Bonus : schizophrénie

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Il y avait un certain nombre de choses auxquelles Zach ne croyait pas.

Il ne croyait plus au père noël depuis longtemps. Difficile d'y croire quand le soir de Noël, le sapin n'était pas dressé, que sa mère était bourrée et que son père était absent, encore. Au petit matin, pas de cadeau, pas de consoles ou de livres, pas de jouets ou quoique ce soit d'autres. Pourtant, ils avaient une cheminée. Zach était tout petit quand il avait dû trancher : était-il méchant pour que le père-noël l'évite ? A moins qu'il ait loupé son adresse ? Dans les appartements miteux d'à-côté, les cris de joies résonnaient. En tendant l'oreille, il pouvait presque entendre le bruit du papier cadeau que l'on déchire. Soit il n'existait pas pour le père-noël, soit le père n'existait pas pour lui. L'année suivante, il décida que puisque lui, il était bel et bien là, c'était le gros bonhomme habillé de rouge et blanc qui devait être un fantasme ! Après tout, il avait été très sage, même quand sa maman avait été emmené par les ambulanciers et qu'il avait dû attendre des heures avant que son papa ne vienne le chercher.

Il ne croyait plus non plus dans une petite créature qui serait venue ramasser les dents cachées sous l'oreiller et qui aurait déposée un petit trésor à la place. Il ne croyait pas davantage dans un lapin pondant des œufs en chocolat. Il ne croyait plus dans le marchand de sable qui l'oubliait systématiquement les soirs où papa hurlait sur maman. Il ne croyait plus en marraine la bonne fée, après avoir prié mille fois devant un ciel étoilé pour que papa ne revienne pas. Il ne croyait plus aux monstres sous le lit, il y avait longtemps qu'il avait appris que les monstres étaient bien réels.

Zach avait grandi en délaissant tous les rêves d'enfants et en se concentrant sur une seule et unique chose. Quelque chose de tangible. Parfois, les gens, peu importe qui, peuvent décider de faire des bonnes actions. Entre son sommier et son matelas, il avait planqué quelques comics. Il adorait feuilleter leurs pages pour découvrir des histories incroyables où le plus fou n'était pas de recevoir des super-pouvoirs, mais de décider de ce qu'ils allaient en faire. Peu importe la force de départ, ils avaient tous ce choix, cette chance étrange : le pouvoir de faire les choses biens.

Zach avait travaillé à ça. Avoir une force juste assez suffisante pour arrêter cet homme qu'il nommait « papa ». Il avait fait de son mieux pour obtenir son diplôme et le jour où le poing de son père s'était levé une nouvelle fois, il s'était interposé. Comme deux chiens fous ils s'étaient battus. Ce jour-là, Zach avait essayé d'être aussi fort que sa mère, tenant tête malgré la douleur, avec une puissance physique qu'elle ne possédait malheureusement pas. Quand son père repartit en clopinant, les insultants tous les deux, Zach avait fini par comprendre qu'il ne croyait plus dans ce concept étrange et abstrait que l'on appelait famille.

Ensuite, il avait vivoté, allant de boulot en boulot pour se nourrir et payer le petit appartement qu'il occupait toujours avec sa mère. Il y avait longtemps qu'elle ne parvenait plus à ramener de l'argent à la maison, alors il faisait de son mieux. Il essayait de nier ce qu'il avait si bien saisi. Non vraiment, il aurait pu assurer que sa mère et lui formaient une famille. Mais le cœur n'y était plus. Cette femme pour qui il éprouvait tant de tendresse, il la considérait à présent comme une amie proche et dépendante. Maman ? Non. Il n'y arrivait plus.

Quand on lui avait proposé d'acheter l'imprimerie avec ses meilleurs amis, il avait eu envie de dire oui, mais il n'avait pas les moyens financiers. Tout son salaire partait dans le loyer, la nourriture et malheureusement l'alcool que sa mère consommait de plus en plus vite. Il avait beau planqué le fric et faire les courses à sa place, elle trouvait toujours un moyen. Il avait aussi fait passer le mot dans le quartier pour qu'on ne lui vende plus rien et il avait tenté de l'emmener voir un médecin : en vain. Il n'avait pas un centime. Il faisait de son mieux pour ne pas s'endetter.

C'était Erwan qui avait fini par trouver une solution. L'imprimerie verserait un salaire fixe à Zach, un salaire supérieur à son salaire actuel et lorsqu'ils feraient les totaux de fins d'années pour se dispatcher les gains, une partie -au moins- de ceux de Zach viendraient payer sa part et les rembourser. Si l'imprimerie faisait faillite, tant pis, avaient-ils assuré. Ses amis voulaient qu'il fasse cette aventure avec eux et Zach avait accepté. Il ne regrettait pas. L'imprimerie fonctionnait très bien et ils avaient de plus en plus de commandes destinées à leurs deux artistes. Ils étaient en train de gagner une renommée surprenante.

Régulièrement, des clients venaient pour voir les produits finis ou pour rencontrer Erwan ou Nathaniel. C'était eux qui géraient le plus souvent les clients. Ce jour-là, il attendait la visite des Murmur, le groupe de métal pour qui ils travaillaient en ce moment. C'était sans doute lui qui les verrait le premier, mais pour une fois ça ne l'inquiétait pas. Peu importe son allure face à eux. Ce n'était pas comme pour leur dernière cliente en date. Une dame distinguée qui était arrivée perchée sur de hauts talons, une pochette à la main et qui avait eu l'air choqué en distinguant les tâches d'encre sur sa peau et encore plus en voyant celles qui couraient dans sa peau.

Un coup sourd contre la porte de l'atelier lui annonça leur arrivée. Il y alla d'un pas nonchalant et découvrit en avançant plusieurs hommes aux épaules larges et aux cheveux longs. Zach retient un ricanement, voilà qui n'allait pas le changer, se dit-il, une seconde avant de l'apercevoir.

Elle était là. Au milieu des armoires à glaces qui composaient le groupe. Une petite brune aux cheveux raides, coupés au-dessus de l'épaule. Les yeux bas et l'air totalement renfermé, elle ne l'avait sans doute même pas remarqué. Le chanteur du groupe fit un pas en avant, la masquant à sa vue, mais c'était déjà trop tard. Cela c'était déjà produit. Quelque chose dans lequel Zach ne croyait absolument pas venait de se réaliser. Un coup de foudre. Aussitôt, il le chassa de ses pensées : ce genre de chose ne pouvait pas arriver, pas plus qu'un monsieur bedonnant ne se glissait dans les cheminées pour laisser des cadeaux ! Il se présenta et très professionnellement, les fit passer dans le bureau où ils pourraient attendre Erwan et Raphaël. Ils ne devraient plus tarder.

- Vous savez où ils en sont de l'animation ?
- Oui, j'ai vu ça hier. Ça a pas mal avancé. Ils ont prévu de vous le montrer. J'espère que ça vous plaira. Vous avez amené une amie pour qu'elle puisse vous aider ?
- Hum ? Ah, non. C'est vrai que vous ne l'avez pas rencontré. C'est Hélia. Ma petite sœur.

Hélia ne remua pas davantage, n'accordant pas le moindre regard à l'imprimeur. Elle n'avait pas envie d'être là. Son frère, Sten, était le chanteur du groupe. Il aimait qu'elle sorte de son petit chez elle et qu'elle voit le monde extérieur. Il aimait la conduire de partout. Autant elle parvenait à apprécier les concerts. Elle se mettait près des enceintes et laisser les vibrations l'envahir. Elle voulait finir sourde, elle voulait ne plus rien entendre. Le silence ou tellement de son qu'elle ne parvenait plus à les entendre. L'un ou l'autre, qu'importe. Elle trouvait que le reste des sorties étaient profondément ennuyeuses.

Elle observa doucement le bureau autour d'elle et s'accrocha presque aussi vite au bras de Nine, le guitariste, qui était la personne connue la plus proche. Il lui murmura quelques mots à l'oreille, lui promettant que l'attente ne serait pas longue.

Quand la porte s'ouvrit dans son dos, elle sursauta et leva le regard, ce fut à ce moment-là qu'elle croisa les yeux de l'imprimeur. Des traits durs. Un air mal aimable et là-derrière un regard doux et sincère. Un frisson la parcourut. Le regard s'éternisa comme s'ils se demandaient l'un l'autre si ce qu'ils avaient ressenti était réel. Elle ne pouvait pas. Elle n'avait pas le droit. Elle déglutit et se referma tout aussi vite. Les contacts sociaux, la vie extérieure, la vie réelle, ce n'était pas pour elle.

Elle n'avait pas le droit à tout ça, des contes de fées, elle ne connaissait qu'une seule et unique chose après tout. Elle savait ce que ressentait la princesse enfermée dans sa tour. Seulement, son donjon à elle n'était pas faites de pierres, de briques, de bétons ou de mortiers. Sa tour ne pouvait pas être gravi de l'extérieur. C'était comme un gouffre dans lequel elle avait plongé. Hélia passa une main fatiguée sur son visage et resta contre Nine.

Sa passivité eut sans doute l'air étrange, qu'importe, l'instant suivant ils repartaient sans qu'elle n'ait seulement compris comme le rendez-vous c'était déroulé. Dans la voiture de Sten, alors qu'il se garait devant chez elle, elle lui demanda :

- Je pourrais retourner à l'imprimerie ?

S'il eut l'air surpris, il ne le montra pas. Il accepta simplement. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant