Rebecca n'avait pas dormi. Comment aurait-elle pu ? En se levant ce matin-là, avant même que l'aube ne pointe le bout de son nez, elle avait l'air d'avoir pris dix ans de plus. Elle était pourtant jeune. Elle avait la vie devant elle. Tout en s'aspergeant d'eau glacée dans l'espoir que ses paupières dégonflent légèrement, elle se promit d'aller au bout de cette journée. Elle aurait pu rester sous sa couette à pleurer. Personne ne le lui aurait reproché, mais elle ne le ferait pas.
Chaque jour depuis ce moment fatidique, elle s'était levée avec la même colère, ce n'était pas aujourd'hui que ça cesserait. Il était hors de question qu'elle le laisse vivre cette journée comme toutes les autres, comme si de rien n'était. Elle n'accepterait jamais de le faire.
Elle passa sa main dans ses cheveux, ils étaient courts. L'an passé, un peu après cette date, elle les avait fait couper. Ce n'était pas désagréable. Elle cercla ses yeux de noir, enfila ses vêtements les plus sombres et s'observa dans le miroir. Elle avait maigri. Ses poignets étaient d'une finesse qui lui parut étranges. Elle n'avait plus d'appétit ces derniers temps et lui en avait-il ? Arrivait-il encore à manger ? À dormir ? Est-ce que Terrance revenait le hanter dans ses cauchemars ou était-il l'une de ces personnes qui ne voient même pas l'horreur derrière leurs actes ? Connaissait-il seulement la culpabilité ? Peu importe. Elle lui ferait payer.
Elle ne mangea pas ce matin-là. Elle prit le bus dans le plus grand des silences. En arrivant au lycée, devant la grande porte Lydie et Mathilde étaient déjà là. Lydie l'a pris dans ses bras, l'étreinte lui fit du bien, mais elle se dégagea avant que les larmes ne viennent raviner ses joues. La journée serait rude. Elle remarqua néanmoins qu'elle n'était pas la seule à avoir l'air aussi triste. Terrance avait beaucoup d'amis.
Terrance était du genre adorable. Il riait. Il faisait des farces. Il chahutait souvent avec les autres garçons. Terrance était beau aussi, ce qui complétait un tableau déjà rempli de qualité. Il avait d'adorables fossettes et son regard pétillait de joie. Brun aux yeux bleus, musclé, grand, ... Il avait tout d'un prince charmant et il le savait sans doute, mais il n'en jouait pas. Rebecca était tombée amoureuse au premier regard, plusieurs années plus tôt. Il ne l'avait jamais déçu. Il avait été l'homme parfait jusqu'à ce que Erwan ne vienne tout détruire.
Erwan ... Elle avança dans le lycée avec une seule idée en tête : Erwan. Elle n'était pas la seule, quelques coups d'œil le lui assurèrent. La petite peste qui avait l'habitude de se faufiler, de se glisser dans le moindre recoin, de disparaître à l'angle d'un mur, ... aujourd'hui, cette salope n'y arriverait pas. Ils allaient le traquer. Ils mirent plusieurs heures avant de réussir, mais il fut rabattu en plein centre de la grande cour. Ce n'était pas vraiment une cour, mais plus un immense lieu de passage entre les bâtiments. C'était bien trop grand pour être surveillé et les pions ne venaient de toute façon par ici que pour changer de bâtiment.
Elle le vit qui avançait d'un pas vif. Il avait l'air paniqué, il tournait la tête de tous les côtés, il cherchait une solution. Pendant une seconde, il crut l'avoir trouvé. Raphaël et ses potes étaient là à leur emplacement habituel. Ils observaient stoïquement ce qu'il se passait. Erwan remonta jusqu'à eux, rapidement, guidé par une terreur profonde. Il y avait beaucoup de monde qui semblait le chercher. Il se sentait coincé. Il voulait fuir. Il avait besoin d'une porte de sortie. Le groupe de Raphaël pourrait peut-être le protéger. Ils pourraient peut-être faire fuir tous ces prédateurs qui s'approchaient.
Il se retrouva, devant leurs visages si froids qu'il peinait à les reconnaître. Il eut envie de crier : "au secours", mais à la place, il tenta une approche banale. Un peu comme s'ils étaient de vraies connaissances. Un peu comme si parler ensemble était une chose habituelle. Ce n'était pourtant pas le cas.
- Salut, pour le projet ... je me demandais si ...
Si quoi ? Il devait trouver une excuse valable, c'était important et c'était maintenant ... Il prit une inspiration plus rapide et continua.
- Vous avez pensé au packaging ?
Les garçons s'entre-regardèrent une seconde. Sa tentative de trouver un endroit qui lui prête asile était claire et nette. Est-ce qu'ils voulaient de ce rôle-là ? Non et encore moins aujourd'hui. Raphaël avait même envie de le gifler pour avoir osé tenter une telle chose. Il était temps qu'il assume.
- Est-ce que tu veux vraiment nous donner envie de participer à ce qui va suivre ?, demanda Nathaniel d'une voix très douce.
Erwan fit non de la tête, les yeux pleins de larmes alors qu'un jeune homme l'attrapait par le bras et le tirait jusqu'au centre de l'attroupement. Sa poigne était dure. C'était Justin. Justin était un peu dégoûté de le toucher. Ce qu'il se passa ensuite ? Peu importe. Ils auraient pu faire pire. Ils auraient peut-être dû, se dirait Rebecca le lendemain. L'important, c'était qu'Erwan avait eu mal. L'important, c'était qu'il avait pleuré et supplié. L'important c'était qu'il avait eu peur.
Elle avait pu lui demander s'il se serait arrêté, lui, si sa victime s'était mise à le supplier. Il ne l'aurait pas fait. Erwan avait tenté de promettre qu'il ne recommencerait plus, il avait juré, il avait répété, encore et encore qu'il n'avait pas fait exprès. C'était faux, ils savaient bien que c'était faux. Rebecca savait tout de ce qu'il avait pu se passer.
Erwan tremblait. Ses habits à moitié déchirés auraient du mal à cacher les marques qu'ils avaient tracées sur son corps au feutre indélébile. Pute, salope, gay, pd, poison ... Il y avait beaucoup de mots, mais l'un d'entre eux était plus grand que les autres, il courrait sur toute la largeur de son ventre. Pour le noter, ils l'avaient tous saisit. Certains tenaient ses mains, d'autres ses jambes, un bras était enroulé autour de son cou. Erwan avait supplié, ils ne l'avaient pas écouté. Il s'étranglait, mais ça ne les préoccupaient pas. Son corps aurait pu se déchirer entre leurs doigts qu'ils ne se seraient pas arrêtés. Ils avaient besoin de faire jaillir la vérité. Ils avaient besoin de la voir, clairement, se détacher sur sa peau pâle. Ils avaient marqué le plus important, ce mot dont tout le monde devait se souvenir ... Ce n'était qu'un petit mot qui révélait le destin tragique de Terrance et la cause de toutes ces larmes. Ce mot, c'était : "Meurtrier".
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La poésie de l'encre
RomantikIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...