Shield Maiden

Chapitre 4 : Forge the legend (1)

La nuit était tombée depuis plusieurs heures lorsque les habitants de Dir Landen furent réveillés par une lumière si intense qu'elle semblait ignorer les murs. Elle était si puissante que même lorsque les forges tournaient à plein régime, nul n'avait le souvenir d'une telle luminosité. Hagards et à moitié aveuglés, ils sortirent sur le pas des sas, observant de leurs yeux médusés, se demandant même si ce n'était pas un rêve, une tornade de lumière qui tourbillonnait au centre du village. C'était improbable mais elle gagna encore en intensité avant de finir en une violence explosion de lumière qui sembla par la suite s'effondrer sur elle-même. Une minute à peine après le début du phénomène, il ne restait plus qu'une lueur résiduelle en lieu et place de la terrible tornade et en son centre, se tenaient trois silhouettes. Si les deux premières étaient humaines, la dernière ne l'était pas. Il y eut tout d'abord un silence stupéfait puis les bruissements des murmures. Que diable venaient faire deux Shield Maiden et une Valkyrie au centre de leur village. D'autant que des rumeurs couraient comme quoi la plupart des guerrières avaient quitté la terre pour voguer d'île en île à la recherche des origines d'une étrange rumeur. Quant aux Valkyries, elles étaient des mythes et pourtant la créature qui se tenait là ressemblait étrangement aux nombreuses gravures que l'on trouvait dans les grottes et dans les galeries de mine abandonnées, les plus anciennes, celles qui se trouvaient les plus près de la surface. Et que dire du moyen de transport, de cette apparition ? Était-ce là la magie des plus anciennes légendes ?

Quelles que soient les réponses à ces questions, il n'y avait pas de doute, dans aucun des esprits du village : il se passait quelque chose d'important, qui devrait changer la vie en Frima. Si les légendes anciennes foulaient à nouveau les terres, si les Shield Maiden venaient les trouver au milieu de la nuit, c'était que le besoin d'armes se faisait sentir, c'était que la guerre se préparait. La toute première guerre, et probablement la dernière, de l'Histoire de Frima. Alors, sans un mot, sans même attendre que les nouvelles arrivantes sortent de l'immobilité, les plus anciens, les plus expérimentés, quittèrent leurs familles pour rejoindre l'enfer des forges souveraines. Ils avaient besoin de plans, de spécifications, de détails techniques mais avant tout, il fallait lancer la fonte des minerais. Le reste pourrait se faire une fois cette étape cruciale enclenchée

Un instant, elles se trouvaient dans la petite maison si polémique du village natal de Æsa et celui d'après, tout n'était plus que couleur. Elles avaient eu l'impression de voler, de tomber, de monter, d'être poussées vers l'avant et l'arrière, écrasées et étirées, et tout cela en même temps. Tout n'avait duré que quelques instants, et, étrangement, sans la moindre douleur, mais leurs esprits n'en étaient pas moins perturbés lorsqu'elles atterrirent finalement au milieu d'un village encaissé au cœur de très hautes montagnes dont les sommets se découpaient sur le fond étoilé. C'était l'une de ces rares nuits où aucune des deux lunes ne se montraient et, encore plus rare, où aucun nuage ou brume ne venait cacher la vue. En fait, des nuits comme celle-ci, alors que l'été était là, était unique. C'était surtout en hiver, lorsque le froid était si intense que même les nuages ne pouvaient s'élever, que l'on pouvait profiter de l'infini univers. Autour d'elles les gens s'activaient : ils murmuraient, bougeaient, parfois se mettaient à courir et à crier des ordres. Ils semblaient savoir de quoi il en retournait alors même qu'aucune des deux femmes ne savaient ce qu'elles faisaient là, et même où elles étaient. Et la valkyrie, immobile et impassible semblait attendre qu'elles reprennent leurs esprits.

Lorsqu'elle comprit que c'était fait, elle les regarda tour à tour puis s'adressa à Æsa :

- Ton âme réclame vengeance et réparation. Tu choisirais à terme de devenir Shield Maiden mais notre temps est compté et même si je ne saurais douter de la vaillance d'aucune femme de mon peuple, tu as beaucoup à apprendre.

Lyvanya, qui venait de comprendre ou de reconnaître les lieux, prit la suite. La Valkyrie avait beau connaître les Frimarques depuis la nuit des temps, la culture des Shield Maiden était tout aussi fournie, que ce soit les récits de leurs plus grandes victoires ou défaites, les mythes qui berçaient leur création ou les traditions ancrées jusqu'au plus profond des Âges.

- C'est ici que sont forgées les lames des guerrières de Frima. C'est ici que pendant deux jours, avec l'aide des meilleurs artisans de ce pays, tu vas apprendre de toi-même et qu'avec eux, grâce à leur savoir et aux dons qui leur sont propres, la puissance de ton âme gagnera son pendant matériel. C'est ici que naîtront les deux lames qui te suivront de leur naissance jusqu'à ta mort. Aujourd'hui, en ce lieu, j'en suis témoin, tu fais tes premiers pas de Shield Maiden.

C'était des paroles rituelles, qui, elle devait l'avouer, alors même qu'elle était une férue de l'histoire de son ordre, elle avait parfois trouvées trop pompeuses. Mais ce n'était plus le cas, pas alors qu'elle les prononçait à nouveau sous le regard si impressionnant d'une Valkyrie. À dire vrai, elle se sentait même pousser des ailes. En cet instant, elle aurait pu sans peine se jeter face à la plus invincible des armées sans la moindre peur. Il y avait eu des milliers de générations de Shield Maiden et en ce lieu, à ce moment précis, elle pouvait sentir la force de ces milliers d'esprits avec elle. Elle ne douta plus de l'avenir. Elle ne douta plus de l'enquête qu'allaient mener les Valkyries. Elle sentait au plus profond de ses tripes que pour la première et la dernière fois de leur histoire, les Shield Maiden entraient en guerre. Pour la première fois, ce n'était pas une centaine de petits groupes qui allaient débusquer l'ennemi et le traquer mais une seule et unique armée, forte de presque deux cents têtes, qui se tiendraient fièrement sur le champ de bataille. Quatre cents lames d'acier et d'argent et des milliers de flèches qui allaient s'abattre avec une fureur vengeresse, sans aucune pitié, sur ceux qui avaient apporté en Frima une vague de morts et d'infamies sans précédente. Il y aurait un avant et un après. Tout avait commencé avec les rumeurs du printemps mais elle était consciente que pour les Frimarques, le début de cette histoire, quel qu'en soit le dénouement, se situerait cette nuit, au cœur de l'un des plus anciens villages des terres du nord.