Chapitre 3 : Valkyries (4)

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Elle ralentit dehors et se dirigea à pas plus lent vers la plus petite maison du village, tout en regardant ce qu'elle avait récupéré. Un inventaire rapide la rassura : tout n'y était pas, certes, mais c'était largement suffisant. Il y avait un épais tissu fait pour absorber l'eau et des vêtements de rechange. Elle devrait garder ses fourrures mais c'était normal. On ne changeait que la couche inférieure de vêtement. Cela demandait bien trop de ressource de doubler tous les jeux de vêtement pour chacun des villageois alors on se contentait de faire en double, ou en triple, ceux en tissu et on lavait de temps en temps ceux en fourrure, en cuir ou en peau.

Elle posa à même le sol, à côté, de la porte de son logement temporaire, ce dont elle n'avait pas besoin, et prit la direction de la crique.

Si le village n'était pas situé directement sur la côte, il n'y avait que deux à trois cents mètres entre lui et le rivage. Ces derniers étaient majoritairement couverts par des bois qui permettait d'atténuer, quoique très légèrement, la plus grosse part de l'influence climatique de l'eau. Au contraire de la majorité des autres chemins et bois du reste des environs, les deux étaient particulièrement bien entretenus.

Le bois était régulièrement nettoyé de son bois mort sur une distance de dix mètres autour du chemin et ce dernier était très large, mesurant presque cinq mètres. Pour éviter que la boue ne se crée en raison des passages répétés en été, lorsque le sol n'était pas gelé, on avait posé des pierres aux endroits les plus problématiques. Ces pierres étaient directement issues des champs que les villageois cultivaient. Quand cela ne suffisait pas, particulièrement dans deux cuvettes un peu plus prononcée, les habitants du village avaient été jusqu'à construire des sortes de ponton de bois.

Il y avait cependant une raison à toute cette débauche d'énergie et de moyens. En effet, la large plage de galets était l'endroit où arrivaient les trains d'arbres abattus par les hommes sur les rivages de l'île. En conséquence, ce chemin était très souvent emprunté et avec parfois des charges imposantes : de lourdes bûches voir des arbres entiers que l'on traînait jusqu'au village.

La rivière, un ruisseau au nom bien pompeux, il est vrai, était également la source d'eau du village en été. Elle naissait dans un amas de rocher, presque plus haut de la colline que formait la presqu'île. Elle circulait en murmurant, à un débit presque ridicule, entre les cailloux couverts de lichens et les arbres avant de grossir petit à petit. Le mouvement de l'eau était cependant loin d'être suffisant pour contrer les grands froids du climat de Frima si bien que le ruisseau était gelé presque dix mois sur douze. En conséquence, l'hiver, l'eau du village provenait principalement de la neige qui s'accumulait à l'automne et pendant certaines tempêtes.

On accédait à la « piscine » aménagée dans le lit du ruisseau suffisamment en amont de l'embouchure pour que l'eau salée ne remonte pas jusque-là, par un chemin de pierre là aussi bien entretenu et même travaillé avec des marches sculptées dans la roche. C'était purement esthétique, contrairement au travail qui avait été effectuée sur la « route » qui reliait la crique au village, mais dans la mesure où c'était le seul lieu à l'extérieur où les villageois se rendraient toujours, quelques artistes refoulés avaient pu se défouler sur la pierre sans que cela ne fasse grincer des dents dans le village. Si la plupart des marches restaient cependant de constitution grossière, certaines autres avaient été travaillées avec soin et on y trouvait des sigles ou des dessins que les milliers de pas avaient polis, rendant leur lecture ou leur sens impossible à déchiffrer.

Elle ne s'attarda pas une fois arrivée au bord du ruisseau. Elle se déshabilla rapidement, saisie par le froid et entra d'un pas assuré dans l'eau. Il fallait une sacrée dose de courage et de volonté pour ne pas s'arrêter jusqu'à être complètement immergé. C'était un acte qui avait le mérite de nettoyer l'esprit en un rien de temps. Le froid était si impressionnant que l'on ne pouvait penser à rien d'autre. Et on ne pouvait s'attarder plus de quelques minutes non plus.

En conséquence, la chasseuse s'activa, se frottant vivement la peau avec ses mains, utilisant un galet pour frotter la plante épaisse de ses pieds afin de nettoyer les cals qu'elle avait presque depuis son plus jeune âge. Elle plongea la tête sous l'eau et défit la lourde natte, laissant ses cheveux flotter dans le faible courant et se servant de ses doigts pour les démêler puis pour les dégraisser, frottant ses mèches entre elles sous l'eau avant de les démêler à nouveau et de répéter l'opération. C'était une tâche fastidieuse mais nécessaire, à moins de couper le tout et elle n'y tenait pas particulièrement. Nombreuses était les femmes à s'être résolue à une telle extrémité, dans la mesure où entretenir de longs cheveux était une tâche qui prenait du temps, un temps dont les Frimarques avaient rarement le luxe pendant les « beaux » jours mais elle y tenait. Elle les avait toujours eu long depuis l'enfance et même les séjours prolongés dans le ruisseau que cela imposait ne lui faisait pas regretter sa décision. En plus, ses lourds cheveux avaient le mérite de lui tenir le crâne au chaud.

Elle s'attarda plus longtemps que prévu dans les eaux glaciales mais elle en ressortit avec la sensation d'être propre et saine. Elle grelottait cependant de froid et elle épongea rapidement l'excédant d'eau avec l'épais tissu prévu à cet effet puis enferma ses cheveux dedans. Il leur faudrait quelque temps au coin du feu pour sécher et en attendant, elle ne voulait pas qu'ils goûtent sur les vêtements qu'elle était en train d'enfiler. Elle s'assura ensuite qu'elle n'avait rien oublié et reprit la direction du village avec l'intention de s'installer près du poêle. Les vêtements qu'elle portait avaient absorbé l'eau restante sur son corps et puisque elle avait l'occasion et le temps de se réchauffer et de sécher près du feu, pourquoi s'en priver. Par contre, la petite dernière n'était plus là pour refaire sa natte le temps venu. Elle mit toutes ses forces à contrer la vague de tristesse qui se leva à cette pensée et décida finalement que n'importe laquelle des Shield Maiden pourrait le faire. Toutes deux portaient en effet une coiffure sophistiquée qui permettait d'avoir une épaisse couche de cheveux sur la tête sans apporter la moindre prise à un adversaire. C'était une coiffure guerrière et pratique en même temps, à l'image du mythe des Shield Maiden. Cela devait prendre à certains temps à réaliser mais du temps, ces guerrières en avaient probablement plus que les villageois et elles passaient bien plus de temps qu'eux dehors si bien que cette maigre protection supplémentaire contre le froid en valait la peine. Cependant, même si elle devait se joindre à elles le temps de se trouver autre chose, un autre village où vivre par exemple, elle savait qu'elle ne renoncerait pas à sa longue natte. Elle trouvait le poids de ses cheveux réconfortants et aimait les sentir s'animer lorsqu'elle faisait des mouvements brusques ou qu'elle devait courir.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant