il fréquentait régulièrement qui soient homophobes. Le problème c'était de voir cette forme toute particulière d'incompréhension qui se changeait en haine petit à petit sans qu'il ne puisse rien y faire. Les frapper ne rentrait pas dans ses possibilités. Casser la gueule de son propre père, ce n'était pas ce qu'il avait envie de faire de ses week-end. Alors, il serrait la mâchoire et se taisait lorsqu'il ne parvenait pas à répondre d'une façon lasse et détachée.

Il se taisait quand il avait envie de lui dire : "T'es qu'une immonde merde, un déchet."

Il se taisait alors que son père parlait et il savait, à chaque mot qui étaient prononcés, que c'était lui le plus fort dans cette histoire, que c'était lui qui avait les épaules les plus larges, que c'était lui qui était le plus capable d'encaisser ... Son père était juste incapable de s'en rendre compte. Il voyait de la faiblesse là où se dressait la force.

Le silence était parfois son allié. Ce n'était pourtant pas toujours le cas. Face à Erwan, il avait envie de le briser et de lui arracher des aveux complets. Il avait envie de mettre des mots dans sa bouche. Il voulait qu'Erwan admette qu'il était un monstre d'égoïsme, incapable de s'assumer et que ses peurs avaient détruits l'homme qu'il aimait. Il voulait qu'Erwan pleure et s'excuse. Il voulait le voir se parer de regret. Mais Erwan disait juste qu'il n'avait pas fait exprès et il niait ... Enfin, quand il parlait. Le silence était maintenant bien installé entre eux, c'est tout juste s'ils communiquaient encore par quelques regards.

Erwan continuait à dessiner. À peine les planches terminées, Raphaël les lui prenait. Il lui aurait arraché les viscères qu'il aurait pu faire une tête similaire. Ça semblait douloureux. Tant mieux, se disait Raphaël. Quitte à ce qu'il reste là, à vivre loin des conséquences de ses actes, autant qu'il souffre. Ce n'était que justice.

Ce n'était vraiment rien qui ne soit pas mérité et pourtant, il détestait cette situation. Il détestait passer ses nuits à observer le plafond, hanté par les souvenirs d'un mort alors qu'Erwan vivait très bien ce décès tragique. Il détestait penser à la manière dont ce mec avait réussi à s'éloigner de sa culpabilité. Il détestait le voir triste, recroqueviller sur son propre nombril, sur sa propre souffrance sans s'apercevoir de ce qu'il avait causé.

Le silence devenait de plus en plus épais et pourtant, un jour, il se brisa net. La journée avait commencé comme toutes les autres. Raphaël avait mal dormi et il n'était pas bien réveillé. Il n'était vraiment pas d'humeur. Erwan n'avait pas dormi davantage, mais cela faisait si longtemps qu'il ne se sentait ni mieux ni plus mal que d'habitude. Son estomac capricieux était plus difficile à gérer que son absence de sommeil. Ils avaient passé la journée chacun de leurs côtés et elles avaient été tristement similaires à la veille, à l'avant-veille et aux jours encore avant.

Erwan devait les rejoindre, dans l'après-midi, à l'atelier pour une nouvelle session commune. C'était inscrit dans leurs agendas. Raphaël n'avait pas envie d'aller le chercher comme la fois précédente, mais il se doutait bien que cette petite vipère aurait du mal à se glisser jusqu'ici s'il n'y allait pas. Il n'avait pourtant pas envie d'être généreux, alors il ne bougea pas. Plus de dix minutes après la sonnerie, il comprit qu'Erwan ne viendrait pas s'ils n'allaient pas le chercher. Il en conclut simplement que ce mec était un emmerdeur en plus du reste.

Il demanda à Sacha s'il voulait bien se dévouer. Sacha, c'était celui qui avait l'air de lui faire le plus peur. C'était une façon comme une autre de le mettre en difficulté et de le faire souffrir. Quand son ami se mit en mouvement, Raphaël se fit la réflexion que pour une crevette comme Erwan, il y avait de quoi avoir peur. C'était peut-être pour ça qu'il ne se montra pas, mais Sacha revient bredouille. Ils passèrent une partie du temps imparti à le chercher avant d'abandonner. Il n'était nulle part.

L'idée finit de ravager l'estomac de Raphaël. Quoi ? Erwan n'avait tellement pas de courage qu'en plus de ne pas s'avouer la vérité à lui-même, il allait les faire payer ? C'était injuste, mais ce ne serait pas la première fois qu'Erwan frappait dans le dos de quelqu'un. Depuis le tout premier instant, il savait que c'était une mauvaise idée de l'avoir prit sur le projet et s'ils avaient eu un autre choix, il aurait refusé tout net.

Durant le repas du soir, il ne repéra pas le garçon. Il ne semblait pas être où que ce soit dans la cour non plus. Quand il monta dans la chambre, il s'attendait à le voir, mais Erwan n'était pas là. Ce n'est que tardivement, tout juste avant le couvre-feu qu'il apparut dans l'embrasement de la porte. Sans prendre une seconde pour réfléchir, Raphaël lâcha :

- Putain mais t'étais où ?!

Le silence venait de vaciller. C'était à Erwan de répondre pour finir de le fendre. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant