Chapitre 2 : Shadows of the Ancient Times (fin)

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Elle se tut quelques instants et son regard se perdit dans le vide avant qu'elle ne reprenne une bouchée.

- Je suis née bien plus à l'ouest et Aaditya est du continent, donc je ne connaissais pas vraiment la région. Néanmoins, je savais comment me rendre à Firlindel.

La chasseuse hocha la tête. Firlindel était une ville à l'échelle de Frima. Un groupement de trente à quarante maisons, profitant une des rares vallées où la culture était presque possible. C'était le seul endroit de Frima où quelqu'un était parvenu à faire pousser des céréales, même si cela n'avait eu lieu que parce que l'été avait été particulièrement long et clément cette année-là. On disait que la vallée abritait plus de quatre cents âmes, protégées l'hiver par des collines pentues montant jusqu'à trois ou quatre cents mètres. L'île qui abritait cette communauté était à peine plus grande que celle où ils se trouvaient actuellement et elle bénéficiait elle aussi de quelques particularités géographiques et climatiques propices à la chasse. C'était presque un Eden. C'était également l'un des rares endroits de Frima qui était connu dans le sud car quand des marchands tentaient de venir écouler leurs marchandises, ils se rendaient là, ou dans des gros villages plus à l'est et à l'ouest.

- Et je n'étais pas la seule. On n'a pas eu besoin de chercher pour savoir d'où venait la rumeur et si elle était vraie. Le village avait été massacré. Certains ont pu s'échapper mais même une semaine après les évènements, ils n'avaient pas encore fini de rassembler tous les corps. Apparemment, il y avait là cinq bateaux de soldats. Il y a eu plus de combats qu'ici car les villageois étaient bien plus nombreux mais à part une dizaine de morts chez ceux du sud, cela n'a pas changé grand-chose. Ce qui nous a mis la puce à l'oreille, c'est qu'il n'y a pas eu de pillage lorsque les survivants se sont enfuis. Ils ont pris de la nourriture, certes, mais pas tout, loin de là, même si c'était facilement accessible. Les navires se sont séparés et nous avons suivi les traces de celui qui a fini ici, en suivant d'abord les indications d'un survivant de Firlindel puis en allant toujours plus à l'ouest. Nous sommes passées par quatorze villages avant le tien.

La chasseuse n'osa pas la poser la question. Cela semblait impossible.

- Non, il n'y a plus âme qui vive d'ici jusqu'à Firlindel à moins de remonter vers le nord ou de descendre vers le sud. Aaditya et moi avons fait tout ce que nous pouvions pour combler notre retard. Ils s'arrêtaient tôt pour bivouaquer et avec le temps, ils sembleraient qu'ils aient perdu leur prudence, s'attardant parfois une nuit entière dans les ruines de leurs méfaits. Cela nous aura au moins permis de mettre fin à ça.

- Entre ici et Finlindel... répéta la villageoise en état de choc.

Les communautés Frimarques étaient relativement nombreuses car ils vivaient en tout petits groupes mais il y avait tout de même quelques heures voir jours de voyage entre chaque localité. Elle peinait à imaginer un voyage de deux semaines et demi pendant lequel elle ne pourrait voir que mort et ruine.

- Et... Et les autres navires ?

- Je ne sais pas. Il est probable qu'ils ont fini par tomber sur des Shield Maiden également. Nous sommes nombreuses à parcourir les îles cette année à cause de la rumeur dont je t'ai parlée et les traces de leurs exactions ne sont pas difficiles à suivre. Mais oui, c'est une année noire pour nous. Il nous faudra probablement un siècle ou deux avant de pouvoir reprendre possession de tous les endroits qui ont été rasés.

- Mais... Pourquoi ?

La chasseuse avait beau se faire violence, elle avait toutes les peines du monde à ne pas pleurer. Les Frimarques étaient habitués à la mort. Ils la côtoyaient souvent. Mais jamais à une aussi grande échelle. Ils n'avaient pas de richesses ni de pouvoir. Leurs terres ne valaient pas grand-chose. Certains pillards désespérés hantaient parfois leurs côtes mais ils ne restaient jamais bien longtemps, comprenant vite qu'ils n'étaient pas taillés pour ce climat et qu'il n'y avait rien pour eux.

- Je ne sais pas. C'est une question qui me hante également. Quand je vois leur travail, leur acharnement méthodique et leur manière de se battre, aussi, depuis cet après-midi... Plus j'y pense et plus je me dis que ce ne sont pas des pillards ou des brigands mais une véritable armée. Sans étendard et sans tambour, mais une armée tout de même. Et elle ne semble pas chercher le pouvoir, puisque nous n'en avons pas. Alors de ce que j'ai vu, je dirais que les hommes du sud, un royaume ou peut-être plusieurs, ont décidé de rayer notre peuple de l'Histoire et de la carte. J'ai juste du mal à comprendre ce qui peut justifier une telle dépense d'argent et de temps. Il est risqué de passer la Mâchoire des Dragons et une telle expédition coûte cher et ne rapportera rien. Je ne comprends pas. Je ne sais pas, vraiment.

Le silence retomba, presque mortel. Lyvanya détourna les yeux en voyant les larmes de la chasseuse. Elle comprenait la jeune femme. Même elle, pourtant une guerrière accomplie, n'avait pu s'empêcher de hurler de rage et de douleur à plusieurs reprises ces dernières semaines. Ils avaient tué une trentaine de soldats aujourd'hui. Mais ce n'était qu'une génération. Les hommes proliféraient dans le sud grâce à des terres fertiles et à une nature généreuse. Comme elle l'avait dit à Æsa, il faudrait des dizaines voir des centaines d'années pour que les Frimarques se remettent d'un coup pareil. Leur démographie n'était que très légèrement positive à cause de la rigueur de la vie dans ces territoires gelés et inhospitaliers. Des familles entières, du vieillard au nourrisson de quelques heures avaient été exterminées sans état d'âme. Lors des nuits les plus sombres de ces derniers jours, elle s'était demandée si ce n'était pas tout simplement la fin de Frima. Elle avait du mal à concevoir comment son peuple, celui qu'elle avait juré de protéger des années plus tôt, pouvait se relever après cela.. Il survivrait probablement encore un peu. Mais si les dégâts sur l'ensemble de Frima étaient à la mesure de ce qu'elle avait vu, il était plus que probable que les Frimarques ne soient plus qu'une légende d'ici à un millénaire. L'isolement finirait par achever le travail qui avait été fait ce dernier mois par ceux du Sud.

Alors que chacune des trois femmes sombrait toujours un peu plus loin dans de sombres pensées, presque aussi noires que l'avenir qui se dessinait pour le Nord, le bébé commença à s'agiter, leur permettant à toutes les trois de reprendre leur esprit même si ce fut Aaditya qui s'occupa de préparer la mixture pour l'enfant.

Avec une patience que l'on ne pouvait deviner, elle mélangea avec soin un peu d'eau brûlante, du lait et du sang. Les deux derniers étaient frais, donnant au mélange une température à peine tiède. Elle résolut également le problème de la tétée, d'abord en trempant son doigt dans le breuvage avant de le porter à la bouche de l'enfant, puis devant le succès mitigé de l'opération, en se servant d'un tissu qu'elle imbibait avec soin et qu'elle avait enroulé autour de son index. Cela prit un long moment et les vagissements apaisés du poupon parvinrent à ramener un semblant de sourire sur les lèvres des trois femmes.

Lorsqu'elle finit par s'endormir, elles décidèrent toutes trois de faire de même, ne voulant pas à nouveau évoquer les évènements du jour et leurs conséquences, à court ou à long terme. Le matin viendrait bien assez tôt pour cela.

Les deux Shield Maiden et l'enfant rejoignirent leurs deux couches et la chasseuse déplaça la sienne devant le poêle, comme prévu, après avoir rajouté quelques bûches dans ce dernier. Cela devrait permettre d'avoir encore quelques braises au matin, voir quelques flammèches si elle se réveillait au cours de la nuit. À sa plus grande surprise, ce ne fut pas le cas.

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