La pluie frappait le sol en rythme. C'était presque assourdissant. Ils étaient tous là -ou presque- agglutinés sous le seul préau fumeur, à faire tourner les cigarettes humides entre leurs doigts, entre deux bouffées vivifiantes. Ils sautillaient un peu sur place, à cause du froid. Leurs épaules étaient hautes et leurs têtes rentraient dans ce cocon de chaleur. Erwan était loin de tout ça, derrière une vitre. Il évitait de sortir s'il n'y était pas forcé. Il restait dans les salles. S'il en était chassé par un professeur, il partait errer dans les couloirs vides. Il restait dans des angles sombres et silencieux. Ce qu'il aimait faire pendant ces moments-là ? Observer les autres et s'imaginer leur vie. S'imaginer qu'ils pourraient être amis. Ça n'arriverait pas, bien sûr. Ce n'était qu'une forme étrange de fantasme. Un rêve où il serait dehors à trembler avec eux.
La sonnerie le fit sursauter. Il était déjà dans sa salle, alors il n'avait pas à bouger. À la place, il les observa tirer plus vivement sur leur cigarette. Peut-être devrait-il se mettre à fumer, se demanda-t-il un moment. Il pourrait demander du feu à quelqu'un. Non, ça, il n'oserait jamais. Il pourrait peut-être attendre que quelqu'un le lui demande. Ce serait plus simple. Moins risqué. Il tenta de s'imaginer, un briquet dans la main et un paquet de clope déformant sa poche à devoir trouver un coin où s'installer pour fumer sans se faire bousculer. Mauvaise idée. Et puis, comment réagirait sa mère ? Son père râlerait sans doute, plus pour la forme qu'autre chose, vaguement soulagé à l'idée que son fils ne devienne finalement un homme, comme si fumer signifiait quoique ce soit. Mais pour sa mère, ce serait un échec de plus. Il ne pouvait pas lui faire ça.
Tout le monde était rentré dans les couloirs, d'ailleurs, il les entendait, ravageant le bâtiment de leurs bruits. Bientôt, ils envahiraient la salle et par la même occasion, son espace. Il rêvait autant de leurs contacts qu'il les craignait. À l'extérieur, il restait quelques retardataires. Erwan les observerait jusqu'à ce que son professeur ne rentre et ne toussote, cherchant à attirer leur attention. Dehors, il ne restait plus grand monde. Il y avait Sacha, un imbécile heureux qui souriait comme un fou dès qu'il voyait sa petite amie. Benêt mais dangereux. Il possédait une humeur des plus changeantes. Cette dernière était accompagnée d'épaules bien assez larges pour l'aplatir contre un mur si l'envie lui en prenait. À côté, riant avec lui, c'était Zach, bon dernier, redoublant année sur année sans que ça ne semble le déranger. Des rumeurs disaient qu'il trafiquait à l'occasion, mais Erwan était loin d'être au courant de ça. Après tout, qui aurait pu lui en parler ? Et enfin, derrière eux, Raphaël. Un type flippant au regard froid de tueur et plusieurs piercings au visage. C'était le genre de type qu'il cherchait à éviter plus que tout. Il l'avait déjà entendu tenir des propos terrifiants. Ça ne lui était heureusement pas adressé, mais c'était très largement suffisant pour le faire fuir durablement. Erwan n'était pas quelqu'un de courageux, ou plutôt, il n'était pas quelqu'un de suicidaire. Il n'allait pas affronter l'adversité pour voir à quel point ça fait mal. Il n'avait jamais eu besoin de ça pour souffrir.
Dans la classe, la porte s'ouvrit en claquant, les élèves inondèrent les bureaux, chacun prenant place derrière l'ordinateur de son choix. Erwan resta silencieux à observer l'extérieur. Là-bas, les derniers rentraient, houspillés par un pion visiblement mécontent -quoique habitué- de les trouver là. Le professeur toussota, comme pour s'accorder parfaitement avec le reste. C'était un tour bien rodé. Une journée classique parmi des centaines d'autres journées, strictement identiques. Erwan s'installa sagement à son poste, ouvrit sa session et lança son logiciel. Il avait bien avancé déjà. Son projet était presque finalisé, ce qui lui permettrait de peaufiner des détails, d'apporter des améliorations et simplement de vérifier que tout fonctionnait parfaitement. Il écouta distraitement le professeur qui leur rappelait les grandes lignes du travail à effectuer. Comme s'ils pouvaient l'avoir oublié. Dès qu'il se tut, Erwan se remit au travail.
A côté de lui, une élève, Sarah, chuchotait la dernière rumeur du jour. Erwan tendit l'oreille, se demandant si ce serait assez important pour le rendre invisible. Ce serait peut-être agréable, une vraie solitude. Une solitude où il ne serait pas leur centre d'intérêt.
Sarah parlait d'un élève, transféré en cours d'année. C'était rare et pire, elle disait que ce serait un pensionnaire. Elle, elle ne savait sans doute pas, mais aux oreilles d'Erwan, c'était loin d'être anodin. Les seules places restantes dans le pensionnat, soit trois places, étaient dans sa chambre. Est-ce que l'administration allait revenir sur sa décision et laisser le nouveau s'installer avec lui ? Un instant, il se dit qu'ils le mettraient peut-être dehors à la place ... Mais ça ferait un scandale dont l'école ne devait pas vouloir. Il entendit la rumeur qui se propageait dans la classe. S'il l'entendait, c'est qu'elle était déjà de partout.
Il passa le reste du cours à ruminer l'information, à essayer d'entendre tout ce qui lui permettrait d'en apprendre plus sur le nouveau. En quelle classe serait-il ? Pas dans la leur. Peut-être à l'imprimerie ? Peut-être dans l'une des classes généralistes du bâtiment principal ? Un bruit disait que c'était un sportif déjà bien classé pour son âge. Les sportifs ... Ce n'était pas forcément la meilleure nouvelle qui soit. Un sportif dans la chambre. Dans sa chambre. Il déglutit. Le professeur arriva dans son dos et lâcha quelques mots encourageants à propos de son travail. Il avait toujours d'excellentes notes et ce dans toutes les matières. Les professeurs l'appréciaient pour ça.
Quand la sonnerie retentit, il réunit ses affaires en un éclair et s'éclipsa tout aussi vite. Il remonta les couloirs alors qu'ils se remplissaient d'élèves et de bruits. Pour éviter le plus gros de la foule, il avançait vite et rasait les murs. Malgré tout, c'était une journée similaire à celles des derniers mois. La suivante le fut aussi et le sur-lendemain promettait la même routine. Au milieu de tout ça, ses pensées restaient tournées vers le nouvel élève qui était censé arriver d'un jour à l'autre disait-on. Il était tellement concentré sur la source de son angoisse qu'il n'entendait même plus les chuchotements, les mots d'insultes, pas plus qu'il ne sentait réellement les bousculades légères. Ce garçon ... S'il était dans sa chambre, il pourrait lui parler avant que les rumeurs n'empêchent tout. Il pourrait lui dire ... Quoi ? Erwan n'arrêtait pas de remuer le problème dans sa tête. Il cherchait et tout ce qui lui venait à l'esprit c'était un "J'aimerai être ton ami." qui sonnait d'une manière bien pathétique.
Il n'y arriverait pas. Il n'y arrivait jamais.
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La poésie de l'encre
RomantizmIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...