Le trajet

543 90 28
                                    


Cela s'était organisé très vite, sans doute parce que ses parents étaient heureux qu'il reçoive "un ami" même si c'était juste pour "travailler". Toujours était-il que ce week-end là, il recevait Raphaël.

Erwan était stressé. Il avait rangé sa chambre sans la moindre conviction. Il avait passé l'aspirateur et fait la poussière. Il avait même frotté un chiffon sur les carreaux de sa fenêtre. Elle ouvrait sur un arbre qui cachait la vue du voisinage. Ce n'était pas plus mal. Il n'aimait pas vraiment cette maison. Quartier résidentiel. Jardins avec pelouses taillées au millimètre près. Parfois, ça lui faisait juste froid dans le dos. Tout était si bien rangé. Est-ce qu'à l'abri de ces maisons, il y avait des personnes blessées qui pleuraient ? Est-ce qu'il y avait du désordre dans les têtes ? Est-ce que tous ces murs bien droits, ces pelouses sans fleurs, sans vies, est-ce que tout ça n'était que du camouflage ? Ou bien des petits gens parfaits habitaient des petits endroits parfaits où tout était parfaitement aligné ? Il avait envie de vomir à chaque fois qu'il y pensait.

Raphaël n'allait pas aimer sa chambre avec sa housse de couette verte et ses murs nus. Il n'allait pas aimer le lit de camp installé dans un coin pour qu'il puisse dormir. Il n'allait pas aimer la salle de bain aux petits carreaux bleus. Il n'allait pas aimer ses parents et leurs sourires pleins d'espoirs. Il n'allait pas aimer la voiture qui sentait le renfermé et qui peinait à chaque côte. Il allait détester la cuisine que sa mère disait "conviviale" parce qu'elle était remplie de bibelots. Il allait voir tout ça et comprendre qu'Erwan était une personne ridicule, dans une maison ridicule, avec des parents qui l'aimaient pour des raisons ridicules.

Il n'y avait pas vraiment de raisons, mais il avait envie que Raphaël se sente bien chez lui. Il avait envie qu'il lui propose de revenir. Il avait envie de le revoir. Juste pour se sentir un tout petit peu moins seul.

Alors, il était là, sur le quai de la gare, à attendre que la silhouette sombre apparaisse. Il avait envie de le voir jouer avec ses piercings et de croiser son regard sombre. Raphaël n'avait pas l'air gentil. Il ne l'était pas, la plupart du temps. Il était juste moins blessant et c'était tellement bon.

Ce fut Raphaël qui le repéra le premier. Il était fatigué. Il avait eu une semaine particulièrement pénible au lycée. L'absence d'Erwan se faisait sentir, même s'il s'était mis à lui poser ses questions par sms, ils étaient moins efficaces qu'avant. Les professeurs râlaient. À croire qu'au plus ils étaient habitués à de meilleurs résultats, au plus ils étaient exigeants. Un peu comme s'ils étaient juste éternellement insatisfaits. Erwan était là, à se triturer les doigts sans vraiment oser regarder devant lui. Il avait l'air mieux que la dernière fois, dans son lit d'hôpital. Il avait plus de couleurs en tout cas.

Raphaël avança jusqu'à ce qu'Erwan le voit et marmonna un "Salut" mal à l'aise. Ils s'étaient rapprochés avec les sms, mais la vérité c'était qu'il ne l'avait pas revu depuis cette chambre médicalisée trop blanche et à ce moment-là, il était terriblement en colère. Erwan passa une main dans ses cheveux, rapidement, comme s'il ne bougeait qu'à cause de l'angoisse. C'était peut-être le cas.

- Mes parents attendent au dépose-minute.
- Ok, je te suis.

Il n'avait pas l'habitude de s'arrêter dans cette gare. Elle n'était pas bien grosse, mais pour sortir il fallait descendre dans un tunnel et remonter dans la gare. C'était différent de chez lui. Ils n'échangèrent pas beaucoup de mots. Erwan passait son temps à jeter des coups d'œil en direction du grand carton à dessin qu'il transportait, en plus de son sac de voyage, de son sac de cours et de sa basse. À un moment, il lui avait proposé de l'aide et Raphaël avait finalement accepté de lui confier l'énorme pochette cartonnée qui pouvait accueillir des formats A3 sans le moindre soucis.

Il ne lui passa pas son sac de cours, enseveli sous les autres sangles. Hors de questions de lui confier sa basse, trop précieuse et quant à son sac de voyage ... Il pliait déjà à moitié sous son poids, alors pas sûr qu'Erwan puisse le tenir et restait debout. Il tenta à la place de détourner l'attention vers une discussion bateau. Erwan voulait qu'il écrive ses sms dans un français correct. Il disait que c'était un bon entraînement. Depuis, ils se chamaillaient gentiment à ce propos pendant que Raphaël cherchait activement les pires moyens d'écrire ce qui devenait peu à peu des messages codés.

A l'extérieur, devant la voiture, il reconnut le père d'Erwan et à côté, il devait s'agir de sa mère. Ils lui demandèrent s'il avait fait bonne route tout en installant ses affaires dans le coffre. C'était ainsi qu'Erwan et Raphaël se retrouvèrent assis à l'arrière de la petite voiture familiale, assaillis de questions. Raphaël répondait uniquement par des phrases brèves, coupant régulièrement court au flot de questions. Il ne relançait jamais le dialogue. Sur son siège, Marie, la maman, se demandait vraiment comment son garçon avait pu se lier d'amitié avec une personne pareille.

Raphaël n'était pas aimable. Il répondait à peine. Il avait des piercings à peu près de partout. Combien en avait-il simplement au niveau de la bouche ? Elle n'avait pas encore osé regarder ses oreilles. Et puis ce regard ... Et il était habillé tout en noir. Ce n'était franchement pas joyeux ! Mais Erwan avait dit qu'il était content de le voir. Content ! C'était plus qu'ils n'en espéraient. Alors, elle continua à sourire et à parler, comme si ce n'était pas grave. Raphaël pouvait bien être le pire ermite désagréable au monde -chose qu'il n'était d'ailleurs pas-, peu importe ... Il sortait son fils de l'apathie et de la morosité. C'était tout ce qui comptait. Et puis il fallait voir les choses d'un bon côté, contrairement à un ermite sortant d'une grotte, Raphaël avait au moins l'air propre. Oui, décidément, elle verrait le verre à moitié pleins.

- Et que font tes parents ?

Erwan se retient d'éclater de rire en observant l'air dépité de Raphaël qui tentait réellement de se prêter au jeu sans vraiment y parvenir. Raphaël dut le remarquer parce qu'il ricana tout en continuant de son mieux. Peu importe qui était ses parents, ses grands-parents, ses amis, son aspiration dans la vie ou même la manière dont il voulait la mener ... Tout ce qui comptait c'était de montrer patte blanche à cette maman inquiète. Il l'avait bien compris, mais ce n'était pas vraiment dans ses compétences de bases. Il savait faire peur. Sans le vouloir, juste en montrant sa gueule. Rassurer quelqu'un ? Il n'était pas doué. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant