Elle ne se blessa pas, mais le bruit fut assourdissant à ses propres oreilles et la réaction ne se fit pas tarder. Même les stupides sudistes devaient savoir qu'il n'y avait pas de gros gibiers dans la région, du moins rien capable de faire un tel bruit, en dehors d'un humain. Elle entendit des cris et elle venait à peine de se relever lorsque l'arbre à côté de sa tête explosa sous l'impact d'un projectile.
Elle s'élança par réflexe dans une course en zigzag et disparut bientôt en haut de la pente. Alors qu'elle dévalait cette dernière à l'abri des regards, elle comprit que l'arbre avait probablement subi l'impact d'un de ces traits d'arbalètes et son cœur accéléra de terreur. Si le bois solide et ferme pouvait subir de tel dommage, elle n'avait aucune chance si elle était touchée. Derrière elle, elle entendit le bruit d'une course et des cris, plus loin, l'informèrent que le restant de la troupe s'élançait vers le village. Elle n'avait aucune chance de traverser le gué avant eux avec suffisamment d'avance pour être hors de portée des arbalètes qu'ils avaient en leur possession. Elle gémit de terreur sans ralentir et bifurqua vers l'intérieur de l'île. Elle ne pouvait plus que prier pour que le village sache recevoir ces envahisseurs. Mais au fond d'elle, elle savait. Et quand un autre tronc explosa un peu derrière elle, elle oublia tout et se concentra sur sa course.
Il ne lui fallut que deux ou trois minutes pour reprendre ses esprits et alors qu'elle courrait toujours aussi vite, elle réfléchit. Elle entendait toujours ses poursuivants, deux ou trois hommes, tout au plus, mais elle avait pris un peu d'avance. Elle était taillée pour ce terrain et pas eux. À chaque crête qu'elle franchissait presque sans s'en rendre compte, ils devaient avoir le souffle un peu plus court et les jambes plus lourdes. Elle comprit qu'elle avait un avantage mais qu'il ne leur faudrait pas longtemps pour s'en rendre compte. Alors ils abandonneraient la poursuite et se joindrait aux combats au village. Peut-être savaient-ils qu'elle n'aurait aucune chance de survie, ou plus probablement, préféreraient-ils faire couler le sang plutôt que de s'épuiser pour rien dans les bois.
Elle franchit une nouvelle crête sans ralentir, consciente qu'ils pouvaient la voir depuis le bas de la montée et s'élança dans la descente comme dans les précédentes mais à peine était-elle hors de vue qu'elle s'arrêta dans un violent dérapage, provoquant la chute d'une pierre qui commença à rouler toujours plus bas, brisant le bois sur son passage, un leurre parfait, quoi qu'imprévu. Elle ne perdit pas de temps à s'attarder sur sa bonne fortune et remonta en deux pas le peu qu'elle avait descendu, arma son arc et attendit, cachée par la crête. Elle compta soigneusement et soupira de soulagement : il n'y avait que deux bruits de pas qui la suivait. Elle décompta ensuite les secondes, évaluant la distance avec soin. Elle ne pouvait avoir le dessus. Elle devait les avoir en un instant. Une fois la surprise passée, si elle n'avait pas gagné, elle était perdue.
Deux...
Un...
Elle bondit de sa position accroupie, son buste dépassant largement la ligne de crête et décocha presque à bout portant sa flèche qui traversa le crâne de l'homme le plus proche, à deux mètres de là. L'homme bascula en arrière sous l'impact sans même avoir le temps de pousser un cri. Son comparse mis une seconde à comprendre ce qu'il se passait. Une seconde de trop. Sa flèche n'avait pas encore atteint sa cible que la chasseuse avait déjà lâché son arc et porté la main à sa ceinture. Elle plongea en avant en hurlant et percuta de plein fouet son poursuivant toujours surpris. Ils basculèrent tous les deux dans la pente et roulèrent jusqu'en bas dans un mélange de bras et de jambes mais c'était déjà fini. Elle s'était servie de ses quatre-vingts kilos de muscles, bandés à pleine puissante, et de sa position surélevée pour enfoncer sans peine sa lame à travers les côtes jusqu'au cœur. La nature l'avait aidée, certes, en brisant la nuque de l'homme sur un rocher, mais le combat était déjà fini.
