Erwan ne dormait pas. Il l'avait écouté ouvrir la porte et la refermer derrière lui, plutôt délicatement à vrai dire. Il l'avait entendu, avancer dans le noir et pester à voix étouffée lorsqu'il s'était cogné contre un bureau ou peut-être une chaise. Erwan n'avait pas bougé. Il était devenu trop immobile pour réellement faire croire au sommeil. C'est alors qu'il avait discerné les bruits d'étoffes contre étoffes, d'étoffes contre peau alors que Raphaël se déshabillait. Pourquoi le faisait-il là ? Pourquoi pas dans la salle de bain ? Est-ce qu'il ne savait pas ? Il ne pouvait pas ne pas savoir puisque tout le monde savait ! Erwan se fit l'impression d'être un horrible pervers et dû lutter pour rester immobile afin de ne pas briser la supercherie. Le bruit de la couette qui se souleva et du corps qui s'enfonça dans le lit le rassura presque. Il avait eu peur que ... Mais ce n'était pas possible après tout. Pas avec Raphaël. Ça n'arriverait pas avec lui parce qu'il y avait de la haine dans ses yeux dès qu'il le regardait. Malgré les pensées logiques qui cherchaient à le rassurer, Erwan tremblait.
Il patienta encore jusqu'à ce que la respiration de Raphaël se fasse plus lente. Au bout de combien de temps s'endormit-il ? Peu importe. De peur de le réveiller, de peur d'attirer son regard sur lui, Erwan n'osa même pas toucher à son téléphone pour voir l'heure qu'il était. C'est tout juste s'il entrouvrit les yeux sur ce plafond qu'il connaissait par cœur. Il ne fit que rester là, étendu, à frissonner. Demain serait un autre jour. Enfin non ... Ce serait pareil, le poids de la veille en plus, l'épuisement rendrait ses nerfs à vifs et il faudrait apprendre à faire avec puisque ça ne s'arrêterait pas. Ce ne serait que le prémisse d'une autre journée ... Qui serait le prémisse de la suivante.
Comment allait-il réussir à tenir toute l'année comme ça ? Il eut l'impression de ne plus parvenir à respirer. Sa poitrine lui faisait mal. Ses poumons ne répondaient plus et la crise d'angoisse montait en direction de sa gorge. Il devait se calmer. Immédiatement. Il entrouvrit la bouche et força sur ses poumons pour obtenir un peu d'air tout en s'engueulant mentalement.
Il devait réfléchir et trouver une solution. Une solution. Une solution simple. Facile. Évidente ... Seul le silence, engluant tout son esprit, arriva en réponse. Est-ce qu'il pouvait fuir tout ça ? Il pourrait demander à ses parents de le changer de lycée peut-être ? Sa branche n'était pas disponible dans beaucoup d'endroits -et la plupart étaient inaccessibles que ce soit à cause des tarifs ou du talent demandé- mais il pourrait changer de voie. Tant pis. C'était sa passion, mais peu importe. Ça ne valait pas le coup ... Pas à ce point-là ... Il n'avait même plus envie de dessiner, il prenait ses stylos machinalement et coulait, sur le papier, ses émotions plus par habitude que par souhait.
Fuir ... Tout recommencer ailleurs, une seconde, il y crut et l'instant d'après la réalité le rattrapa dans toute sa brutalité. Ce n'était pas les autres le problème. Ce n'était pas Raphaël le soucis. Si ça se passait mal, c'était juste parce qu'il était Erwan. Recommencer à zéro et mentir à tout le monde pour leur faire croire qu'il était quelqu'un d'autre fonctionnerait peut-être un temps. Puis une personne -peu importe qui- découvrirait la vérité, il la dirait -parce que c'est ainsi que cela se fait- et son monde exploserait une nouvelle fois. Crac. Une fissure. Pouf. Tout tomberait par terre. Et il n'aurait plus qu'à ramasser les débris de ses mains une fois encore et les brandir en faisant semblant que ça tenait en place. Fuir ne fonctionnerait qu'un temps et le laisserait, à chaque fois, un peu plus misérable.
Améliorer les choses ici était tout bonnement impossible. Il aurait beau essayer, il était qui il était. C'était peut-être ça, la solution. Cesser d'exister. Se laisser aller au néant, au vide absolu et oublier toute souffrance. Juste une éternité de silence. Plus de ricanements, plus de bruits de fonds, plus de railleries, ... plus rien. Il pourrait enfin y trouver le calme qui l'avait déserté depuis des mois. Il resta, couché dans son lit, bercé par la respiration lente d'un Raphaël en plein sommeil, à imaginer le bonheur que ce serait juste de faire une pause. Cesser d'exister.
C'était égoïste ? C'était lâche ? C'était irrespectueux ? C'était fou ? C'était cruel pour ses proches ? C'était ... Peu importe l'argument culpabilisant. Il se sentait juste tellement fatigué de vivre. Qu'on le laisse fermer les yeux et dormir. Un instant. Une seconde. Une minute. Une heure. Un jour. Un mois. Un trimestre. Une année. Un siècle. Un millénaire. Une éternité. Peu importe. Qu'on le laisse fermer les yeux et se reposer. Qu'on lui permette d'oublier. Qu'il ait une chance de souffler. Par pitié.
Le réveil émit sa première note et immédiatement, Erwan le coupa. Déjà le matin. Il n'avait donc pas dormi de la nuit. Raphaël avait remué dans son sommeil, mais il dormait encore. Il ne fallait pas le réveiller. Ou peut-être que si ? Erwan se redressa lentement, trop conscient que quel que soit son choix, il ferait le mauvais. Avant toute chose, il pouvait se préparer. Il attrapa ses affaires et fila à la douche. Les gestes mécaniques, il n'était qu'un automate répétant la valse du jour, les mouvements rendus lâches et maladroits par un épuisement qui allait devenir chronique. Quand il sortit, il savait bien qu'il risquait de croiser Raphaël. Il savait bien que les chances de passer, d'attraper son sac -il aurait dû l'emmener dans la salle de bain- et de s'enfuir était bien maigre. Il était pourtant prêt à partir pour rentrer dans la nuit noire et attendre dans le froid jusqu'à ce que le réfectoire ouvre enfin ses portes. Il était prêt à beaucoup de choses, juste pour se préserver un peu. Il ouvrit tout doucement la porte de la salle de bain, déjà habillé, mais les cheveux toujours humides. Juste là, se tenait Raphaël, debout, le regard dur.
- Allez bouge.
Lui lâcha-t-il pour qu'il déguerpisse plus vite. Cela eut l'effet escompté. Erwan remonta la chambre d'un pas vif, glissa son pyjama sous son oreiller, attrapa son sac et disparu dans le couloir avant que Raphaël n'ait franchi, mollement, la porte de la salle de bain. Lui, le matin, il n'était pas rapide. Généralement le surveillant devait le chasser des locaux à la fermeture du dortoir pour ne pas le boucler dedans comme cela avait pu arriver quelques fois en début d'année. Chaque matin, Raphaël restait embrumé par le sommeil un très long moment.
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...