Shield Maiden

Chapitre 4 : Forge the legend (2)

Forger les armes d'une Shield Maiden était un acte rigide, avec un très lourd protocole qu'il fallait suivre à la lettre. Il était éprouvant pour les forgerons comme pour les deux Shield Maiden : la mentor et la nouvelle arrivante. Ce que personne ne disait, c'était qu'il était pourtant probable qu'elles ne servent pas plus de cinq ou six ans. Nombreuses étaient les Shield Maiden à mourir des rigueurs du climat, elles qui étaient exposées à ses caprices plus que nul autre en Frima, ou des lames des pillards qui, s'ils faisaient bien moins de victimes que les récentes attaques, n'en venait pas moins, avec une certaine régularité, chercher fortune et gloire dans les eaux gelées du nord. Rares étaient ceux qui en repartaient vivants mais cela n'empêchait pas moins les Shield Maiden de tomber au combat.

Le rituel durait deux jours et deux nuits pendant lesquels ni les forgerons ni les Shield Maiden ne pouvaient grappiller le moindre repos. Il y avait toujours quelques choses à mesurer, des questions auxquelles répondre et des rituels à exécuter.

Guid'Obscure avait disparu dès que les opérations avaient commencé et lorsqu'enfin l'écho du dernier coup de marteau cessa de retentir dans les forges souterraines, il n'y avait plus guère d'énergie dans les corps des humains qui avaient participé à ce projet. Les lames étaient forgées et tous tombaient de fatigue. Les deux Shield Maiden furent accueillies dans des couches de fortune dans une famille du village et elles dormirent, tout comme les forgerons, toute la nuit, puis la journée et la nuit qui suivirent, n'émergeant qu'à l'aube du quatrième jour suivant leur arrivée. Quelqu'un était descendu à la forge entre temps et les poignets des épées avaient été travaillées avec soin pour correspondre parfaitement aux mains de Æsa.

C'était étrange d'avoir ces deux armes de mort entre ses mains. Leur poids avait, étrangement, quelque chose de réconfortant. Les entrelacs d'argent captaient la lumière du soleil, semblant la boire au lieu de la refléter comme l'acier environnant. En conséquent, les runes et dessins se dessinaient sous forme d'obscurité au cœur de la lumière. C'était un spectacle aussi fascinant qu'hypnotisant et la chasseuse avait du mal à se dire que ces armes étaient à elle pour le restant de ses jours. Moins d'une semaine plutôt, elle partait simplement chasser et voilà qu'aujourd'hui, elle se retrouvait Shield Maiden, sur le point d'aller mourir dans les terres du Sud.

Cette sombre pensée l'obligea à se demander si elle regrettait ce qu'elle allait faire, si elle voulait esquiver cette guerre d'une manière ou d'une autre mais après une longue introspection, elle fut surprise de constater que ce n'était pas le cas. Au contraire, elle était impatiente que vienne le moment, non car elle désirait mourir, mais, comme l'avait vu la Valkyrie, parce que toute son âme criait de rage et de douleur et ne réclamer que la vengeance. Un feu impétueux la consumait et il ne pouvait y avoir qu'une seule issue. Cela ne la rendait ni triste ni heureuse. C'était et cela serait ainsi. Rien ni personne ne pouvait changer cela désormais.

- Alors, on se sent différente, n'est-ce pas ?

Lyvanya avait un sourire en coin, un sourire qui disait que désormais, elle partageait le même secret.

- Je crois que c'est ainsi pour chacune d'entre nous. Il y a dans tous ces rituels une part de magie que nul ne comprend mais qui est bien réelle. Maintenant que tu as les griffes, il est temps de te faire passer du chaton joueur à la chatte enragée défendant sa couvée avec brio. Aujourd'hui plus que jamais, cela me semble nécessaire. Dans un premier temps, tu vas avoir besoin de t'habituer à ces armes, de laisser le temps à ton corps de comprendre qu'il y a quelque chose en plus au bout de tes bras. Quelque chose pour défendre et attaquer. Si j'ai compris le délai que nous a laissé la Valkyrie, nous avions une semaine. C'est déjà le quatrième jour. J'aime donc autant te dire que cela va être intense et que tu seras loin d'être prête. Profite en conséquence de chaque instant libre que tu pourras grappiller pour t'entraîner. Pendant le voyage, si nous décidons de rallier le sud, n'hésite pas à demander à nos sœurs de t'aider avec des combats d'entraînement.

La chasseuse eut à peine le temps d'acquiescer que Lyvanya, qui tenait un long bâton dans sa main, l'attaqua. Sa parade réflexe manquait clairement d'efficacité et tout en renouvelant le mouvement, la Shield Maiden expliqua :

- Il est relativement aisé de manipuler des épées, quoique cela demande bien plus d'entraînement avec deux lames qu'une. C'est une technique de combat qui demande beaucoup d'agilité, de la concentration et une grande mobilité. Nous sommes taillées pour, et c'est pourquoi cela fait bien longtemps que l'on ne se questionne plus sur le choix des armes d'une nouvelle recrue. Par contre, même avec une bonne technique, ce qui fait la différence dans un combat, c'est la précision. Ton cerveau n'est pas habitué à viser avec une telle allonge et lorsque tu as deux lames courtes, chaque coup doit être mortel. Si je te demande de toucher un nœud de bois avec ton doigt, ton mouvement sera fluide et rapide. Si tu fais la même chose avec la pointe d'une épée, tu frapperas à côté. Et si tu prends ton temps... et bien tu n'as pas le temps en combat. C'est le but de cet exercice. Tu vas parer encore et encore ce bout de bois. Tu vas apprendre peu à peu de la technique, mais surtout, ces milliers d'expériences vont apprendre à ton esprit à manipuler avec dextérité cette nouvelle distance.

Et la combattante tint ses promesses. Æsa avait pris avec grand soin ses deux lames à l'aube, alors qu'elle se réveillait enfin. Lorsque le crépuscule vint, ses bras ne parvenaient qu'à grande peine à éviter que les lames ne traînent sur le sol. Son corps était couvert de bleu car avec le temps, alors que sa fatigue était toujours plus importante, Lyvanya n'avait cessé d'augmenter la difficulté de ses attaques, à tel point qu'elle avait failli briser les doigts de la chasseuse dans le dernier mouvement. Ce fut enfin le signe de repos pour les deux femmes. Si la plus âgée faisait bonne figure, habituée à ce rythme, la plus jeune aurait pu s'endormir à même le sol si cela ne l'avait pas condamnée à ne jamais se réveiller.