Bonus : sang

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Bonus : sang

Raphaël était silencieux. Son pied ne tapait pas le sol, sa tête ne dodelinait pas au rythme d'une ligne de basse imaginaire. Il était calme en apparence. Terriblement calme. Près de lui, Erwan se tenait droit, le menton haut, prêt à se battre. L'idée même était risible, mais l'intention adorable.

Ils avancèrent ensemble le long de l'avenue, remontant la rue passante. La petite ville était touristique, la mère de Raphaël avait pensé qu'un lieu neutre était une bonne idée. Dans ce genre de situation, ils ne se tenaient pas la main, ils ne se laissaient pas aller à glisser leurs doigts sur leurs peaux respectives contrairement aux autres couples. Ils marchaient simplement côte à côte, comme deux amis. Erwan préférait. Raphaël acceptait. Ce fut ainsi qu'ils arrivèrent devant un petit restaurant où étaient déjà attablés les parents de Raphaël.

Sa mère, Myriam, lui fit un signe de la main pour leur indiquer leurs positions. Son père le vit puisqu'il se tendit comme un arc sans pour autant accepter de se retourner. Il ne voulait pas le voir. Il l'avait toujours refusé. Ça faisait des années à présent et voilà qu'on lui imposait ce dîner idiot.

Erwan avança en souriant entraînant son petit ami dans son sillage. Il connaissait déjà Myriam, elle leur avait rendu visite à plusieurs reprises. C'était une dame charmante, particulièrement bienveillante. Elle l'embrassa sur les deux joues, tout en le serrant dans ses bras.

- Vous avez fait bonne route ?

Raphaël s'avança tout en répondant que la circulation avait été fluide. Aussitôt, Myriam reprit la main, présentant son mari.

- Frédéric, je te présente Erwan. Erwan, voici Frédéric.

Frédéric, le père de Raphaël, ne tendit pas la main vers son beau-fils. Il ne lui accorda pas un signe de tête. Il l'observa simplement de la tête au pied. Face à lui, un gringalet. Un type fluet, discret, délicat. Des vêtements près du corps. Il aurait tout aussi bien pu avoir le mot "gay" gravée sur son front.

Il se tourna vers son fils qui l'observait avec colère. Il était toujours égal à lui-même. L'idée que cet homme venait de lui, de son sang, et qu'il pouvait aimer "ça". C'était particulièrement difficile. Ce père ne voulait que s'éloigner de cette réalité inacceptable.

- Papa.
- Raphaël.

Les deux hommes se jaugèrent du regard avant qu'Erwan ne s'interpose en demandant s'ils avaient déjà commandé. Le repas fut difficile, manger avec la gorge nouée et l'estomac qui se révoltait, ce n'était pas si évident que ça.

Frédéric passa son temps à observer le jeune homme qui avait séduit son fils. Que lui avait-il trouvé ? Il n'était certes pas spécialement masculin, mais tout de même. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas concevable !

- Je ne peux pas.
- Frédéric ! lâcha sa femme sur un ton terrible.
- Quoi ? Tu veux que je me taise !

Sentant Raphaël prêt à bondir de sa chaise, Erwan lui attrapa le poignet et posa une caresse douce sur sa peau. Ils se regardèrent un moment en silence.

- Est-ce que je suis censé supporter ça ?
- Oui, papa. C'est ce que tu es censé faire. Tu es censé être heureux pour moi.

Ils s'affrontèrent un moment du regard. Furieux. Colériques. Blessés aussi. Erwan et Myriam tentèrent de calmer les choses en parlant de tout et de rien, mais ça n'arrangerait pas la situation au fond. Raphaël n'était pas ce fils dont Frédéric avait rêvé. Et il y avait longtemps que Frédéric n'était plus idéalisé par son garçon.

Quand les deux couples repartirent chacun de leurs côtés, ils avaient le cœur lourd et un fort sentiment d'échec. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant