Les mots

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Il n'y avait pas de fleurs dans la chambre, pas le moindre bouquet. Est-ce qu'il aurait dû emmener quelques choses ? Qu'est-ce qu'il se faisait habituellement dans ce genre de cas ? Ce n'était sans doute pas à lui de s'inquiéter de cela, mais l'apparence austère de la chambre ... Ça avait un côté de dérangeant. Raphaël passa sa main dans ses cheveux et s'immobilisa. Il n'avait rien à foutre là. Même si Erwan lui avait dit "merci", il devait plus s'attendre à ce qu'il vienne finir le travail qu'autre chose. Brisant le silence, il posa une question.

- Qui a fait ça ?

Il n'avait pas dit "bonjour" ou "salut". Quelle importance ? Il était là, Erwan le voyait, il le savait. Ils n'étaient pas potes. Il n'avait pas dit "ça va ?" parce que la question aurait été idiote, parce que c'était sans importance, parce qu'Erwan aurait menti en répandant "oui" ou parce qu'il aurait eu l'air débile. Faute de mieux, il était allé droit au but, mais Erwan ne bougeait pas. Il ne comptait pas lui répondre.

- Tu veux crever ?
- ... non., répondit-il dans un murmure.
- Tu veux te faire découper ? Planter ? Sois pas con. Qui a fait ça ?

Le visage blanc d'Erwan se fendit doucement dans un sourire délicat. Ses doigts étaient toujours serrés sur sa couverture. Ce sourire plus que le silence lui apprit ce qu'il devait savoir : Erwan ne parlerait pas. Qu'est-ce qu'il aurait pu dire ? Erwan aurait pu demander "qu'est-ce que tu fais là ?" mais il n'avait pas envie d'apprendre qu'il n'avait pas eu le choix. Le silence offrait une drôle d'illusion, celle qu'il avait pu venir pour prendre de ses nouvelles. C'était son premier visiteur et ce serait sans doute le seul. Enfin, le seul de son âge. Policiers, psychologues, enseignants. Ils étaient venus avec leurs inquiétudes hypocrites et leurs questions moralisatrices. Sur ce point-là, Raphaël n'était pas mieux.

- Ton père a dit que t'étais déjà venu à l'hôpital.

Erwan avait envie de lui dire qu'il n'avait que ce qu'il méritait. Ils le savaient tous les deux. Mais il n'avait pas envie que Raphaël s'énerve, alors à la place, il se contenta de lui poser une question anodine.

- Tu t'en sors en maths ?
- Je suis pas débile.
- Je sais.
- Alors, tu ne vas pas répondre hein ? Tu vas te taire !

Raphaël faisait les cent pas à présent. Il semblait nerveux, presque colérique et quand il tournait le regard vers lui, Erwan frémissait. Ce regard noir d'encre, il pouvait être terrifiant, mais à cet instant là, cette colère le rassurait. Il avait l'air inquiet pour lui. C'était un sentiment très doux. Le blessé se sentait de plus en plus fatigué et dans son ventre, la douleur pulsait tranquillement, comme pour lui rappeler sa présence. Le sommeil allait finir par le cueillir.

- Est-ce que tu as dénoncé Terrance ?
- Je t'ai déjà répondu. Je suis fatigué. Est-ce que ça t'embête si je dors un instant ?

Sans répondre, Raphaël s'assit. Il avait l'air déplacé sur la petite chaise en bois où il avait pris place. Vraiment, c'était étrange de le voir là. C'est en observant ses traits crispés, la tête posée sur l'oreiller que doucement Erwan se laissa glisser dans le sommeil. Tout allait bien. Il était en sécurité. Son père n'était pas loin, là-bas dans le couloir. Raphaël était là et dormir près de lui était devenu étrangement habituel.

Raphaël resta immobile, à l'observer dormir. Il ne comprenait plus rien. Tout ce qui lui avait semblé être logique, tout ce qui lui était toujours apparu comme étant l'évidence même ... Tout ça s'écroulait. Et si Erwan n'avait jamais dénoncé Terrance, qu'avait-il pu se passer à l'époque ? Erwan avait les lèvres entrouvertes et ses mèches blondes reposaient sur son front, lui donnant l'air d'un ange. Quelques temps avant, Raphaël aurait repoussé cette idée, se rappelant que l'habit ne fait pas le moine et que la plus belle des roses peut avoir des épines acérées. Mais peut-être qu'Erwan n'avait pas feint une fragilité inexistante. Peut-être était-il innocent ? Se souvenant de ce qu'il lui avait dit, Raphaël se retrouva à se demander sur Terrance et lui était bel et bien en couple ou pas ? Terrance avait affirmé que oui, peu de temps avant de mourir. Pourquoi si ce n'était pas vrai ?

La porte s'ouvrit sur le père de famille qui les observa avant de lui sourire. C'était dur pour lui. Délicat. Il avait cru un moment que tout ça, c'était derrière eux. Il avait cru que l'horreur qui s'était abattu sur eux était loin, derrière eux. Il avait cru qu'ils l'avaient dépassé et qu'il n'aurait plus à la subir. Dans un murmure il demanda :

- A-t-il dit ... qui lui as fait ça ?
- Non. Il refuse de répondre.
- Oui ... je suppose que le contraire aurait été surprenant. Mike t'attend.

Raphaël se leva et partit, sachant pertinemment qu'il allait prendre sa place. Il allait s'asseoir juste là et l'observer, observer l'ange blessé qui s'étalait entre les draps, abandonnés, faible et blessé. Raphaël passa la porte, Mike l'attendrait là, juste de l'autre côté, dans le couloir. Il allait poser des questions. Ils allaient tous lui poser des questions et il ne pourrait rien répondre. La seule chose dont il avait envie, c'était de parler de la texture du sang sous ses doigts et de l'impression nette qu'il possédait. L'impression que le corps refroidissant entre ses bras étaient à deux doigts de la mort. Erwan avait eu l'air de le choisir. Il s'était abandonné à la mort devant lui. Comme s'il voulait qu'il l'accompagne jusqu'au seuil du Styx.

Il ne s'attendait pas que Mike lui donne un morceau de papier. Dessus, il y avait le numéro de téléphone d'Erwan et celui de son père. Au cas où il ait des informations ou l'envie de les appeler. Raphaël ne savait simplement pas quoi en penser.

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant