Raphaël n'avait pas vraiment le choix, mais il traînait clairement des pieds. Un surveillant, Mike, était venu le chercher juste après le repas du soir. Dégueulasse, soit dit en passant. Normalement, ils bénéficiaient d'un temps à l'extérieur à se geler sur place, certes, mais où ils pouvaient fumer, plus ou moins discrètement dans les coins de la cour. Une chose était sûre, pour affronter le reste de la soirée, il avait besoin d'une clope. Ou deux. Ou peut-être d'un truc plus fort. Et même ça, on ne le lui accordait pas. Le surveillant voulait qu'il déménage ses affaires au plus tôt. Comme si c'était pressé. Il avait même ouvert ce fichu dortoir pour l'y emmener.
Alors, lentement, il réunit ses fringues sales et les fourra dans son sac de voyage. Il fit de même pour ses affaires de cours, en vrac dans son sac à dos qui fut plus lourd que jamais et qui ne fermait même plus. Il traversa presque tout le couloir pour rejoindre la chambre où on l'envoyait. Le problème ce n'était pas simplement d'aller là-bas. Le soucis, c'est qu'il quittait la chambre de Zach qui était un type sympa, pas prise de tête et qui aimait la même musique que lui. Le soucis, c'est qu'il emménageait dans la piaule à côté de celle du surveillant, l'endroit parfait pour se faire prendre s'il venait à faire quoique ce soit de bruyant ou de long à camoufler. Habituellement, il l'entendait arriver lorsqu'il faisait le tour des chambres. Mais bon, ça, c'était quand il était au centre du couloir. Ce ne serait plus le cas ... donc hors de question de fumer à la fenêtre sans prendre de gros risques. C'était déjà deux très bonnes raisons -en plus de la flemme- de rester là où il était ! Et puis bien sûr, à tout ça on pouvait ajouter l'autre grand point noir. Erwan. Un type fluet, silencieux, timide, à la botte des profs ... Le genre de mec qui risquait de le dénoncer à la moindre incartade. Ce n'était d'ailleurs pas anodin que le directeur le lui mette dans les pattes. Ce type était censé le faire bosser pour augmenter ses notes, en maths, en français, en histoire et toutes les autres matières possibles ... La plaie.
Il ouvrit à la volée sa nouvelle chambre et l'observa une seconde. Le lit le plus éloigné de la porte était déjà pris. Il posa ses affaires sur celui d'en face, préférant lui aussi s'éloigner de la porte -et se rapprocher des fenêtres- même si ça supposait de voir la tronche d'Erwan. Les deux autres lits étaient vides. Erwan ne s'était pas étalé. Il était resté dans un seul coin, laissant à l'abandon le reste des armoires. Tant mieux. Raphaël fit demi-tour, retournant dans son ancienne chambre. Il avait encore du matos à prendre, tout d'abord sa basse, son poste de radio minimaliste mais efficace, son casque et puis ses posters qu'il allait devoir transvaser patiemment. C'était toutes ses idoles. Robert Trujillo, Steve Harris, ... Et surtout, ça permettait de rendre les chambres peintes dans un vert pastel à vomir un peu plus regardable. Dès qu'il eut fini d'accrocher ses posters, il ressortit sans attendre. Il lui restait un peu de temps pour se griller une clope.
- Eh Mike ! T'as du feu ?
Le surveillant soupira en lui rappelant que la cour était censée être non fumeuse. Raphaël s'esclaffa tout en s'éloignant. Quelle bonne blague. Arrivé en bas, il partit vers les points rouges qui s'illuminaient dans la nuit à chaque fois que quelqu'un s'encrassait un peu plus les poumons. Sans aucune difficulté, il engagea la discussion, même si ce n'était pas quelqu'un qu'il avait l'habitude de fréquenter. Peu importe.
Erwan profita de ce moment là pour se glisser dans les escaliers, jusqu'à sa chambre, leur chambre. Pour la première fois depuis le début de l'année, quand il passa la porte, la pression qu'il ressentait constamment ne se relâcha pas. Pire, elle empira. Il y avait des tas d'affaires posées sur le lit en face du sien. Des posters au murs. Autant de couleurs et d'informations visuelles qui le saturèrent. Il respira doucement, cherchant à reprendre le contrôle de son cœur qui s'était emballé. Il se sentait d'un seul coup claustrophobe. Cette chambre à lui tout seul, il l'avait vécu comme une prison, une punition, une malédiction ... mais c'était également un cocon protecteur, un lieu de repli, une façon de s'en sortir. Tout ça explosait à présent. Il rentra dans la salle de bain et passa de l'eau glaciale sur son visage brûlant. Il ne savait pas exactement combien de temps il avait devant lui, mais Raphaël allait monter, rentrer dans cette pièce et s'y installer comme si c'était chez lui. Ce serait chez lui et Erwan serait l'étranger, l'envahisseur d'espace, ... Il le savait déjà. Il souffla. Il devait se reprendre et remettre ses idées en ordre.
Le directeur avait demandé des choses. Autant s'y mettre immédiatement. Erwan passa derrière le petit bureau qu'il avait l'habitude d'employer, ravi qu'il lui permette de ne pas tourner le dos à la porte. Il sortit ses affaires de cours et se mit au travail. D'ici une demi-heure, l'étude débuterait. Il n'avait pas l'habitude de se rendre dans la salle commune où ça se passait. Là-bas, un surveillant aidait plusieurs élèves à faire leurs devoirs. Raphaël serait peut-être d'accord pour rester ici ? Un frisson lui remonta dans le dos à l'idée de décevoir les attentes du directeur. Il secoua la tête, cherchant à se concentrer, il devait finir ses devoirs rapidement pour pouvoir ensuite se consacrer à aider Raphaël. Il n'avait pas le temps pour les pensées parasites. Pas le temps pour avoir le ventre noué et douloureux. Pas le temps pour une crise de panique. Pas le temps pour pleurer non plus.
Il avait presque fini son dernier exercice lorsque la porte s'ouvrit. Erwan leva la tête et, pendant un instant, ils ne firent que s'observer. Raphaël était plutôt grand en faites. Que voyait-il ? Sans doute un avorton, frêle et pathétique, penchait sur sa feuille au trois-quart noirci. Erwan baissa les yeux, consterné face à cette idée. Il n'avait pas envie d'être ce type. Ce très étrange échange visuel suffit pour qu'Erwan se sente des plus misérables. Bientôt, il découvrirait que le moindre de ses regards pouvait avoir cet effet là sur lui. En même temps Raphaël était tellement dédaigneux. Il y avait tellement de colère et de dégoût quand il le regardait ... Erwan frémit, mais courageusement, il parla comme pour rompre le silence qui menaçait de les engloutir :
- Tu veux travailler ?
- Non.Non, juste et simplement "non", un seul mot qui acheva de le faucher. Ses doigts crispés sur sa table, Erwan tenta de se justifier, de lui faire comprendre qu'ils n'avaient pas le choix.
- Mais le directeur a dit que ... que ...
- Ok. Tu me gaves. Je me casse.Sans plus attendre, Raphaël qui avait à peine atteint son lit choppa sa basse et fit demi-tour. Il passa la porte qu'il referma tranquillement derrière lui, comme s'il était très calme en vérité. Il ne repassa la porte qu'au moment du couvre-feu. A ce moment-là, Erwan fit semblant de dormir. C'était plus simple ainsi.
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...