Elle se dépêtra du cadavre et resta de longues minutes allongées sur le sol, à trembler sous le coup de l'adrénaline. Elle ne sentait rien, même si elle s'était probablement faite mal dans la dégringolade. Sans qu'elle ne s'en rende réellement compte, les larmes commencèrent à couler sur ses joues et elle mit longtemps avant de comprendre que c'était elle qui poussait des sanglots gorgés de panique. Elle tenta de s'administrer une bonne claque mentale pour reprendre le contrôle, une infime partie de son esprit consciente qu'elle devait bouger et agir, rapidement. Elle pouvait encore aider au village mais la nature avait repris ses droits et elle ne contrôlait plus rien, victime de cette énergie même qui lui avait permis de tuer ces deux hommes. De faire ces deux premières victimes humaines.
Il se passa dix longues minutes. Dix minutes qu'elle passa à trembler et à gémir. Dix minutes où la faible étincelle de conscience et de logique dans son esprit s'agaça et se maudit jusqu'à ce qu'enfin, cette colère contre elle-même et sa faiblesse, au plus mauvais moment, ou presque, lui permette de reprendre le dessus. Lorsqu'elle se redressa violemment et essuya ses larmes avec rage, elle comprit qu'elle n'était pas au bout de ses peines. Elle se sentait exaltée, comme après avoir trop bu des breuvages fermentés que l'on sortait parfois à l'occasion d'une naissance ou d'un décès. Elle ne pouvait le comprendre, mais elle était ivre d'adrénaline. Alors elle s'accorda une longue minute pour s'évaluer avant de se mettre debout.
Ses gestes étaient toujours aussi précis et si sa vision semblait si dilatée et si précise, cela ne semblait pas être dû à un ralentissement de ses fonctions connectives comme cela lui était arrivé par le passé avec l'alcool. Une fois rassurée sur ses capacités et ayant retrouvé ses esprits et son contrôle, elle se mit au travail sans tarder.
Elle arracha sans ménagement la lame qui était toujours plantée dans le corps à côté d'elle puis la replongea violemment, dans le même mouvement, dans le coup de sa victime, tranchant sans peine la trachée et se glissant entre les vertèbres. La largeur de la lame et la violence de l'impact et la courbe que décrivait l'arme suffire pour séparer la tête du corps. Elle l'attrapa par ses cheveux puis remonta jusqu'à mi-pente vers l'autre homme. Elle répéta l'autre opération avec la même violence, laissant la flèche qui s'était largement enfoncée dans le cerveau en place. Elle termina ensuite de monter vers la crête, récupéra son arc, rangea son couteau et s'élança à grand pas, économe mais relativement rapide, vers le village. Elle s'était éloignée à pleine vitesse si bien qu'elle était maintenant à presque trois quarts d'heure de marche. Elle n'avait plus aucune chance d'arriver à temps. Sauf si les villageois résistaient mais elle n'y croyait guère. Ses poursuivants n'avaient pu recharger leurs arbalètes tout en la coursant, elles avaient d'ailleurs probablement été abandonnées aussitôt après le tir, mais il n'en serait pas de même au village. Elle verrouilla ses pensées, s'empêchant d'imaginer une scène qu'elle n'avait par ailleurs aucun mal à visualiser et se vida l'esprit, se concentrant uniquement sur le poids réconfortant de son arc dans sa main gauche et celui, plus étrange, des deux têtes dans sa main droite. Elle parvint même à sourire en comprenant l'ironie des coutumes de son peuple : c'était les têtes de ses ennemis qui serviraient à effrayer les prochains qui viendraient avec la mort dans l'esprit et dans la main. Chaque fois qu'elle tuait, elle se renforçait et affaiblissait doublement l'ennemi. D'abord par le nombre puis par l'esprit.
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Shield Maiden
خيال (فانتازيا)Il existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...