ÉPISODE 119 - (partie 3/12)
La « faveur » s'appelait Sven Kraus. Le mètre quatre-vingt-cinq, iris d'agate, lèvres fines, longue crinière ondulée d'une blondeur vénitienne, il avait noué quelques mèches pour dégager son visage. Il passait pour une espèce d'Edvin plus grand, plus jeune, et potentiellement charismatique, n'eut été son look d'asperge dégingandé mi-geek, mi-hard-rockeur. Ses dix-sept ans – un mensonge à vue de nez, que démentait l'extrait d'acte de naissance sous les yeux de Red –, justifiaient sans doute sa timidité.
— La réponse est non.
Sacha s'indigna, y allant d'une tape peu amène sur le bras du chanteur.
— Tu délires ? C'est l'Apollon du Belvédère ! Même si son « styliste » mérite la prison.
Korgan ne s'embêta pas à dissimuler son sourire moqueur. Il le perdit lorsque sa femme enchaîna :
— Comment peux-tu refuser de prendre un tel dieu grec pour roadie ?
Certes, le gamin avait du charme. Du moins, en faisant abstraction du tissu lui épargnant la honte de la nudité. Mais Sacha n'était pas obligé de s'extasier devant un môme !
— Il est trop voyant pour un roadie, déclara Jeff avec nonchalance. Il fera de l'ombre au soleil.
L'actrice lui lança un regard furibond. Red en fit de même. Jeff recula son fauteuil d'un mètre, par mesure de sécurité. Sven déglutit, les mains moites, tétanisé d'être scanné par Red Kellin. Sa présence, dans le plus grand studio d'enregistrement qu'il ait jamais vu de sa jeune vie, relevait d'une chance inouïe. Quand Edvin lui avait annoncé qu'il verrait les Beat'ONE dans leur QG, il avait cru défaillir. Là, il n'osait pas s'évanouir, de peur de se ridiculiser comme une fiotte devant son idole. Mais putain, Red Kellin en chair et en os, quoi !
Cependant, la rockstar le toisait d'un œil rapace, tournant autour de lui tel un prédateur indécis sur le sort de sa proie. Cet homme était terrifiant, en vrai. Lorsque Red ouvrit à nouveau la bouche, Sven faillit rentrer la tête entre les épaules :
— Il ne parle pas la langue...
— Si, il se débrouille, l'interrompit Edvin. Il a des lacunes d'élocution, mais il comprend très bien.
— Toi, la ferme ! siffla Red.
Edvin soutint son œillade incendiaire. On dut lui reconnaître qu'il n'était pas du genre à s'écraser. Mais il avait été mal avisé. Nul ne défiait le dragon sur son terrain de chasse. La discussion se tenait à quatre heures du concert, et Red était connu pour se lever du mauvais pied, les jours de show. Un Tchèque abruti était en train d'aviver sa nervosité.
Seul avantage : le chanteur avait le don de changer cette irritation, ce stress, en excitation bénéfique, juste avant de monter sur scène. Edvin l'ignorait. Le malheureux, pensa Jay, sans se détourner de ses recherches sur son netbook. Red avait les pleins pouvoirs dans cette affaire. Il avait exigé au reste du groupe de ne pas trop s'en mêler.
Cela étant, Edvin les surprenait avec sa démarche blâmable, pour une histoire dont la solution était si simple. D'ailleurs, depuis quand passait-il par Red pour obtenir quelque chose des Beat'ONE ? Il l'évitait toujours à la moindre occasion ! S'il voulait mettre son neveu en relation avec eux, la logique aurait voulu qu'il passe par le leader.
Là encore, cela ne relevait plus de Jay, depuis que Coop-Com Record© s'était dégoté un staff technique permanent. Le responsable de l'équipe gérait ce genre de situation. Les Beat'ONE validaient certaines embauches, mais le reste du temps, s'en remettaient à leurs collaborateurs. Mais, soit ; ce n'était pas plus mal, puisque le membre le plus sensible avait le dernier droit de veto : Red.
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HOT CHILI - saison 4 ▄ PARTIE II
Romance. Quand le rock se marie au classique, les Beat'ONE font des rencontres bénéfiques à l'évolution de leur carrière. Mais l'une d'elles semble vue d'un mauvais œil par Dean, qui pressent des complications pour son couple. ...