L'escorte

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Ils étaient là.
Dans le couloir, l'ambiance avait changé. Ils ne devraient pas être là. Tout le monde le savait.

Pendant les pauses, Raphaël et tout son petit groupe se réunissaient sous leur préau où ils fumaient allègrement. Ils ne rentraient pas à la sonnerie, mais vraiment au dernier moment, quand les surveillants venaient les chercher ou juste avant que les professeurs ne les menacent d'heures de colle et encore ... Ils étaient difficiles à faire bouger. Alors que faisaient-ils ici ? Ça ne semblait pas normal. Ça ne l'était pas.

Sacha s'était installé devant la porte des toilettes, indiquant un message clair : personne ne devait rentrer ou sortir. Devant lui, Nathaniel se moquait gentiment de son air de balourd. Il ne le décrédibilisait pas pour autant, vu la tête de Zach, à côté d'eux. Les élèves les contournaient. Au cas où. Parce qu'ils ne comprenaient pas ce qu'il se passait. Ils étaient sans doute curieux, mais pas assez pour oser rester.

A l'intérieur, Raphaël était venu chercher Erwan. Le garçon n'osait même pas lever la tête. Il se sentait idiot et humilié. Il était tellement gêné. Est-ce que Raphaël s'en rendit compte ? Peut-être, parce qu'il lui fit juste un geste de la tête pour l'inviter à le suivre. Ce n'était presque rien et pourtant, ça demandait énormément de confiance. D'un seul mouvement, Raphaël venait de lui dire : tu peux croire en moi et venir. Erwan avait envie d'attraper son bras et de se coller à lui. Il avait juste envie de se sentir en sécurité, mais devant un tel geste, Raphaël risquait de mal réagir. Alors, il resta à distance tout en le suivant. En sortant des toilettes, il se retrouva soudain entre les quatre garçons. Nathaniel lui fit joyeusement la conversation comme si de rien n'était alors qu'ils retournaient au préau.

- J'ai vu le boulot que vous avez fait, c'est vraiment très cool.
- M... merci.
- Et puis comme tu es revenu, tu vas pouvoir avancer.
- Putain Nath, le fais pas chier avec ça., grogna soudain Raphaël.

Pour toute réponse, Nathaniel éclata de rire avant de lui expliquer que ça s'appelait "faire la conversation" et qu'il ferait bien d'en prendre de la graine parce qu'il était particulièrement peu doué dans le domaine. Il ne s'attira qu'un grognement supplémentaire qui fit rire Zach. L'ambiance se détendait dans le groupe. Autour d'eux, tout le monde s'écartait sans mal et soudain, ils furent au niveau du préau. Où était-il censé se mettre ?, se fut la première question que se posa Erwan, mais Nathaniel continua de lui parler, comme pour le mettre à l'aise.

Depuis le mur contre lequel il s'était avachi, Raphaël les regardait. Nathaniel était mignon. Trop hétéro à son goût mais franchement mignon. Erwan l'était encore bien davantage. Il n'était pas vraiment beau en réalité, il avait juste une espèce de charme. Quand il avait reçu le message lui avouant qu'il était planqué dans les chiottes, Raphaël avait vu rouge. Il avait immédiatement décidé d'aller le chercher et de le mettre en sécurité. C'était peut-être idiot. Ce n'était peut-être qu'une réaction d'homme de cro-magnon, mais il ne voulait pas qu'Erwan se retrouve à nouveau en danger. Il ne voulait pas que les larmes maculent ses joues. Il ne voulait pas de tout ça.

- Tu as quoi après ?, demanda-t-il soudain.
- Technologie, pendant deux heures.
- Ok. Si ça te va, on t'y emmène et on passera te prendre pour aller bouffer ensemble.

Erwan eut l'air d'hésiter, doucement, il marmonna :

- Tu n'as pas envie qu'on te voit avec moi.
- Pourquoi ?

Erwan ne répondit pas, c'était comme une évidence. Sa mauvaise réputation allait les entacher s'ils décidaient de passer les temps de pauses avec lui. Ils ne pourraient pas faire croire qu'ils venaient uniquement pour lui parler du projet commun. Il ne voulait pas les voir affronter ce qu'il vivait.

- Parce que t'es gay ?, continua Raphaël tranquillement.

Erwan sursauta en observant les garçons autour de lui. Forcément ils le savaient, tout le monde l'avait appris ... Terrance avait répandu la nouvelle. Néanmoins, en l'entendant prononcer à voix haute, certains ne réagissaient pas bien. Il s'attendait aux grimaces de dégoûts et aux menaces du type : "gardes ta queue pour toi, petit pd". Il n'y eut rien de tout ça. Sacha tapait un texto, comme souvent et il souriait bêtement. Zach tirait sur sa clope et Nathaniel restait détendu. Alors, doucement il répondit :

- Oui, entre autre. Tu ne veux pas de cette réputation. C'est très gentil, mais ... je ne peux pas te ... vous ... faire subir ça.
- Ah. T'as toujours pas compris. Hey Zach !, s'écria Raphaël. J'suis PD. Ca t'dérange ?
- C'est ta queue mec, pas la mienne. C'est toi qui gère., répondit Zach en riant à moitié.
- Nath, t'en penses quoi ?, continua Raphaël sans lâcher Erwan des yeux.
- Je m'en contrefiche. Sacha sort de ton téléphone et votes. Raphaël est gay. Ca te va ?

Sacha leva la tête et fronça les sourcils, sans comprendre. La sexualité de quelqu'un pouvait-elle être soumis au vote, sérieusement ? Il se dit pour la énième fois que ses amis étaient un peu idiot parfois et en voyant la tête de la petite crevette qu'ils étaient allés ramasser, il faillit éclater de rire. Il répondit alors tout en haussant des épaules, sur un ton un peu fataliste.

- Ma femme vous y touchez pas. Le reste du monde, je m'en fous.
- Voilà qui est réglé. Nous ne sommes pas une bande de connard homophobe., sourit Nathaniel.
- Juste une bande de connard., conclut Zach.
- Ouais, ça si tu veux.

Les amis se remirent à rire, ensemble, décontenançant Erwan. Ça allait vite. Ils se répondaient sans vraiment y réfléchir. Ce fut là qu'il comprit que ce n'était pas un coming out. Ils étaient déjà tous au courant. Raphaël ne le leur avait pas caché.

- Le reste des gens ne seront peut-être pas de cet avis, tu sais ?

Raphaël avança vers lui et se pencha vers son oreille, doucement, il murmura comme un secret :

- Je m'en fous. Alors, juste ... restes avec moi.

Erwan acquiesça en frissonnant. Autour de lui, les conversations reprirent comme si de rien n'était, un peu avant la sonnerie, ils l'emmenèrent jusqu'à sa salle, en ricanant devant les regards éberlués des autres élèves. Les questions vaseuses et emplies de venins, personne ne les posa. Au milieu de son escorte, Erwan se sentait pour la première fois depuis longtemps en sécurité.

Sentiment étrange. Étrange de nouveauté. Se sentir bien. Se sentir protéger. Se sentir hors du danger. Se sentir ... C'était comme être dans un autre monde, très différent de celui qu'il côtoyait habituellement. C'était agréable. C'était bon. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant