Erwan était à sa table habituelle. Les gars l'avaient attendu devant le réfectoire, ils ne l'avaient pas vu passer et pourtant, il était là. Ils se félicitèrent mentalement d'avoir choisi de le coincer ici. Comme ça, ils n'avaient pas perdu toute leur journée à lui courir après en vain. Raphaël avança presque contraint et forcé, il était bon dernier dans le petit groupe, mais du point de vue d'Erwan, c'était comme si le déluge s'abattait sur lui.
La journée avait été difficile. Elles l'étaient toutes en ce moment, mais il était épuisé. Ses mains tremblaient légèrement autour de son plateau. Il n'arriverait pas à avaler quoi que ce soit ce soir. C'était une évidence. Il attendait simplement que le temps file et qu'il puisse monter s'isoler un moment dans la salle de bain. C'était tout ce qu'il voulait, mais voilà que Sacha avançait droit vers lui. Il avait toujours eu peur de ce type et ce n'était vraiment pas rassurant. Tout près de lui, il y avait Zach, lui aussi il était flippant. Derrière eux, Nathaniel les suivait, avec son sourire tordu, qui ressemblait presque à une grimace. Nathaniel n'avait pas l'air de taper fort et il n'avait jamais levé la main sur lui, mais il disait parfois des choses terribles. Il ne le voyait presque pas derrière les trois autres, mais assurément Raphaël les suivait.
Une seconde, il se prit à imaginer ce que ce serait d'avoir ces gens pour amis. Ils pourraient rire ensemble. Ils se raconteraient leurs journées. Ils seraient juste heureux et sereins d'être les uns avec les autres. Ce serait bon. Ce serait agréable. Il sourirait et il serait heureux. Seulement, cela n'arriverait pas. Ce n'était pas pour lui. Ce fantasme d'amitié, il pouvait tout aussi vite l'oublier.
Les garçons se rapprochaient drôlement vite, comme s'ils craignaient qu'il disparaisse. Il ne pouvait pas. Il n'y avait pas le moindre endroit pour se replier. Il aurait aimé être capable de s'évaporer en un claquement de doigt, mais c'était impossible. Il tenta un coup d'œil paniqué en direction de la table des surveillants, mais ils ne semblèrent pas le remarquer. Ou peut-être que ça ne les intéressaient tout simplement pas.
Qu'est-ce que le groupe de Raphaël pouvait bien lui vouloir ? Il allait le découvrir d'une seconde à l'autre. Il croisa les bras contre son ventre, comme pour le protéger et déglutit. Il rassembla les miettes de son courage tout en sachant qu'il ne pouvait simplement pas éviter la confrontation.
Comme si de rien n'était, les garçons s'installèrent à sa table, un surveillant les observa du coin de l'œil. Est-ce qu'Erwan était arrivé à se faire des potes ?, se demanda-t-il. A peine la question formulée, il se prit à espérer que non. Nathaniel était un chouette jeune homme. Zach faisait certes les quatre cents coups, mais il avait bon fond. Raphaël était un peu plus dur à gérer cependant il évitait souvent des problèmes aux autres. Quant à Sacha, sa petite amie ne s'en remettrait pas s'il lui arrivait quelque chose. Non, vraiment. Ces garçons ne méritaient pas ça, mais ils étaient au courant. Personne ne l'ignorait. Il se demanda un instant s'il faudrait leur en parler, puis il se dit qu'ils étaient bien assez malins pour gérer.
A la table, Erwan attendait qu'ils attaquent. Il n'osait même pas croiser leurs regards. Si jamais ce groupe rejoignait les autres pour le chasser ... Autant s'arrêter immédiatement. Il ne tiendrait jamais le coup. C'était peut-être l'une de ses pires angoisses. Si Raphaël se mettait à parler de vengeance comme Rebecca. Ça ne s'arrêterait plus, même la nuit, il serait en danger. Il ne pourrait plus fermer les yeux sans être pétrit d'angoisse.
Nathaniel pencha la tête sur le côté et tenta de glisser un sourire un peu plus doux tout en prononçant un "bonsoir" qui se voulait chaleureux. Le frémissement qui lui répondit le laissa perplexe. Il essayait vraiment d'être sympa, Erwan pourrait au moins faire l'effort de lui répondre non ? Après tout, il n'y avait pas tant de personnes que ça qui faisaient des efforts pour lui parler. Il jeta un coup d'œil à Raphaël, est-ce qu'il allait s'en charger ? Visiblement non. C'est Sacha qui prit la parole avec sa délicatesse habituelle.
- Demain, à 14h, tu viens nous voir à l'atelier pour qu'on bosse.
Erwan leva la tête sans comprendre. Est-ce qu'après tout ce temps, Raphaël s'était décidé d'accepter sa proposition de bosser ensemble ? Vu la grimace qu'il faisait, oscillant entre dégoût et colère, la réponse devait être non. Ils ne devaient juste pas avoir le choix.
- Hey ! T'as compris ?
Le ton brusque de Sacha le fit sursauter. Une partie de lui avait envie de dire simplement "oui, monsieur" aussi bêtement et faiblement que possible. Mais la vérité, c'est qu'il ne voulait pas envie de dire "oui". Il ne voulait pas aller dans la salle commune et encore moins dans l'atelier. Il ne voulait pas s'en approcher. Il ne voulait pas se retrouver à nouveau coincé entre leurs grandes statures. Il ne voulait pas les côtoyer. Il voulait juste ... disparaître et dormir. Longtemps. Peut-être à tout jamais. Rien de plus.
- Ce que Sacha veut te dire, c'est que nous aimerions que tu travailles avec nous sur le projet commun., reprit Nathaniel avec sa douceur habituelle.
Erwan avait envie de répondre : "Je ne veux pas", mais c'était beaucoup de mots et beaucoup de risques. Il aurait aimé dire : "Je ne peux pas" et ça aurait été vrai. Allez là-bas, faire ce qu'ils lui demandaient, travailler avec eux ... C'était juste trop. Il était tellement fatigué, épuisé même. Il ne pouvait pas. Mais s'il disait ça, ils parleraient encore, ils iraient peut-être déposer quelques menaces de plus sur ses épaules frêles qui en étaient déjà ensevelies. Alors, il acquiesça, comme s'il était d'accord, juste pour qu'ils le laissent tranquilles. Il ne demanda pas les contraintes. Il ne demanda pas où était Sarah et si elle serait là demain. Il ne demanda rien. Ils parlèrent un peu, plus entre eux qu'autres choses, avant de le laisser. Il n'avait pas dit un seul mot, mais visiblement ça leur allait.
Dès qu'il put, il s'éclipsa et s'enfonça dans les ombres, derrière un bâtiment. Là dans un renfoncement, il s'effondra en pleurs. Il tremblait comme une feuille. Il n'y arrivait plus du tout. Un pas après l'autre. Une seconde après l'autre. Malgré toute l'obstination du monde, il n'était pas assez courageux. Ces derniers jours étaient un enfer. Il n'avait pas la moindre idée de comment calmer les choses, mais il savait que travailler avec ces quatre-là n'était pas une bonne idée. Ça ne le soulagerait en rien. Ils allaient le blesser, lui faire du mal, ... Ils allaient le tuer. Peut-être involontairement, mais il n'y survivrait pas. Il n'était pas en train d'y survivre.
Pour la première fois depuis longtemps, il ne fut pas parmi les premiers à monter jusqu'à sa chambre, il attendit dans le froid et l'humidité aussi longtemps que possible. Il avait envie de rester là. Dans l'ombre. Personne ne savait où il était alors il était en sécurité pour le moment. C'était une drôle de pensée. Être en sécurité. Mais c'était surtout un mensonge, il le savait bien. La sécurité, ça n'existait pas.
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petite annonce : le premier jet de cette histoire vient d'être terminée. Si je ne fais pas de grosses modifications, elle devrait compter 55 chapitres et environ 61.000 mots. Je tiens à remercier tout particulièrement les personnes qui me suivent et qui me donnent autant de motivation :) Merci, merci à vous :)
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...