La réponse

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Il y avait beaucoup de choses qu'Erwan aurait voulu exprimer. Il y avait beaucoup de haine et de mots de colère coincé dans sa gorge, incapable de sortir, face à cette situation. C'était tellement injuste. S'ils étaient venus le voir au premier jour, il aurait pu se plier à leurs conditions, mais à présent, il ne pouvait plus. Il aurait aimé avoir la liberté de leur dire : "Je suis désolé, je ne veux pas bosser avec des connards comme vous, ne vous approchez plus jamais de moi." Mais bien sûr, il ne pouvait pas le dire sans en payer de lourdes conséquences.

Il aurait aimé avoir le courage de leur rappeler : "Vous m'avez menacé ! Nous ne sommes pas amis, je n'ai pas de services à vous rendre." En faites, la honte d'avoir eu recours à de telles extrémités auraient pu empêcher Zach et ses potes d'avoir ne serait-ce que le culot de lui demander une telle chose ... Mais quand ça le concernait, personne ne se sentait jamais coupable, pensa-t-il amèrement.

Avec un peu plus d'honnêteté encore, sous sa rage, il y avait un puits immense d'angoisses et de peurs, mais il ne pouvait pas simplement dire : "Vous me faites peur. Je ne veux plus jamais que vous vous approchiez de moi.", ni "Laissez-moi juste tranquille oubliez-moi ...", ni même "Pitié, laissez-moi partir ...". C'était peut-être faible et pathétique, peu importe. Son silence le plus courageux ne parvenait jamais à le protéger et ses poings faisaient guère mieux.

Toutes ces phrases tournaient dans sa tête alors qu'il cherchait comment se sortir de ce pétrin. Bien-sûr, cela aurait été plus simple si, à cause de la panique, il n'avait pas juste prononcé à voix haute, d'une façon claire et intelligible, un tout petit mot qui sonnait comme un couperet :

- Non.

Depuis -cela ne devait faire que quelques secondes- leurs regards étaient braqués sur lui. Ils semblaient attendre la suite. Erwan avala difficilement sa salive, paniquant totalement. Il devait parler. C'était le moment de parler. Ils étaient en pleins milieux de l'atelier, là-bas, bien caché dans un angle, il y avait un professeur qui travaillait sur un truc ou un autre. Il y avait des témoins. Beaucoup trop de témoins. Ils n'allaient pas le massacrer ici. Il faudrait au moins qu'ils patientent un peu et en attendant, il pouvait parler. Oui, mais les mots ne venaient pas.

- Comment ça "non" ?

C'était Zach qui avait parlé et le ton qu'il employait promettait énormément de souffrances. Erwan se ratatina légèrement sur lui-même tout en tentant de répondre. Sa voix sortie sous la forme d'un souffle à peine audible.

- Je peux pas.
- Pourquoi ?

C'était Nathaniel qui avait répondu, d'un ton presque gentil, mais il ne fallait pas si tromper. Il ne l'était que pour obtenir des réponses. Néanmoins, ce fut ce qui aida Erwan. Il vissa son regard dans celui de l'autre jeune homme et s'exprima de son mieux :

- Y'a trop de boulot de conception. Ce sont des techniques que je ne connais pas. Je n'aurais jamais le temps de préparer tout ça et de mettre les choses aux propres comme vous les voudriez. En l'état, ce projet ne peut plus fonctionner. Ou en tout cas, pas avec moi.

Un grognement le poussa à se taire. C'était Sacha qui l'avait émit. À ce moment-là, il ne rêvait plus que d'une seule chose : disparaître. Qu'est-ce qu'il était censé dire d'autres ? Il ne pouvait pas dire "oui" et abandonner le projet un peu plus tard. Ça ne faisait pas partie de ses options. Il n'avait donc pas d'autres choix que d'être honnête.

- Et ce que tu as préparé de ton côté ?, demanda Raphaël.
- Ce ne sera pas prêt à temps ...
- Qu'est-ce que tu pourrais faire ?

Erwan se mit à réfléchir intensément. Sur le projet qu'ils proposaient, il pourrait peut-être s'en sortir à la conception s'il était un peu aidé. Il pourrait bosser sur la charte graphique, mais il n'aurait jamais le temps de tout réaliser ensuite. Quant à son propre projet de roman graphique, il pourrait sans doute intégrer les différentes techniques proposées, mais il allait manquer des heures et des heures de dessins. Une fois fait, il faudrait encore scanner tout ça et le coloriser. Autant de boulot qu'il ne pourrait pas faire si en plus, il devait imaginer et intégrer les lignes de découpes demandées par cette équipe.

- La conception, le dessin, la reliure ne sera pas un soucis, le type de papier non plus. Il faudra que je bosse sur les découpes. Mais les types d'encres choisies ... Je ne pourrais jamais mettre tout ça en couleur ... Sans parler des décors ...

Il ne savait pas lequel des quatre gérait les couleurs et celui-là risquait de mal le prendre. Quand il leva le visage, il fut étonné de voir la manière dont ils les regardaient, comme s'ils étaient surpris que Raphaël et lui parviennent à échanger quelques mots. Ce n'était pas grand-chose, toujours dans le cadre d'un travail, mais ils arrivaient à parler un peu.

- Zach gère la reliure. Sacha s'est occupé du choix des papiers. Je m'occupe de la découpe., expliqua placidement Nathaniel.
- Et notre très cher Raph, va se retrouver à gérer le coloriage, l'encre ... et les décors., conclut Zach en soupirant.

Erwan sursauta. Les décors ? Est-ce que Raphaël dessinait ? Il ne l'avait jamais vu faire. Il ne l'avait jamais vu mettre en couleur le moindre dessin non plus. Raphaël semblait se renfrogner. Est-ce que c'était un genre de blague parce qu'il ne savait pas dessiner du tout ? Erwan ne parvenait simplement pas à comprendre. Ces gars semblaient pouvoir communiquer avec un minimum de mots, dans une espèce d'habitude venue de l'amitié. Erwan ne pouvait que regarder et attendre qu'on daigne lui expliquer les tenants et les aboutissants de leurs pensées.

- Faites chier les gars., râla Raphaël avant de lâcher un énorme soupir et de reprendre : Ok, ok. Je vais l'faire.

Il allait le faire ? Ils allaient faire les planches à quatre mains ? Erwan déglutit nerveusement. Il avait envie de répéter "non", mais personne ne lui demandait son avis. Ce n'était qu'un travail qu'on lui imposait, sans savoir s'il était prêt à le partager. Sans se demander s'il pouvait vraiment leur donner ses planches ainsi. Il n'était pas sûr d'y arriver. Mais ils allaient les lui prendre, c'était à présent une certitude. Ils parlaient comme s'il n'était pas là. Comme si sa présence ou son absence n'y changeait rien. Peut-être était-ce vraiment le cas.

Il n'était pas une personne qui intégrait leur équipe. Il était un outil qui venait remplir un rôle. Ils allaient l'utiliser parce qu'ils en avaient besoin, puis, ils le rangeraient dans un coin avant de l'oublier. Ils n'allaient pas devenir complices ou amis. Il allait uniquement leur servir. Il eut la nausée. Il voulait s'enfuir. Loin de cet atelier, loin de ces machines énormes, loin de ces gens, loin de ce bâtiment, loin de ce lycée ... Loin de cette vie dont il ne voulait plus. Il voulait juste partir, mais Raphaël lui choppa le poignet en le voyant s'éloigner et lui ordonna le prendre le temps d'expliquer exactement ce dont il s'agissait. Même disparaître, on le lui refusait. 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant