Lorsque les parents d'Erwan s'étaient rencontrés, ils étaient jeunes. C'était deux idéalistes. Le père, Franc, était devenu adjoint au maire dans sa petite ville et il pensait sincèrement qu'il travaillait à rendre les choses meilleures. La mère, Marie, avait créé sa propre entreprise. Elle fabriquait des objets à partir de déchets. Elle employait beaucoup de personnes non diplômées et les formaient. Elle essayait de faire de son mieux pour partager ses connaissances et offrir une issue à des personnes en difficulté. S'ouvrir ainsi aux autres, ce n'était pas toujours évident et c'était parfois même particulièrement ingrat, mais ils avaient tenté d'apprendre à leur fils l'importance que cela pouvait avoir.
Et puis, un jour, ils avaient été appelés. Erwan venait d'être admis en urgence à l'hôpital pour la première fois. Il avait refusé de dénoncer qui que ce soit, jusqu'à la raison même de son agression, mais les médecins avaient dit des choses troublantes. Ce n'était pas la première attaque qu'il subissait. Il leur avait caché de nombreux hématomes et des douleurs qui devaient être importantes. Il était dans un triste état.
Là-dessus, le directeur avait annoncé avoir réuni un certain nombre de preuves et il avait renvoyé un élève. Erwan n'avait ni approuvé, ni désapprouvé ce choix. Il s'était borné au silence. Lorsqu'on leur avait annoncé le suicide de Terrance, le choc avait été encore plus grand. Meurtriers. Est-ce qu'ils étaient des meurtriers ? Il avait fallu du temps pour panser les plaies de toute la famille.
Second appel qui les hanteraient toute leur vie. La voix au bout de la ligne annonçait l'hospitalisation en urgence de leur fils. Il était au bloc. Coup de couteau. Coup de couteau. Ces trois mots allaient tout changer, d'une manière ou d'une autre. Ils n'avaient plus envie de faire confiance au monde. Leur fils, leur bébé innocent, ... Quelqu'un avait essayé de le tuer. Ce monde qu'il avait toujours voulu bienveillant. Ce monde leur semblait soudain des plus sombres.
- Il ne retournera plus à ce lycée de malheurs., avait décidé Marie.
C'était la première réaction qu'elle avait eu. Le diplôme difficile d'accès ? Tant pis. Son fils était doué. Elle avait de l'argent. L'un dans l'autre, ils forceraient les portes à s'ouvrir et Erwan aurait le job de ses rêves. C'était mieux ainsi. Erwan n'avait pas montré de réactions particulières face à cette annonce, mais il ne réagissait pas à grand-chose. Il semblait comme éteint. Sans la moindre émotion. En dehors des nuits de larmes et de cauchemars. En dehors des cris de pures angoisses et des cernes.
Ils l'observaient de près. Ils le couvaient tout en se rabrouant, en se disant que ce n'était pas la bonne solution. Y'avait-il une bonne solution ? Sans doute pas. Ils commencèrent néanmoins à respirer le jour où ils virent le portable d'Erwan vibrer et ce dernier l'attraper avant de sourire. Un sourire. Qui lui écrivait ? Ils n'en savaient rien. Que disait-il ? Ils n'en savaient rien, mais au fond, peu importe. Erwan souriait.
Quand il avait reçu le texto, le premier texto, Erwan avait d'abord été surpris. Il ne savait pas trop ce qu'il devait répondre. Pouvait-il simplement ne pas répondre ? Comment réagirait Raphaël si il ne répondait pas ? Il était resté assis, à contempler le vide, sans comprendre pourquoi il lui envoyait un message. Peut-être était-il devant ses devoirs, en train de travailler, assaillit par une énième question sans réponse ? Raphaël n'était pas idiot. Il avait juste besoin de comprendre réellement pour pouvoir répondre. S'il ne comprenait pas, il ne tentait même pas une réponse. Il restait bloqué. Le système scolaire n'était pas idéal pour ce type de réflexion. Apprendre par cœur sans comprendre ? C'était une horreur pour un tel élève.
C'était peut-être pour ça, parce qu'il comprenait le sentiment d'impuissance face à un système impitoyable, qu'il avait renvoyé péniblement un mot et un seul : "Salut". Il avait failli ricaner, quand quelques secondes plus tard il avait reçu un "ça va ?". Est-ce qu'il était censé répondre "oui et toi ?", ce serait ridicule. Avant qu'il n'ait eu le temps de taper quoique ce soit, un autre message était arrivé. Raphaël disait qu'il était con et de laisser tomber.
Cela avait commencé comme ça. Bêtement, par des échanges de banalités plus ou moins mal écrits. Raphaël n'avait pas redemandé qui lui avait fait du mal. Il n'avait abordé aucun des sujets dérangeants. C'était vraiment reposant, juste d'avoir un contact social, intéressant, sain et non stressant. Juste avoir un contact social qui ne le blessait pas.
Il ne gardait qu'un problème, une sourde culpabilité. S'il ne retournait pas au lycée, il ne reprendrait pas le projet commun. Il plantait la seule équipe qui avait bien voulu de lui. Certes, cette équipe l'avait pris parce qu'ils n'avaient pas d'autres choix. Ils l'avaient traité comme une merde ou plus exactement comme un outil. Néanmoins, c'était son équipe. Chacun de ses contacts avec Raphaël ne faisait que le lui rappeler un peu plus même s'il n'en parlait pas.
Erwan n'avait pas vraiment envie de retourner au lycée. En réalité, il n'avait envie de rien. Il se réveillait. Il mangeait péniblement quand de la nourriture lui faisait face. Il faisait de son mieux pour faire illusion et lorsque la journée était finie, il se couchait et il dormait. Ses seules occupations, ses seuls moments de vies, c'était ces messages. C'était ses contacts avec Raphaël. C'est peut-être pour ça qu'après une brève discussion avec son père, il avait envoyé un sms inhabituel. Sa gorge s'était nouée alors qu'il l'écrivait. Ses mains tremblaient et il avait envie de vomir. Il se sentait horriblement mal parce qu'il savait que Raphaël allait dire "non" et il savait à quel point ça le blesserait. Il allait perdre tout ce qu'il avait, le peu qu'il avait, tout ça pour une question.
"Est-ce que tu voudrais venir chez moi bosser sur le projet ?"
C'était une question idiote, naissant d'une culpabilité imbécile et qui entraînait des espoirs sans fondements. Raphaël dirait non, il se souviendrait de pourquoi il ne voulait pas le voir et il arrêterait de lui écrire. C'était tout aussi simple que ça.
A présent que c'était envoyé, il fallait attendre. Régulièrement il appuya sur le bouton qui rallumait son téléphone, pour observer l'absence de réponse. Il ne se doutait pas qu'il allait devoir attendre plusieurs heures avant de recevoir deux petites lettres qui allaient faire battre son cœur plus vite.
"Ok"
Ce n'était presque rien et pourtant, il se sentit beaucoup mieux. Il allait revoir Raphaël. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il se rendit compte que l'idée de ne plus le voir le blessait. À quel moment s'était-il attaché à lui ? À quel moment son contact était devenue une habitude importante pour son propre bien-être ? Il n'en savait rien. Raphaël lui manquait.
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La poésie de l'encre
RomanceIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...