La caresse

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Ce fut à partir de ce moment là que la vie d'Erwan changea réellement. En cours, les élèves n'osaient pas trop lui poser des questions, et en dehors, les garçons étaient là. Nathaniel parlait sans difficulté de tout et de rien. Petit à petit, ils pourraient devenir amis. C'était une personne agréable à fréquenter. Il était d'un optimisme étonnant. Il souriait en permanence et riait de tout.

Zach était le plus difficile, pas parce qu'il était vraiment distant, mais plus parce qu'il avait l'air méfiant. A chaque fois qu'il le regardait un peu trop longtemps, Erwan se rappelait de la fois où il l'avait menacé dans le réfectoire. Il avait dit qu'il ne devait pas s'en prendre à Raphaël et Erwan pensait vraiment ne pas lui avoir fait le moindre mal. Mais il avait aussi dit de ne pas l'approcher et de le laisser tranquille et pour ça ... c'était plutôt un échec. Raphaël et lui étaient plus proches qu'il ne l'avait jamais été avec quiconque.

Erwan n'avait pas envie que cela change. Il voulait encore bénéficier de tout ça. Il voulait être protégé des coups et des insultes. Il voulait se sentir en sécurité. Il voulait sourire et peut-être même rire, à l'occasion. Il voulait goûter à ce truc que les autres semblaient avoir : être serein. Mais bien-sûr, tout n'était pas si évident que ça.

Lors des repas, pousser la nourriture dans son ventre était toujours un calvaire. Les autres ne disaient rien et ça lui allait très bien comme ça. Avec un peu de chance ils n'avaient même pas remarqué qu'il ne mangeait pratiquement rien ? Peut-être. Mais Raphaël voyait certaines choses. Il l'entendait la nuit se réveiller après un cauchemar trop brutal. Il savait qu'il courait jusqu'aux toilettes pour y vomir tout ce que son estomac avait réussi à absorber. Il ne pouvait pas louper ces moments d'humiliations totales où son propre corps se révoltait contre lui.

Avant, Raphaël se levait et il se contentait de rester là, à poser son regard froid sur ses épaules tremblantes dans une terrible déclaration qui aurait pu se résumer à un : "Je te vois". Après présent, lorsque Raphaël se levait, il lui caressait doucement le dos et lui murmurait des mots sans le moindre sens. Que cherchait-il à lui dire ? Peut-être qu'il voulait juste qu'il se calme et qu'il respire. C'était difficile lorsqu'il avait encore la tête pleine de cauchemars. C'était dur quand la seule envie qu'il pouvait avoir, c'était de hurler de toutes ses forces.

Raphaël le forçait à se relever, à se rincer la bouche et puis, il le prenait dans ses bras. C'était bizarre. C'était bon aussi. Etre dans les bras musclés de Raphaël, sentir son odeur et avoir la joue posée sur son torse. Il pouvait entendre les battements de son cœur. C'était une proximité qu'il n'aurait jamais espérée.

Ce soir, là, ils se retrouvèrent assis dans la salle de bain, sur le carrelage trop froid. Raphaël le tenait fermement comme s'il avait peur qu'il ne s'envole et Erwan profitait de cette étreinte pour se calmer. Le cauchemar avait été tout particulièrement affreux. Il tremblait encore et des larmes étaient toujours accrochées à ses cils. Il hésita un moment avant de se raccrocher au bras de Raphaël. Il posa néanmoins ses doigts dessus et s'y cramponna fermement. Là, dans cette étreinte, une chose nouvelle se produisit. Erwan comprit qu'il n'avait pas envie d'en sortir.

Il voulait de tout ça. Il voulait même plus. Il voulait quelqu'un qui penserait à lui, qui tiendrait à lui, qui serait prêt à beaucoup juste pour lui. Il voulait quelqu'un qui s'arrêterait s'il disait "non". Il voulait quelqu'un qui le respecterait. Il voulait un petit ami digne de ce nom. Est-ce qu'il le méritait ? Assurément pas ! Il en était convaincu, mais Raphaël était là. A titre d'essai, timidement, Erwan laissa sa main glissait sur le bras puissant qui le rassurait. Ce n'était qu'une caresse. Ce n'était pas grand chose et pourtant, ce n'était plus du tout un geste amical.

Raphaël se pencha davantage et contre son oreille lui murmura :

- Ça va ?
- ... oui.
- Tu vas prendre froid. Il faudrait retourner au lit.
- Je ne veux pas que tu me lâches.

Ce n'était qu'un soupir exténué, emprunt d'une vérité trop grande. Si Erwan avait été en meilleure forme, jamais il n'aurait laissé une telle déclaration lui échapper. Mais il n'en pouvait plus. Le manque de nourriture, les vomissements, la fatigue émotionnelle, tout était combiné pour le laisser dans un état de faiblesse tout à fait déplorable. Et Raphaël l'entendit ... Il entendit la demande, les mots qui ne furent pas prononcés et toute cette fatigue.

- Je te laisse pas.

Raphaël se redressa, tout en aidant Erwan à en faire de même. Il le tira à sa suite jusqu'à son propre lit et s'installa dessus avant d'ouvrir les bras dans une invitation très claire. Erwan hésita. Ce n'était pas bien. Il n'en avait pas le droit. Il allait faire du mal à Raphaël s'il acceptait, après tout, c'était ainsi que les choses se passaient et si Raphaël décidait de se comporter comme Terrance ? Il trembla tout en se rabrouant mentalement. Raphaël ne méritait-il pas davantage de confiance ? Sans doute que si. Alors il s'approcha et aussi délicatement qu'il en fut capable, il vient se blottir contre Raphaël. Le nez dans son cou, les mains accrochées à ses épaules, son torse couvert d'un tee-shirt contre le torse nu de l'autre jeune homme. Il s'accrocha à lui comme à une bouée de sauvetage et un soupir lui échappa quand il sentit Raphaël nouer ses bras autour de lui.

Ils ne parlèrent pas davantage. Ils s'endormirent et pour la première fois depuis très longtemps, Erwan ne fit pas le moindre cauchemar. Il dormit profondément, dans un cocon de chaleur, rassuré par le parfum de Raphaël. En y repensant le lendemain, il se sentirait gêné. Ses sentiments deviendraient encore plus confus lorsqu'au petit soir, il n'aurait qu'une envie, s'installer contre Raphaël pour passer une bonne nuit. Juste pouvoir se reposer et goûter à ce sentiment étrange de sécurité.

Drôle d'expérience.

De son côté, Raphaël garderait un souvenir doux de tout cela. Le souvenir du corps un peu trop mince d'Erwan sur lui. Son poids, trop léger et pourtant présent contre sa cage thoracique. Sa respiration contre son cou. Et puis, ce détail, émouvant et terrifiant de responsabilité. Erwan était paisible. Là, poser contre lui, reposant entre ses bras, recouvert de son étreinte, Erwan était juste paisible. 


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note : Voilà, c'était notre 50ième chapitre. Plus que 5 :) J'espère que ces moments "doux" vous auront plu :) 

La poésie de l'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant