Zach se mâchonnait l'intérieur de la joue doucement. Il avait envie de fumer. Non, ce n'était pas tout à fait ça. Fumer, c'était un exutoire. En réalité, il avait envie de parler. Il avait envie de gueuler, de gueuler fort et de chopper Erwan. Il avait envie de le secouer contre un mur jusqu'à ce qu'il couine. En soit, ce ne serait pas très difficile à faire. Erwan était juste là, tout près de Raphaël. Trop près. A moins de deux mètres de ses propres mains. Erwan était maigre. L'attraper et le soulever serait un jeu d'enfant. Le garçon ne pouvait pas planquer ses joues creuses, mais à force de manger avec lui, ils avaient également remarqué le reste. Erwan était vraiment maigre. Il pourrait l'empoigner sans trop d'élan. Même le mur était là, prêt à l'emploi.
Zach sortit une clope et la tapota d'un geste savant. Fumer était une meilleure option. Pas parce qu'il était non violent et qu'il n'avait vraiment pas envie de faire du mal à Erwan. Non, ça, ce n'était pas son genre. Le problème, c'était que Raphaël ne comprendrait pas et si écraser Erwan était simple, faire face aux poings de son pote l'était moins. Erwan avait fait ça. Il avait réussi à s'insinuer assez pour que Raphaël risque de le défendre s'ils venaient à s'en prendre à lui. Peut-être même que Sacha s'interposerait. Nathaniel ne le ferait pas de son corps, il n'était pas suicidaire, mais il dirait des mots et il lui ferait assurément plus mal qu'un uppercut bien placé. Une seule conclusion : ses potes étaient cons et Erwan était drôlement doué.
Après tout, c'était ce qu'il avait fait avec Terrance à l'époque. Il s'était rapproché de lui. Il l'avait amadoué. Il lui avait fait croire qu'ils étaient proches. Il y était allé en douceur, quasiment avec de la tendresse. Il avait laissé Terrance tomber amoureux, comme si ce n'était qu'une douce chute amortie par un petit cœur tendre. Ce n'était pas une petite chute. Terrance n'avait pas fini avec le cœur égratigné. Il était mort ! C'était un accident d'une violence rare. Zach ne pouvait pas s'empêcher d'y repenser à chaque fois qu'Erwan frôlait son pote. Il était là, à laisser la fumée envahir ses poumons comme un idiot pendant qu'un carambolage terrifiant se déroulait sous ses yeux. Pire, il était impuissant.
Il ne pouvait pas être en paix avec ça. Il ne se sentait pas bien. A côté de lui, Nathaniel devait s'en être rendu compte, cet idiot était drôlement observateur après tout. Suffisamment conscient de son tourment pour venir lui en parler.
- Ca va Zach ?, demanda-t-il doucement.
- Non. Tu vois ce qu'on est en train de laisser faire ? J'm'en fous qu'il soit gay ... mais putain.
- Si ça te va pas, parles en à Raph, mais garde tes poings pour toi., le mit-il en garde.
- C'est toi le parleur., cracha Zach en réponse.Nathaniel se contenta de hausser les épaules. Il ne savait pas pourquoi Raphaël permettait que ça aille aussi loin. Quand Raph avait entendu Erwan parlait d'homophobie, il était presque devenu fou de rage. Ce n'était pas vraiment étrange parce qu'après tout, l'homophobie il la vivait jusque chez lui. Pour qu'il ait décidé de baisser les barrières et de laisser Erwan l'approcher, le garçon avait dû sacrément bien joué. Ce n'était pas des plus rassurants. Est-ce que c'était vraiment à lui de lui demander des comptes ? Non, mais il comprenait l'angoisse de Zach. Même s'ils ne disaient rien. Même s'ils faisaient comme si de rien n'était. Ils étaient angoissés.
De son côté, il discutait sans mal avec Erwan. Il était finalement assez marrant et plutôt intéressant comme type, mais ils n'allaient pas finir dans le même lit ... alors forcément les risques étaient moindre. Erwan aurait bien du mal à l'accuser de harcèlement ou d'un autre truc dans le genre. Au bout d'un court moment de réflexion, il haussa des épaules. Raphaël était un grand garçon et il était prévenu. C'était à lui de faire ses choix à présent.
Zach garda sa rancœur bien au chaud dans son ventre, tout en sachant qu'elle ne s'arrêterait pas de grandir. Il ne savait pas s'il devait l'abattre salement sur Erwan et son jeu des plus retords ou plutôt sur son pote qui avait l'air de faire preuve d'une naïveté navrante. Peu importe ce qu'Erwan avait bien pu lui baver au creux de l'oreille. Il devait rester méfiant. C'était simple à comprendre. C'était évident. Alors, pourquoi Raphaël n'y parvenait pas ?
Il n'y a aucun doute que le jour où cette rancœur serait sortie naturellement, elle aurait été dévastatrice. Peut-être pour le visage d'ange d'Erwan. Peut-être pour l'amitié que lui portait Raphaël. Ou peut-être encore pour son propre ego, après coup, quand il se serait rendu compte de la gravité de ses actes, parce qu'il aurait cogné fort et longtemps. C'était donc une chance que Nathaniel ait décidé de préparer le terrain avec Raphaël. Il lui avait demandé de venir lui en parler. Sa relation avec Erwan, ce n'était pas rien. Ils pensaient toujours tous à Terrance et ils méritaient vraiment des explications. Après tout, c'était eux aussi qui jouaient les gardes du corps et qui prenaient des risques. Ridicules les risques, d'accord, mais quand même.
C'était ainsi que Raphaël avait profité qu'Erwan soit en cours pour leur parler. Ils étaient dans un coin de l'atelier. Tous posé comme des personnes sérieuses qui allaient tenir une réunion de crise. C'était un peu idiot, mais Nathaniel avait l'air content, alors ils avaient tenté de ne pas rire. Raphaël n'avait pas dit grand-chose au final et pourtant il avait parlé. Il avait dit :
- Erwan est débile. J'sais pas pourquoi il est con à ce point là, mais il l'est. Il se tait. Ce qu'il s'est passé avec Terrance, il en a pas parlé. Il a rien dénoncé. Et c'était pas ce que vous croyez. Il a juste rien dit. Maintenant, j'sais pas si quelqu'un pourrait le croire. Quand Terrance ... est mort. Il était à l'hosto en sale état à cause de Terrance. Sérieusement ... C'est juste pas ce que vous croyez.
- Et qu'est-ce qui te dit qu'il te raconte la vérité ?, demanda froidement Zaph.Raphaël hésita. Il n'avait pas envie de leur raconter les cauchemars, les longues sessions de vomissements au-dessus de la cuvette et la terreur qui brillait alors dans les yeux de ce mec qu'il appréciait de plus en plus. Sans doute même trop. Il n'avait pas envie de leur raconter les conséquences de ce qu'Erwan avait vécu. Il n'avait pas envie de les inviter comme ça dans leur intimité. Il n'avait pas envie de leur parler de ces parents morts d'angoisses et de l'incompréhension de partout. Il ne savait pas comment leur expliquer ce puzzle à trou qui avait lentement prit sens pour lui. Comment leur transmettre une telle chose ? Raphaël soupira.
- Je comprend qu't'es peur pour mon cul, mais ça va. Il va pas me dénoncer pour quoique ce soit et ça se passera bien.
- Donc, je dois te croire parce que ?, tenta Zach, circonspect.
- Parce que je te le dis, mec. T'as le choix. Tu crois une rumeur qui ne se base sur rien. Tu crois Terrance, ton super grand pote que t'as du croiser deux fois dans ta vie. Ou tu me crois moi. A toi de voir.C'était comme un test de confiance. Nathaniel grimaça, ce n'était vraiment pas le résultat attendu. S'il y avait une personne qui devait être testé, c'était Erwan. Entre eux, y'avait rien à dire. Il tentait encore de voir comment rattraper le truc, quand Sacha s'avança sur sa chaise. Il posa bruyamment ses coudes sur la table avec son meilleur air de bouledogue mal famé, pour demander à Raphaël :
- T'as des trucs contre la crevette ?
- Hein ?
- Si jamais il joue au con, t'as des cartouches contre lui ?
- Je te rappelle que je sais où il habite et je suis pas ... Putain, je suis pas une porcelaine. Vous me prenez pour quoi sérieusement ?
- Ok, ça me va. Ah. Et crèves pas.Aussi simplement que ça, Sacha avait conclu la conversation. Il était retourné à son téléphone et plus personne n'ajouta le moindre mot. Néanmoins, cette discussion permit à Raphaël de comprendre plusieurs choses. La réputation d'Erwan -toute infondée soit-elle, il en était persuadé- allait les poursuivre. Les gens allaient le prendre pour un idiot incapable de voir le danger. Il émit un soupir. Ce n'était pas quelque chose qu'il voulait, mais ça avait permit de mettre une seconde chose, plus intéressante, en évidence. Ses potes tenaient à lui et étaient prêts à défendre son honneur comme s'il n'était qu'une putain de princesse. L'idée prêtait à rire, mais bizarrement, ça lui fit chaud au cœur de savoir qu'ils seraient là pour lui.
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La poésie de l'encre
RomantizmIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...