ÉPISODE 112 - (partie 6/7)
Estimant avoir rempli sa mission – conduire son chanteur pot de colle à bon port –, Jeff prit congé. Les Tchèques le saluèrent d'un signe de tête, la plupart peu confiants en leur anglais. Red le maudit pour son lâche abandon, comme il le quittait d'un :
— Je dois trouver Jay.
Il le verrait dans la soirée ! Esseulé, il adopta une désinvolture de façade. En réalité, Edvin l'intimidait parfois, avec son regard pénétrant et ses traits du visage anguleux. Ce n'était pas plus mal que l'homme évite le contact oculaire. Red était fort aise de fréquenter Dean, dont la prestance l'immunisait un tantinet contre ce genre d'aura charismatique. Il refusait de se l'avouer encore, mais les airs autoritaires d'Edvin Srzenski stimulait cette part encline à la soumission, chez lui. Mais l'heure n'était plus à l'évitement de ce danger.
— Dites, vous croyez qu'il nous faudra combien de répétitions pour qu'on s'emboite, vous et moi ?
— Pardon ?
Red grimaça. Formulation malheureuse.
— Je veux dire, on rend quelque chose de sympatoche, mais sans réelle harmonie. Y'a pas de symbiose. En tout cas, pas celle que je cherche. On l'a tous senti, il manque ce « truc », ce feeling qu'il y avait à Soslë, lors de l'enregistrement de NINE D. Donc, articula-t-il avec lenteur, combien de tempes pensez-vous qu'il nous faudra pour nous ajuster, vous et moi ?
— Pourquoi « vous et moi » ? demanda Edvin, sur la défensive.
Il était question de l'orchestre et du groupe de rock. Pas uniquement de deux personnes. Red soupira et choisit d'être plus terre à terre, quitte à réutiliser son expression connotée.
— On ne s'emboite pas. (Il illustra son propos de ses doigts entrecroisés.) Je veux entendre une « symphonie ». Pas juste du son. On t'entend et on m'entend, mais je veux qu'on nous entende. Pas toi et moi, distinctement, mais « nous » ne faisant qu'un. Tu comprends ?
— Toi et moi, ça donne nous, se borna à dire Edvin, froid. Enfin, ce me semble.
Red ravala un grognement. La pointe de sarcasme laissait entendre qu'il n'était pas une lumière, pour ne pas saisir cette subtilité de la langue. Jakub haussa les épaules quand Edvin demanda son soutien d'une œillade. Il ignorait que Red Kellin était à lui seul la métonymie des Beat'ONE. Pourquoi le chanteur se mettait-il en avant quand le manque d'harmonie venait de tout le groupe ?
Vu leur langage corporel, les deux autres solistes, dont Red avait mangé le prénom, auraient préféré ne pas assister à cet échange. Edvin leur lança le regard « ne me laissez pas gérer seul ce guignol, pitié ! ». Sourds à sa supplique, ses compatriotes bredouillèrent une excuse en tchèque et prirent la clé des champs. Edvin souffla, puis s'exhorta à la patience.
— Écoute, er... Red. Je ne te suis pas vraiment.
— Tu es violoncelliste de formation ?
— C'est exact, confirma Edvin avec réserve.
L'instrument que jouait papa, songea Red avec un pincement au cœur. Raison de plus pour apprécier le bonhomme. Sauf s'il continuait de lui servir une soupe froide. Il exigea qu'on lui remette l'instrument.
— Joue-moi la version violoncelle de NINE DESOLATIONS OF A DOOMED. Je sais que tu en as mémorisé la partition.
D'ordinaire rétif avec l'autorité, Edvin se surprit à obtempérer. La curiosité l'éperonnait, malgré sa méfiance. Ils avaient un public, de plus en plus intéressé par leur manège. Une forte inspiration suivie d'une lente expiration aida le chef d'orchestre à se concentrer. La danse de son archet fut bientôt accompagnée au chant par Red. La voix claire et forte se posa sur celle baroque du violoncelle. Red gronda soudain, emmerdé.
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HOT CHILI - saison 4 ▄ PARTIE II
Romance. Quand le rock se marie au classique, les Beat'ONE font des rencontres bénéfiques à l'évolution de leur carrière. Mais l'une d'elles semble vue d'un mauvais œil par Dean, qui pressent des complications pour son couple. ...