Il se réveilla en sursaut, ses draps trempés de sueur. Il tremblait comme une feuille. Il courut jusqu'à la salle de bain et s'essuya frénétiquement les mains. Elles étaient propres et pourtant, il le sentait toujours. Il avait l'impression d'être couvert d'un liquide poisseux, dégouttant, qui refusaient de quitter sa peau. Du sang. Du sang de partout. Avec cette odeur infecte de métal chaud et cette espèce de tiédeur horrible qui refroidissaient dans une promesse terrible. Il tenta de se calmer, les doigts verrouillés autour de la porcelaine de l'évier.
Ce n'était qu'un cauchemar.
Pas vraiment. Cette pensée n'était qu'une forme de mensonge parmi tant d'autres. Oui, c'était un cauchemar, il n'était pas couvert de sang. Il n'en avait pas pleins les mains. Dans son cauchemar, il se noyait dedans, il en avait plein la bouche, plein les yeux, plein la peau et clairement, ce n'était jamais arrivé. Mais c'était avant tout un souvenir. Il se revoyait là-bas. Il avançait, le visage bas à moitié dissimulé par sa capuche. Il marchait d'un pas décidé, un couteau caché dans la poche ventrale de son sweat. Il savait très bien ce qu'il allait faire. Il avait tout prévu. C'était lui le prédateur.
Il avait décidé de prendre ce couteau. Le couteau qui se trouvait dans la cuisine familiale. Son père découpait les grosses tranches de rôtis avec. Il l'affûtait régulièrement. Il avait pris le couteau. Il avait senti son poids toute la journée et il avait l'impression qu'à tout moment un surveillant ou un professeur allait le remarquer. Il se ferait arrêté et serait jeté dans une salle d'interrogatoire ou peut-être pire. Ce n'était pas arrivé. Personne ne l'avait arrêté.
Le couteau en main, il l'avait pourchassé. Erwan se glissait. Il se faufilait. Lui tomber dessus, ce n'était pas évident, mais une fois que ce serait fait, il arrêterait de courir. Cette sale pédale ne bougerait plus. Devant son évier, il se prit à lever le regard sur le miroir et en croisant son reflet, il eut un haut le cœur. Qu'il était con. Il l'avait fait parce qu'il était le mec le plus abruti de la terre.
Il l'avait suivi. Il l'avait devancé. Il s'était retourné sur lui et sans lui laisser la moindre chance il avait sorti sa lame. Il l'avait poignardé. Le grand couteau à viande l'avait transpercé. Il avait à peine senti quand il était rentré dans la chaire. En faites, il avait surtout compris parce que les yeux d'Erwan s'étaient écarquillés. Ils étaient immenses. Ils le regardaient.
C'était à ce moment là qu'il l'avait compris. Il le tuait. Il le tuait et la dernière image qui serait gravée dans ses yeux, ce serait son visage. Pour l'éternité, Erwan l'observerait ainsi avec ses yeux qui disaient : tu m'as tué, c'est toi qui m'as tué. Il avait retiré la lame et les larmes étaient apparues dans les yeux d'Erwan. Sa bouche s'était entrouverte. Il était tombé, les mains plaquées sur sa plaie. Entre ses doigts, du sang s'écoulait. Il poussait sur ses jambes pour s'éloigner. Il essayait de s'éloigner de lui.
Avait-il peur qu'il finisse le travail ? Allait-il finir le travail ? Le couteau encore en main, il était resté là, à comprendre qu'il l'avait fait, qu'il pouvait continuer. Il pouvait le découper. Il pouvait le tuer. Les yeux d'Erwan le fixaient, terrorisés. Il l'avait clairement vu. C'était trop tard à présent. S'il ne l'achevait pas, Erwan allait le dénoncer. Il allait forcément le faire. Ou peut-être pas ? Des gens disaient ... Une fille, Rebecca, disait qu'on pouvait tout lui faire et qu'il ne parlait jamais. Il n'avait pas trop compris pourquoi elle disait une telle chose, mais il la croyait. Peut-être qu'il pouvait s'arrêter là et sans sortir. Peut-être pas.
Il était resté là, les bras ballants, le poids du couteau dans une main, pendant qu'Erwan reculait dans un angle sombre, comme s'il espérait pouvoir se cacher. Les larmes roulaient sur ses joues. Il n'était plus mignon ni quoique ce soit à ce moment là. Il eut envie de l'attraper, de déchirer son haut et de graver "pédale" dans sa peau. Il pouvait le faire. Il pouvait rendre ces marques définitives. Il avait fait un petit pas en avant et tout en le faisant, il s'était rendu compte de quelque chose d'affreux. Il pensait poignarder ce mec parce qu'il faisait du mal autour de lui .. juste en existant. Alors, il allait le tuer et la souffrance s'arrêterait. Il était le chic type dans l'histoire. Ouais, il était du bon côté, enfin, s'il s'arrêtait là. S'il traçait ça dans son corps, les enquêteurs diraient que c'était un crime homophobe et cette salope allait gagner. Il ne pouvait pas le faire. Il en avait envie, dans un élan de cruauté terrible, mais il ne pouvait pas le laisser gagner.
S'il ne l'avait pas achevé, ce n'était qu'à cause d'un bruit. Il avait eu peur et il avait fui comme un lâche. C'était sans doute idiot, Erwan allait le dénoncer. Sur le coup, il n'avait pensé qu'à ça. Le lendemain, il n'avait fait que vomir. Qu'avait-il fait ? Comment avait-il pu faire une chose pareille ? Il ne comprenait pas bien. Quand il avait entendu comment son crime était présenté, il s'était d'abord dit qu'ils n'avaient rien compris et puis, doucement, le doute était venu. Peut-être qu'ils avaient compris et qu'il se mentait à lui même. Peut-être. Peut-être que c'était lui le monstre. Surement même.
Il vomit dans l'évier. Il ne savait pas quoi faire. A présent, il considérait le fait qu'Erwan ait survécu comme une seconde chance. Il pouvait toujours parler et le dénoncer. Il n'y avait aucun doute. Il l'avait reconnu. Tant qu'il ne parlait pas, il restait cette ombre, cet inconnu, cette personne sans visage et sans nom qui avait commis un acte terrible. Tant qu'Erwan ne parlait pas, il restait un anonyme. Il pourrait être mille personnes différentes. Un enseignant. Un élève. Un surveillant. Il pourrait être n'importe qui. Juste un passant, un vagabond, un dérangé ... Un fou.
Si Erwan parlait, son monde s'effondrerait. Il ne serait plus cet anonyme. Il serait jugé. Mais Erwan ne parlait pas. Il n'avait pas parlé ce jour-là, ni le lendemain, ni le sur-lendemain. Il ne parlait pas. Il ne disait pas son nom, il ne levait pas le voile. Il ne le ferait pas, pas plus qu'il ne l'avait fait à l'époque de Terrance avait chuchoté Rebecca, à moitié satisfaite. Il n'avait pas compris pourquoi elle disait ça. Que s'était-il passé à l'époque de Terrance ? Qu'aurait-il dû dénoncer ? Peu importe. Savait-elle que c'était lui ? Non, sans doute pas. Il ne lui avait rien dit. Il gardait le silence, lui-aussi, comme Erwan. Ils étaient liés par la morsure d'une lame et le poids d'un secret.
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La poésie de l'encre
Storie d'amoreIl y a Solitude, d'un blanc éclatant, elle ne se laisse pas oublier. Elle a noué ses grands bras comme des voiles autour de ses épaules. Il y a Silence, il a l'habitude de passer inaperçu, mais un jour ou l'autre, il deviendra assourdissant. Il y a...