Chapitre 3 : Valkyries (10)

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Il y avait là trois livres, bien plus uniques que ceux qu'elle avait trouvés dans la table de chevet. Le premier était le journal de bord du navire. Il remontait sur plusieurs années et c'était un volume particulièrement épais dans lequel on n'avait cessé de rajouter des feuillets, le transformant en un hybride de dossier et de livre. La combattante ne chercha pas à l'ouvrir, se doutant qu'il y en avait pour des heures de lecture. Seule la dernière partie les concernait mais elle avait dans l'idée que pour comprendre les hommes du sud et le fonctionnement de leur armée, ou en l'occurrence, de leur marine, l'ensemble du document était particulièrement précieux.

Le second volume était à peine moins épais et après la lecture de quelques pages au hasard, il s'avéra que c'était le journal intime d'un homme qu'elle supposa être le capitaine et qui remontait sur presque vingt ans. Là aussi, la lecture pouvait se révéler instructive. Le dernier livre, plus petit, était un rapport de mission. Son cœur accéléra lorsqu'elle lut le titre mais si après lecture de certains passages, il s'avérait bel et bien qu'on y décrivait le raid de ces hommes sur Frima, le journal semblait plus relater la vie quotidienne à bord. Probablement de manière à permettre à la hiérarchie de tirer expérience de chacune des expéditions. Les ordres de la mission étaient évoqués mais non écrit et il n'y avait aucun récit détaillé des attaques.

Elle le mit de côté également, même si elle doutait d'apprendre quoique ce soit d'utile à sa lecture. Peut-être apprendrait-elle une ou deux faiblesses dans la cohésion de ces soldats si bien entraînés mais les deux autres textes avaient la priorité.

La commode contenait également quelques bijoux, encore que ces richesses restaient relativement maigres. Peut-être une forme de « fond de liquidité » dont bénéficiait chaque expédition afin de se sortir de situations difficiles ou d'effectuer des réparations coûteuses. Contrairement à la monnaie, qui était propre à chaque pays, un bijou restait un bijou, quel que soit le lieu où l'on se trouvait. L'utilité de ce petit trésor était néanmoins presque nul à Frima mais il pouvait s'agir d'un reste d'une expédition précédente ou d'une procédure appliquée par habitude, même si elle n'avait pas d'intérêt dans le cas présent. Il y avait également une pile de dossiers, chacun comportant plusieurs feuillets avec un nom sur la première page. Elle comprit rapidement qu'elle avait entre ses mains une liste de tous ceux qu'elle avait tué la veille, une liste très précise puisqu'elle précisait le nom, le lieu de naissance et surtout, la carrière militaire de chacun des soldats du navire.

Elle s'installa plus confortablement contre le mur et entreprit de regarder plus en détails l'un des dossiers, histoire de voir qui avait été envoyé dans le nord pour y réduire la civilisation à néant.

Il s'avéra bien vite que ce n'était pas une mesure disciplinaire, un moyen de mettre à l'écart les éléments fauteurs de trouble tout en les occupant. Loin de là. Le dossier qu'elle avait entre les mains était impressionnant. L'homme était un orphelin entièrement dévoué à l'armée qui l'avait plus ou moins pris sous son aile dès l'âge de six ans. À neuf ans, il avait été engagé comme cantine puis à l'adolescence, il avait été formé aux armes et était devenu soldat. Il semblait s'être fait remarquer à plusieurs reprises et n'était pas resté en première ligne bien longtemps. La liste de conflit auquel il avait participé prenait une bonne page et demi et il y en avait quinze autres pour lister ses affectations au cours de chacune de ces guerres. Dans l'ensemble, l'abondance d'expérience n'était pas surprenante pour les royaumes du Sud. Tant qu'un soldat survivait, il était quasi certain d'avoir au moins un conflit par an à son actif. Mais les missions remplies étaient bien plus atypiques. Il s'agissait d'actions « coup de poing » : des actes de violences souvent extrêmes, pratiqués derrière les lignes ennemies, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du front. Il y avait là la une ligne presque exhaustive des horreurs de la civilisation du sud : assassinats commandités, incendies de ville et de récoltes, massacres de village avec son lot de pillages et autres exactions qu'on ne nommait pas en Frima.

Et à chaque fois, l'équipe dans laquelle le soldat avait servi, pas toujours la même, disparaissait dans la campagne et parvenait à rejoindre les terres amies. Parfois sans heurts, parfois au prix de lourdes pertes. C'était clairement un soldat d'élite et dans la mesure, où, malgré son expérience et ses compétences, il n'était que simple soldat dans l'unité qui avait semé la mort depuis plusieurs semaines, c'était un homme à la mesure des autres. Ce n'était pas un simple bataillon qu'elles avaient exterminé la veille mais un commando d'élite.

Elle résuma sa trouvaille à ses deux compagnes tout en parcourant d'un œil rapide les autres dossiers pour confirmer sa théorie.

- Mais pourquoi envoyait de tels hommes ici ? Cela n'a pas de sens. Il n'y a rien pour leur résister, rien à prendre, pas d'armées trop fortes dont il faille saper la puissance, fit remarquer avec justesse la villageoise qui s'accordait une pause.

La serrure à laquelle elle s'attaquait été bien plus compliquées notamment à cause de sa plus petite taille. Elle peinait à voir à l'intérieur et à comprendre comment forcer le mécanisme. Sa joue était plus que brûlante à force de se trouver presque dans la flamme de la lampe. Si cela continuait ainsi, elle allait laisser jaillir sa frustration et simplement exploser le fragile meuble. Il ne serait pas difficile, ensuite, de récupérer le contenu du tiroir dans les débris.

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