L'incompréhension

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Raphaël n'arrivait pas à dormir. Il bouillonnait à l'intérieur. Il avait mis sa main dans la tête d'Erwan. Il avait néanmoins réussi à s'arrêter là. Ça pouvait sembler évident, logique ou même censé, mais c'était réellement sa réussite du jour. Ni coups de poings et pas davantage de coups de pieds ... S'il avait commencé, il n'aurait pas su s'arrêter. Il lui aurait mis une raclée. Il aurait tapé dans son corps dans un passage à tabac qui se serait mal terminé. Il était furieux.

Ce qu'Erwan avait dit ... Il bafouait la mémoire d'un mort.

Les yeux perdus dans le vague, Raphaël se souvenait. Au-dessus d'eux, le ciel était bleu, éclatant. Personne n'avait envie d'aller en cours, en attendant, ils étaient allongés dans l'herbe. Ils étaient nombreux. Sacha était contre un arbre et il riait fort. Sa chère et tendre était installée entre ses jambes, le dos collait à son torse. Ils s'affichaient sans aucun soucis. Ce n'était pas le cas de tous les couples présents. C'était exactement ce qu'il avait pensé, en voyant Terrance glisser ses doigts sur le poignet nu d'Erwan. Il le regardait avec amour.

A l'époque, il avait pensé que c'était aussi triste que compréhensible qu'ils n'osent pas se montrer publiquement. Il les avait néanmoins envié, parce que trouver quelqu'un avec qui partager de tels sentiments, c'était beau. Lui-même n'avait jamais eu l'occasion d'être vraiment en couple, uniquement des amourettes de vacances, loin des regards, loin des personnes qui pouvaient le reconnaître ... C'était une sonnerie lointaine qui les avait arrachés à la caresse du soleil.

Ce geste tendre, c'était le premier qu'il avait surpris, mais une fois qu'il avait compris où regarder, il avait vu les signes. Il avait vu les pommettes d'Erwan qui rougissaient sous les allusions. Il avait vu les doigts qui se frôlaient. Il avait vu les contacts qui duraient juste un peu trop longtemps. Il avait remarqué Terrance qui s'attardait dans les vestiaires des cours de sport, à la suite d'Erwan. Il avait eu envie de tout ça. Il aurait aimé vivre tout ça. Il aurait voulu sourire dans le cou de quelqu'un, il aurait aimé frôler ses côtes, il aurait aimé partager ... Il ne le ferait pas. Il n'avait pas trouvé pas de compagnon -ni même le moindre plan baise- à cette période là, pas plus qu'il n'en avait eu depuis.

Perdu dans ses souvenirs, il revit le moment. C'était la dernière fois qu'il avait vu Terrance. Ils n'étaient pas proches et pourtant, il l'avait vu, la veille de son décès.

Terrance avait l'air nerveux, il passait souvent sa main dans ses cheveux dans un geste qui n'avait rien d'habituel. Il avait l'air gêné. C'était presque sur le ton de la confidence qu'il le lui avait dit.

- Je peux te le dire à toi ... Enfin ... On est pareil.

D'un seul regard, ils s'étaient compris. Raphaël avait souri en douceur tout en hochant de la tête.

- Je sors avec Erwan, mais ... je crois qu'il a peur que ça se sache. Il n'assume pas.

Terrance avait l'air triste, il ne savait pas à quel point il avait raison et à quel point il allait souffrir. Il ne savait pas encore que son propre petit-ami allait se plaindre de lui, juste parce qu'il avait osé parler de son couple. Il ne savait pas à quel point il allait se faire poignarder dans le dos. Homophobe, ce gars amoureux, un peu gêné mais inquiet pour l'homme qu'il aimait, il allait se faire étiqueter d'homophobe. Quand est-ce que ça avait dérapé ? Raphaël ne le connaissait pas assez pour le savoir.

- T'inquiètes pas, ça va aller, vous avez l'air heureux ensemble.

C'était ce qu'il lui avait dit et Terrance avait eu l'air soulagé. Raphaël ignorait simplement à quel point il se trompait. Ça n'irait pas du tout. Il ferma les yeux douloureusement, revenant à l'instant présent. Il aurait aimé être là-bas et rattraper Terrance. Il aurait aimé l'arrêter et lui dire : "Erwan est un con, il ne te mérite pas. Oublie le. Passe à autre chose. Ça va aller." C'était beaucoup de mots, mais il était prêt à dire énormément de choses pour sauver quelqu'un.

Il ne savait pas et il n'avait rien dit. Terrance était mort et pendant longtemps il s'était demandé si le jeune homme était venu pour se confier ... et s'il aurait pu dire quelque chose pour changer les choses. Mais il n'y pouvait rien. Le seul responsable, c'était Erwan. Erwan qui affirmait encore et encore qu'il n'avait pas fait exprès. Une bouffée de rage l'enflamma de nouveau. Il devait toujours se retenir pour ne pas quitter son lit et allait cogner ce mec. Il était aussi hypocrite que sans état d'âme.

Comment pouvait-il être comme ça ? Si Raphaël avait un petit ami un jour, il l'aimerait tendrement. Il assumerait d'être gay, il assumerait d'être avec lui et il le ferait sans honte, mais au contraire avec fierté. Être avec un mec aussi charmant que Terrance et le détruire comme ça, juste à cause de la honte ... C'était incompréhensible à ses yeux.

Quand Erwan se leva, c'était le petit matin et Raphaël n'avait pas dormi. Les mots du garçon lui tournaient toujours en tête et le rendaient fou de rage. Il resta couché, parce que définitivement, son poing dans ses dents, ça n'améliorerait rien. Il l'écouta qui traversait la chambre et qui suivait ses petits rituels. Il l'entendit haleter sous ce qui ressemblait à de la douleur. Il avait mal ? Tant mieux. Si lui avait de la retenue, ce n'était pas le cas de tout le monde.

Il attendit, blottit sous sa couette, qu'Erwan s'en aille. C'était le mieux à faire. Il y avait trop de colère dans ses veines pour qu'elle ne rejaillisse pas et si jamais il le cognait vraiment ... il aurait du mal à se regarder dans un miroir. Aussi monstrueux soit-il, il ne possédait qu'un corps faible qui plierait sous sa poigne. Ses armes à lui étaient bien plus vicieuses et terribles.

Quand Raphaël retrouva enfin ses potes, rien qu'à son air, ils comprirent que c'était une journée sans. Ils n'osèrent même pas lui demander quel était le problème. Ils respectèrent son silence. S'il avait besoin de parler, ils l'écouteraient.

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant