La vipère

583 102 49
                                    


Quand Mike traîna Raphaël jusqu'à la chambre pour leur ordonner de travailler, une seule chose était sûre : Erwan n'était pas prêt. À l'extérieur, un boucan de tous les diables avait annoncé l'arrivée du nouveau. Erwan n'était pas allé voir. Il ne pouvait pas se le permettre, pas après une journée comme celle-ci. Et voilà Mike, qui barrait la porte de toute sa largeur, signifiant bien qu'il les voulait dans cette chambre, à bosser, sinon ce serait étude obligatoire pour eux. Erwan serra les dents. S'il pouvait échapper à l'étude, ce ne serait pas un mal.

Erwan observa Raphaël s'accroupir devant son lit et répandre ses cahiers dessus, sans la moindre douceur puis il se posa en tailleur au milieu de son bordel, négligeant visiblement son bureau. Erwan savait qu'il devrait lever la tête, l'observer, lui parler ... Mais on lui avait défendu de faire toutes ces choses. On l'avait menacé !

Un stylo gratta un peu sur du papier, le rassurant presque -peut-être que Raphaël pouvait travailler sans lui finalement ?- puis au bout de près d'une minute de silence, Erwan releva la tête. Raphaël était sur son téléphone sans doute sur un jeu idiot. Il s'en foutait. Le directeur l'avait envoyé là pour améliorer ses résultats, pour l'aider, parce que son sort lui importait. Tous ces potes étaient venus le menacer, parce qu'ils tenaient à lui. Tout le monde l'appréciait et ce type était tout simplement un je-m'en-foutiste qui ne se rendait pas compte de la chance qu'il avait. Cette constatation le glaça un peu plus encore, mais elle lui donna également du courage.

- Sur quoi tu dois bosser ?

Un geste vague de la tête, indiquant ses cahiers lui répondit. Est-ce qu'il était censé venir voir ? Mais c'était sur le lit ... Ce type devait être débile en réalité., pensa soudain Erwan. Il se leva néanmoins et tira l'un des cahiers vers lui. En marge, il avait griffonné une date. Celle de demain. Il était censé faire ça pour demain ? C'était un exposé complet ! Il fallait un accès à la bibliothèque et des heures de recherches pour rendre un tel travail !

Second cahier, la date de demain était aussi griffonnée avec une ligne de texte indéchiffrable à côté. Est-ce qu'il n'avait pas un agenda ? Quelque chose qui lui permettrait de s'organiser ? Comment était-il censé l'aider dans de telles conditions ?

Raphaël avait levé les yeux et voyait l'autre jeune homme pâlir au fur et à mesure qu'il voyait le travail à faire s'accumuler. Il eut envie de rire. Ça lui faisait cet effet là à lui aussi, alors il repoussait tout d'un revers de la main et passait à autre chose. Problème balayé. Erwan leva la tête au moment où un sourire amusé éclairait son visage et ce fut la goutte d'eau de trop. Il avait encore froid de cette journée. Il était épuisé. Il ne pouvait pas bien faire. Tous les amis, les connaissances et ceux qui s'étaient sentis en droit de le malmener étaient passés pour l'intimider. On lui avait donné une mission impossible à réaliser avec un imbécile fini qui ne comprenait pas ce que voulez dire "travailler" ! À ce moment-là, il aurait dû tourner les talons et s'éloigner, mais il ne le fit pas. Une seconde de calme, puis ce fut l'explosion.

- Tu ! Tu ! Tu n'es qu'un pathétique idiot sans cervelle qui ne mérite pas ce qu'il a !

Le visage de Raphaël se figea sous le choc. Il resta, totalement immobile alors qu'Erwan continuait à lui expliquer à quel point tout ça était ridicule. Il ne pouvait pas l'aider s'il n'y mettait pas du sien. Il ne pouvait pas l'aider s'il n'avait pas la moindre parcelle d'intelligence à consacrer à ses études. Erwan ne savait pas qu'il visait un peu trop bien. Il ne comprit pas immédiatement qu'il était excessivement blessant. Il était juste trop fatigué pour l'entrevoir.

- T'as fini, petit pd ?

Erwan pâlit un peu plus encore et ses mains se mirent à trembler d'une façon incontrôlable. C'était toujours comme ça. C'était facile, comme insulte, alors il répondit, en essayant de s'en prendre, à son tour, à la virilité de l'autre.

- Non ! Tes potes ont passé leur journée à me menacer ! Tu pourras leur dire que ton honneur est sauf, petite damoiselle en détresse.

Sans attendre une seconde de plus, Erwan fit demi-tour, bien décidé à sortir de cette pièce. Il pourrait tenter de se réfugier en salle commune peut-être ? Elle était face à la chambre du surveillant, non loin de l'étude, on pourrait le laisser tranquille là-bas.

- Hey ! Hey ! Où tu vas ?

Erwan allait attraper la poignée de la porte lorsque Raphaël saisit son épaule pour l'arrêter. Il était rapide. Est-ce que c'était le moment où Erwan se faisait massacrer pour avoir osé parler ? Intérieurement, il se dit qu'il le méritait sans doute. Après tout, il savait ce qu'il fallait faire : il devait juste rester calme et silencieux. Obéissant et muet. Sage et performant. Un rôle de composition qu'il ne comprenait plus. Un rôle qui lui donnait l'impression d'imploser.

- T'es censé m'aider j't'rappelle. Mike te ramènera ici si tu te casses ou alors ... il nous foutra à l'étude obligatoire. Sois pas con. Et puis pour une fois que le directeur ne va pas dans ton sens franchement, je ne sais pas de quoi tu te plains ...

Erwan se retourna, bien décidé à faire ce qu'on lui avait défendu : toucher Raphaël, d'une gifle en plein visage. Il n'aurait qu'à se faire casser la gueule ensuite. Au moins il aurait essayé de se défendre. Au moins un peu. Parce que ce qu'il venait de dire était plus bas que tout. Mais Raphaël choppa son bras au vol, l'immobilisant.

- Oui, comme ça je me défends et tu me fais virer. T'es vraiment une vipère toi hein ?
- Lâche moi !
- Je me laisserai pas avoir connement. Alors tu poses ton cul de salope sur ta chaise et tu m'aides.
- Lâche moi ...

Raphaël le libéra et repartit, sans un mot jusqu'à son lit. Il ne se ferait pas avoir par ce type. Il était hors de question qu'il se fasse virer juste parce que le directeur l'avait mis dans cette chambre. Il s'installa à nouveau sur son lit et attendit. Il eut la bonne grâce de lui laisser du temps, patientant jusqu'à ce qu'il ne revienne de lui-même. Erwan faisait toujours ça, pensa-t-il gravement, faire croire que les autres le maltraitaient, qu'il était une petite chose pleine de souffrance et tout le monde le gobait au départ, mais ce n'était vraiment pas le cas. Il avait déjà fait suffisamment de dégât. Hors de question d'aller dans son sens, lui, il ne serait pas le prochain., se promit Raphaël. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant