Chapitre 3 : Valkyries (14)

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- Il nous faudrait des jours pour rassembler suffisamment de pierres pour faire les cairns des enfants et ceux du mémorial pour les adultes, finit par dire Lyvanya alors qu'elles traversaient en silence les bois de la presqu'île, n'ayant pas échangé un mot depuis qu'elles avaient quitté l'embarcation. Il sera probablement plus simple de prendre des pierres de la plage. On pourrait les mettre dans des draps et traîner ces charges sur le chemin qui a été bien aménagé.

- Servons-nous d'abord dans les pierriers en bordure des champs. C'est toujours là qu'on lance les pierres que nous déterrons. En se servant de la technique des draps, et en sélectionnant les plus grosses pierres, on devrait déjà pouvoir rassembler une bonne quantité de matériel. On pourra ensuite compléter avec les galets d'une plage mais même s'ils sont plus abondants, leur forme se prête un peu moins au jeu de construction que tu veux entreprendre pour le mémorial, Lyvanya, et en plus, la distance est loin d'être la même. La route qui est entretenue est pratique pour marcher quel que soit le temps mais elle comporte de nombreux obstacles qui pourraient déchirer facilement des draps lourdement chargés si on les tirait dessus. Ou alors, il ne faut pas trop charger les draps mais à ce moment, il faudra faire de nombreux trajets.

- Non, tu as raison Æsa. Nous piocherons d'abord dans les pierriers. On donnera la priorité au monument. Les cairns des enfants auront moins besoin de structures et en conséquence, des pierres arrondies pourront suffirent. Où se trouvent les autres corps d'ailleurs ? Nous n'avons constaté aucun cairn hier avec Aaditya.

- Nous entretenons une clairière à l'écart du village pour eux. Contrairement aux ossements qui se dégradent avec le temps, les cairns tendent à tenir longtemps et les anciens racontaient qu'à la création du village, dans la mesure où il n'y avait presque pas de terrain propice aux cultures, il fallait éviter que les cairns s'accumulent aux abords du village et ne grignote peu à peu ces terres durement arrachées à la forêt.

- Une sage décision. Les gens acceptent sans trop de peine la mort des êtres plus âgés mais ils ont plus de mal, surtout après un décès récent, à passer devant une tombe.

Pour quiconque qui n'était pas Frimarque, cette phrase aurait paru ubuesque. Les enfants avaient au moins une tombe et ce n'était pas leurs os que l'on pouvait voir en sortant de sa maison mais les os étaient bien moins personnels, mélangés à des milliers d'autres tout autour du village. De plus, la mort, tant qu'elle touchait un adulte qui avait déjà vécu et fait ses choix de vie, était bien plus facilement acceptée, car la nature de Frima était dure. C'était l'une des raisons principales pour laquelle le rapport à la mort des Frimarques était si différent de tous les autres peuples. Ils côtoyaient en permanence la mort et chacune de leur action pouvait leur coûter la vie, bien plus facilement qu'ailleurs, et ce malgré les corps robustes dont les avaient dotés l'évolution. Ils n'étaient presque jamais malades, grandissaient vite et pouvaient tenir et être efficace pendant un certain temps sans se nourrir. Ils n'avaient jamais le temps de pleurer les morts plus de quelques heures, à part lorsque la nourriture était plus abondante mais même alors, l'estomac et la survie des vivants avaient bien plus d'importances qu'un esprit qui avait nécessairement rejoint un monde meilleur et bien plus clément.

Rien n'avait bougé dans le village, sans surprise. Elles déposèrent leur chargement dans la maison qui les abritait, à l'exception des Glaricz qui furent déposés près de la porte, à l'extérieur puis se réunirent au soleil pour décider de la suite du programme.

- Il est encore tôt mais nous n'avons pas fait un bon repas ce matin alors deux options s'offrent à nous : manger maintenant puis nous mettre au travail, ou alors commencer puis faire une pause repas avant de reprendre un peu plus tard, résuma Lyvanya.

Elles se regardèrent toutes les trois mais aucune ne semblait réellement motivée. Elles avaient toutes les trois beaucoup de choses à digérer et quoi de mieux que de le faire autour d'un repas bien chaud. Alors d'un commun accord, la plus âgée des deux combattantes et la villageoise retournèrent à l'intérieur tandis que la seconde guerrière se dirigeait vers les champs pour prélever un autre cuissot. Il y avait encore de la viande sur celui de la veille mais avec une telle abondance, cela aurait été dommage de ne pas en prendre un « frais ». Bien sûr l'homme était mort depuis presque une journée maintenant mais le climat de Frima était propice à la conservation, il fallait lui reconnaître ce bienfait et la cuisson aidait grandement à faire en sorte qu'elles consomment une viande sans danger, quoique leur estomac puisse sans trop de peine supporter des apports bien plus... limites.

Le repas se déroula en silence, les deux guerrières lisant ce qu'elles avaient ramené tout en mangeant. Elles s'activèrent ensuite dans les champs et lorsque le soleil vint effleurer le haut des arbres à l'ouest, elles avaient enfin fini cette tâche titanesque. La chasseuse avait ajouté les trois têtes qu'elle avait prélevées durant les combats de la veille à toutes les autres et le « monument » se dressait désormais au centre du village. Les corps des enfants avaient été emmenés et enterrés sous des cairns dans la clairière prévue à cet effet. Ceux des adultes, en revanche, avaient finalement étaient disposés en un très large cercle autour des maisons, l'essentiel de ce cercle passant dans les bois environnants. Aaditya avait en effet fait remarquer que ce n'était pas là des ossements et qu'en conséquence, surtout vu la période de l'année, une telle quantité de cadavres et de viande en décomposition pourraient incommoder ceux qui viendraient les remplacer. Bien entendu, il était plus qu'improbable que quiconque ne s'installe ici avant plusieurs années, surtout si les autres navires du sud avaient produit autant de dégâts que celui qu'elles avaient stoppé mais aucune des deux autres femmes n'avait soulevé cette douloureuse réalité.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant