Il était difficile de savoir avec précision quand le soleil se levait au-dessus de l'horizon en Frima car l'horizon était souvent découpé en dent de scie et au matin, la brume était presque toujours présente, et particulièrement dense. Tout au plus le lever du jour était dans cette contrée particulière, une très lente progression lumineuse passant de l'obscurité de la nuit à la lumière crépusculaire caractéristique des matins brumeux. En conséquence, il était difficile de distinguer la silhouette qui quittait le petit village. Ce dernier comportait huit bâtisses de pierre, de bois et de torchis, toute sur le même modèle, et dont les murs particulièrement épais avaient pour unique objectif d'isoler les habitants du climat particulièrement rude de la région.
La chasseuse, car l'arc dans sa main et le carquois dans son dos ne laissaient aucun doute sur sa fonction était la première à quitter le village. Les autres femmes devaient aider aux champs ou s'occuper des deux derniers nés de trois semaines et deux mois, respectivement. Une partie des hommes les assisterait tandis que l'autre suivrait les traces de la chasseuse, bien plus tard, afin de rejoindre la grande île à laquelle la petite presqu'île où se trouvait leur village, était rattachée. L'île principale, Merden Yargui, dans le langage des anciens, pour Longue Terre, s'étendant d'est en ouest sur une distance de presque dix jours de marche. Il en fallait trois autres pour la traverser dans sa plus grande largeur. Comme toutes les terres du nord, elle était particulièrement montagneuse et il n'était pas rare que la côte soit une série interminable de falaises battues par les flots. Mais s'il avait établi leur village à cet endroit, c'était justement parce que ce n'était pas le cas. La presqu'île toute entière s'apparentait à une colline, grande par la superficie, puisqu'en plus de leurs champs et de leur village, on trouvait un bois à la taille plus que respectable, et cette terre, ainsi que le bras qui la reliait à Merden Yargui se trouvait au niveau de la mer. Il y avait bien quelques récits et rochers, comme partout en Frima, mais on trouvait néanmoins des plages de galets, parfait pour y accoster les grands trains de bois que fabriquaient les hommes pendant tout l'été. De plus, Merden Yargui était suffisamment grande pour permettre l'exploitation du bois sans jamais en épuiser les réserves. Et elle abritait également une faune abondante, du moins selon les critères de Frima. On y trouvait plusieurs hardes de Siverns et de nombreuses colonies de Glaricz. Cette particularité pouvait s'expliquer en partie par la configuration montagneuse de Merden Yargui. En effet, ses collines escarpées et ses pics, même, par endroits, formaient comme une muraille contre les assauts les plus rudes du climat. On trouvait au centre de l'île quelques vallées particulièrement abritées où, si le temps n'était pas agréable selon la plupart des critères en vigueur de par le monde, il était particulièrement propice au développement des espèces animales taillées pour de telles climats, comme le Sivern et le Glaricz.
Ces vallées se trouvaient à plusieurs jours de marche mais les hardes de Siverns étaient de toute façon nomades et quittaient leurs abris dès que le temps le permettait. De même, si les Glaricz abondaient dans ces vallées, ils s'étaient également répandus dans toute l'île.
La chasseuse quitta rapidement l'enceinte du village marquée par les nombreux os des ancêtres qui protégeaient les habitants des esprits malveillants et de la mauvaise magie. Les vieilles légendes contaient que Frima était jadis sous la protection de créatures capable de prendre le contrôle de ces squelettes et de les animer pour défendre les Frimarkis mais c'était un mythe que tous considéraient comme du folklore, même si la tradition mortuaire perdurait. De mémoire d'homme, aucun ancêtre ne s'était jamais relevé.
Non, les vrais gardiens, c'était les têtes sur leur bâton runique. Amis comme ennemis servant de protection contre le monde extérieur. Les plus anciennes, les plus proches du village, près desquelles passaient la femme, n'étaient que des os depuis longtemps et le bois lui-même commençait à s'effriter, signe que bientôt ils rejoindraient les cairns gardiens. Peut-être même les plus honorables de ces ancêtres veilleraient sur les rares tombes du village : celles des enfants et des hommes et femmes emportés par la maladie ou dans un âge trop avancé pour qu'ils puissent encore servir la communauté dans la mort.
Le village avait été fondé trois générations plus tôt, presque un siècle auparavant, lorsqu'un Frimarkis s'était échoué sur l'île et avait découvert l'abondance, toute relative, de gibiers. Une fois secouru, la nouvelle avait circulé et trois familles s'étaient installées. Les trois familles existaient toujours même si, comme le voulait la tradition en Frima, les jeunes s'en étaient allés et d'autres étaient venus. Dans de si petites communautés, le brassage génétique était une nécessité. Les Frimarkis ne pouvaient se permettre de dégénérer. La nature ici ne pardonnait jamais les faiblesses.
Et des faiblesses, la chasseuse qui venait de dépasser la dernière tête, la plus récente, datant de la fin de l'hiver, n'en avait pas. Elle était un pur produit du nord. Elle mesurait probablement près d'un mètre quatre-vingts. Ses cheveux presque blancs étaient tressés avec soin de manière à ne pas la gêner et descendait loin dans son dos, presque jusqu'à ses fesses. Le lien de cuir était orné de nombreux ossements, d'origine animale. En hiver, ils étaient attachés plus librement afin qu'à chacun de ses mouvements, ou presque, retentisse le bruit caractéristique des os. En été, cependant, ils étaient emmêlés dans les cheveux. Les chasseuses comptaient autant sur leur agilité que sur la discrétion pour traquer leurs proies. Leur taille était à la fois un handicap et un avantage. En effet, elles ne pouvaient facilement se cacher mais lorsqu'il s'agissait de poursuivre leur proie ou d'enjamber les monceaux de bois mort qui jonchait toujours le sol, leurs grandes jambes étaient un atout de poids. Ses yeux étaient d'un bleu particulièrement clair. Certains croisements avec les hommes du sud avaient donné une couleur parfois extraordinaire à certains Frimarkis, un bleu particulièrement vivant et électrique qui pouvait captiver leurs interlocuteurs sans effort. Ce n'était pas le cas de cette femme. Ils étaient d'un bleu si pâle qu'il virait presque au gris. Une nuance beaucoup plus classique et bien plus répandue.
Son corps était dissimulé sous une couche de fourrure, bien moins épaisses que celles que portaient les plus téméraires qui s'aventuraient dehors en hiver, mais qui couvrait tout de même tout à l'exception de la tête et des mains. Ses pieds étaient chaussés de bottes en peau dont la fourrure intérieure permettait d'éviter les engelures même lorsqu'elle devait traverser une plaque de neige oubliée par le soleil.
Malgré sa tenue, on devinait à ses mouvements et à leur aisance la santé de la femme, enfin, de la jeune femme. Son visage laissait deviner un âge qui devait osciller autour de la vingtaine de printemps. Elle n'arborait par ailleurs pas de tatouage au coin des yeux, et elle n'était en conséquence pas engagée dans une relation durable avec un ou une compagne. Par contre, il était impossible de dire si elle était née ici et n'avait pas encore quitté le cocon familial pour trouver son âme sœur ou si au contraire elle n'était la que depuis peu. Il était possible aussi, qu'elle fasse partie de ces Frimarkis qui ne quittaient jamais leur village natal et qui se satisfaisait d'une vie de célibataire, souvent occupée à prendre soin de leur famille et trouvant leur désir d'enfants satisfait par leurs neveux et nièces. Non, la seule chose que l'on pouvait dire c'était qu'elle était taillée pour avaler les kilomètres. La vapeur de son souffle ne s'élevait que rarement dans l'air, quoi que régulièrement, et ce malgré le rythme où elle allait. Bien des hommes, plus petits il est vrai, auraient été obligés de courir pour suivre son pas.
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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...
