Shield Maiden

Chapitre 2 : Shadows of the Ancient Times (4)

Le silence perdura jusqu'à ce que la viande soit cuite et ils en profitèrent pour réorganiser les couchages de la maisonnée. Aaditya prit le grand lit conjugale où elle avait prévu de dormir avec le bébé. Il semblait à la chasseuse que la jeune guerrière s'attachait un peu trop à l'enfant mais il était vrai aussi que cette dernière ne pouvait dormir seule sans risque à cet âge. Le feu finirait par s'éteindre et sans la chaleur d'un corps, le nouveau né devrait faire avec ses maigres réserves. Dans la mesure où elle serait probablement rationnée sur la nourriture dans les jours à venir, toute économie d'énergie était bonne à prendre.

Lyvanya, quant à elle, déplaça la couche d'un des enfants du couple près de la porte d'entrée. Le sas permettait d'isoler un peu du froid mais cela resterait tout de même l'emplacement le moins chauffé de toute la maisonnée. Elle devait agir par habitude plus que par confort. Elle semblait avoir la quarantaine mais les traits des Frimarques âgés finissaient toujours figés et vieillis par les difficiles conditions de vie et la rigueur du climat quand ils étaient amenés à sortir. Les Shield Maiden étant nomades, cela devait être encore plus vrai pour elle. Existait-il des guerrières particulièrement agées ou arrivées à un certain âge, se retiraient-elles dans les villages qui étaient éparpillés sur tout le territoire qu'elles protégeaient ? Ou finissait-elle par mourir, leur corps incapable de suivre le rythme particulièrement éprouvant qu'imposé Frima à ceux qui ne pouvaient se terrer dans une grotte ou une maison bien chauffée la majeure partie de l'année ? La chasseuse se demanda si elle oserait poser la question. Le sujet n'était jamais abordé dans aucun des récits qu'elle avait entendus. Il est vrai qu'elle avait toujours plus prêté attention, et rêvassé, à la vie nomade et aux combats épiques qu'aux aspects plus banals de la vie des guerrières.

De son côté, Æsa, après avoir regardé les deux comparses s'installer, déplaça une couche dans la pièce de vie. Une fois qu'elles iraient se coucher, elle la mettrait devant le poêle. C'était un emplacement de choix qui était normalement réservé aux anciens mais dans la mesure où aucune des guerrières n'avait semblé intéressées et qu'il n'y avait plus d'anciens... Elle avait envisagé un instant d'aller chercher son propre couchage chez elle mais si cette maison n'avait pas été fouillée, c'était probablement parce qu'elle était la plus petite. Les autres avaient été visées en premier, probablement, et elle ne se sentait pas le courage de voir son chez elle dévasté voir même, avec un peu de malchance, couvert de sang. Elle commençait à pouvoir faire face à l'idée que près de quatre-vingts cadavres regardaient le ciel s'assombrir et se couvrir d'étoiles juste aux portes du village. Elle intégrait progressivement ces morts et ses conséquences. Mais entre un cadavre, un mort donc, et la mort en elle-même, l'action de tout ce qui s'était déroulée en son absence... Elle était moins sûre de pouvoir le supporter sans s'effondrer une nouvelle fois. Peut-être Lyvanya avait-elle compris cela car après avoir demandé des informations à la chasseuse, c'est elle qui prit la direction du Wampyarza afin de récupérer le lait pour le bébé, laissant les deux femmes seules.

Æsa fut la première à parler :

- Tu es née Shield Maiden ? Demanda-t-elle, même si elle savait que ces dernières ne comportaient aucun homme, il était toujours possible que sa mère se soit amusée lors d'une traversée de village.

- Non. J'ai croisé Lyvanya il y a une dizaine d'années. Elle était avec une autre femme mais elle est morte quelques mois plus tard pendant l'hiver. Mon village se trouvait sur le continent, enclavé dans l'une des vallées. Les hivers y sont moins rudes qu'ici mais c'est plus isolé. Je n'avais pas envie de partir à l'aventure pour trouver un lieu où passer ma vie. Je maniais déjà l'arc avec talent, j'étais une chasseuse comme toi et après avoir un peu insisté, je suis repartie avec Lyvanya et sa compagne. Elles m'ont formée et finalement, je suis devenue une vraie guerrière. Le plus dur, c'est le premier combat. Mais toi, tu n'as plus ce problème.

Elle grimaça un peu, tout en souriant, déformant bizarrement son visage si bien qu'il fut impossible à la chasseuse de comprendre s'il y avait un sous-entendu ou non sur cette dernière phrase.

- Ce n'est pas trop dur la vie de nomade ?

- Cela dépend. On évite de circuler dans les îles en hiver, parce que c'est plus compliqué de trouver un abri alors que sur la côte, il y a beaucoup de grottes. Ce qui est le plus difficile, c'est l'inaction. Quand tu as l'habitude de bouger toute la journée mais qu'une tempête t'empêche de te déplacer, il est difficile de garder patience, surtout si tu as eu le malheur de choisir un refuge trop petit pour cohabiter à deux sans se marcher dessus. Mais c'est comme tout, on s'y fait. Au moins, on a rarement des soucis de nourriture. Il est pas bien compliquer d'attraper une proie de temps en temps.

Æsa hocha la tête. Quand on était déjà dehors en hiver, on pouvait se permettre de chasser mais les villageois ne pouvaient se permettre ce genre de folie. C'était trop dangereux, bien évidemment, mais surtout, cela risquait de surexploiter une ressource qui n'était pas si abondante. Chasser presque toutes les proies d'une région était le meilleur moyen de condamner un village. Ça ou une attaque de pillards, il est vrai. Mais on ne pouvait pas faire grand-chose contre le second cas de figure.

Lyvanya revint sur cette entrefaite.

- J'ai trouvé. Il y a de quoi tenir deux ou trois jours en rationnant la gamine. Cela ne va pas être simple.

- Pourquoi ne pas rallonger le lait avec de l'eau et du sang ? Proposa la plus jeune des Shield Maiden.

L'autre guerrière sembla y réfléchir quelques secondes puis hocha la tête.

- C'est une bonne idée pour ce soir. Demain, le sang sera trop ancien, encore qu'on pourrait facilement en donner un peu toutes les trois. Je vais chercher de quoi, préparez la table.