Nathaniel se laissa aller contre le mur, doucement, il glissa jusqu'au sol, les yeux à demi-clos. Il était fatigué. Vraiment fatigué. Ses mains tremblaient, pour éviter de le voir, il les avait plaquées contre ses genoux. Les signes extérieurs étaient rares. Son problème, invisible. De son point de vue, c'était beaucoup mieux ainsi.
Autour de lui, les machines ronronnaient bruyamment. La grande offset tournait depuis un moment maintenant. Zach était un peu plus loin en train de déplacer les piles de documents jusqu'à la machine qui les plierait avant de pouvoir les relier. Sacha était en train de vérifier l'impression du moment. C'était un livre issu d'une petite maison d'édition. Il l'avait feuilleté. Il s'agissait d'un bestiaire de monstres venant tout droit de vieux mythes. De quoi peupler les rêves d'enfant de cauchemars.
Son cauchemar à lui était beaucoup plus vif, plus évident, plus présent et continu. Il n'avait pas eu la chance d'Erwan qui après avoir sombré avait pu remonter la pente aux bras de Raphaël. Il n'avait pas eu la chance de Sacha qui avait vécu la pire des ruptures dont il avait mis longtemps à se remettre et qui a présent avait à ses côtés une petite dame adorable qui venait les voir régulièrement. Il n'avait pas eu la chance de Zach qui avait finalement réussi sa scolarité après bien des difficultés et qui avait pu faire parti de ce projet merveilleux malgré son manque de fond financier. Il n'avait pas eu la chance de Raphaël qui avait trouvé quelqu'un pour l'aider, pour l'accompagner, pour le soutenir. Non, lui, sa condamnation était à vie. Il ne s'en sortirait pas et il était fatigué de sourire.
- He ! Ca va pas ?
Nathaniel leva la main pour dire à Zach de ne pas s'inquiéter. Il détestait que ses amis s'angoissent pour lui. Néanmoins, Zach continua à s'approcher pour vérifier ce qu'il se passait. Il l'appela doucement.
- Nath ?
- Ca va.
- Qu'est-ce que tu fais par terre mon pote ?Zach s'était accroupi face à lui, faisant attention à ne pas le toucher pour autant. L'expérience lui avait appris que des gestes qui pouvaient lui sembler anodin pouvaient tout au contraire poser de réelle difficulté à son ami. Il ne savait jamais quoi faire dans ce genre de cas. Faute de mieux, il s'installa à côté de Nathaniel et attendit qu'il lui dise ce qu'il voulait. Sacha s'arrêta un moment devant eux et l'interrogea du regard, mais Zach lui fit signe que tout allait bien. Ce n'était pas vrai, mais il allait gérer.
- J'en ai marre.
Nathaniel soupira. Il était vraiment épuisé. Il prit un instant pour se calmer. Le stress, l'angoisse, la colère, rien de tout ça ne l'aidait. Pas plus que d'être envieux du bonheur des autres au lieu d'être simplement heureux pour eux. Ses amis méritaient leurs bonheurs et comprendre que c'était injuste de ne pas y avoir le droit lui aussi, ça ne changeait rien au final.
- Désolé. C'est rien. Je vais aller me reposer en haut un moment.
Il avait donné cette brève explication, un sourire aux lèvres comme il savait si bien le faire. Il y avait des années de ça, il avait appris qu'il était maudit. Une malédiction, voilà comment il avait vécu son diagnostic. Qu'avait-il ? Qu'importe. Ça ou autre chose. La fatigue, les douleurs, l'impression de ne pas avoir les mêmes chances que les autres, les rendez-vous médicaux, la lutte permanente ... C'était ça, son long cauchemar. Il ne s'en réveillerait pas.
Le jeune homme se redressa doucement un sourire comme étendard. Son cauchemar, sa guerre à lui, il était libre de la mener comme il le voulait. Se rouler en boule et pleurer, oui, il aurait pu, parfois, il en avait envie. Parfois, il se retrouvait sous sa couette et il se laissait aller aux larmes. Le reste du temps, Nathaniel se redressait et affrontait le monde en souriant.
Ce n'était pas si difficile que ça. Il suffisait de tirer sur les muscles de ses joues et de laisser son visage se tordre dans un simulacre de joie qui ne montait que rarement jusqu'à ses yeux. Son sourire pouvait faire peur. Son sourire pouvait sembler étrange. Après tout, son sourire n'était que souffrances et mensonges.
Zach regarda son ami repartir en vacillant jusqu'à la chambre qu'ils avaient réservée au repos. Le voir aussi faible était douloureux, mais ils n'y pouvaient rien. Ils avaient aménagé l'imprimerie pour l'aider au maximum, la salle de repos en faisait partie. L'homme soupira. Ils ne pouvaient rien faire de plus, le cauchemar dans lequel vivant leur ami n'était pas de ceux que l'on pouvait chasser d'un revers de la main. Tout ce qu'ils pouvaient faire c'était le soutenir et espérer que le meilleur finisse par arriver.
Dans la chambre qui lui était quasiment dédiée, Nathaniel se glissa dans le lit et tira la couverture sur lui. Il avait froid. Un froid d'angoisse. S'il fermait assez longtemps les yeux, le cauchemar qui se jouait dans son corps prendrait forme dans son sommeil. Il se ferait monstre. Il se ferait aventure. Il se ferait danger. Plongé dans ce monde qui n'était pas réel, Nathaniel pouvait enfin l'affronter. Alors, ce n'était pas de cauchemar qui le secouait, bien au contraire. Aussi remuant et impressionnant soient-ils, ses rêves lui rendaient un pouvoir qu'il avait perdu depuis longtemps. Une chance unique, celle de pouvoir se battre réellement contre l'horreur.
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...