Chapitre 1 : Arrows Lullaby (4)

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Elle mit presque vingt minutes pour rejoindre le gué. Elle aurait pu faire bien mieux mais elle était consciente qu'un carreau d'arbalète pouvait la cueillir à n'importe quel moment si elle n'était pas attentive et prudente. Heureusement, ou malheureusement, car cela signifiait qu'elle avait perdu du temps pour rien, elle ne croisa personne et la lande de pierre était déserte. Elle s'engagea cependant avec deux fois plus de prudence dans le bois qui la séparait encore du village. À chaque pas qu'elle faisait, elle se rapprochait de la catastrophe. Que pourrait-elle bien faire contre trente hommes armés ? Le village comptait une cinquantaine d'habitants et aucun n'était équipé pour la guerre. Si l'attaque avait déjà eu lieu, ils avaient dû cueillir les hommes et les femmes dans les champs. Peut-être un ou deux bûcherons avaient-ils encore leurs haches mais ils ne pourraient rien faire. En ignorant les anciens et les enfants, c'était presque du un pour un. D'un côté des guerriers et de l'autre des innocents. Elle ne cessait d'essayer de se préparer au carnage qu'elle allait trouver sans pour autant sans s'effondrer.

Plus elle s'approchait, et plus elle était consciente que c'était le silence devant elle. Il n'y avait là nul cri, nulle clameur d'un éventuel combat. L'assaut s'était-il déjà terminé ? Ou n'avait-il pas encore eu lieu ? Finalement, au loin, elle distingua une lumière parmi les arbres et elle sut qu'elle arrivait en vue des habitations. Le terrain, de ce côté-ci de la presqu'île n'avait pas été déblayé au-delà d'une trentaine de mètres des maisons. Et il n'y avait toujours aucun de ces barbares du sud. Elle hésita à avancer plus loin, son esprit recommençant à partir à la dérive comme lors de la poursuite. Ses mains tremblaient et consciente que si elle faisait une mauvaise rencontre maintenant, elle serait incapable de se défendre, elle s'assit à l'abri d'un arbre qui était tombé pendant l'hiver et que les hommes avaient réservé pour la fin de l'été, lorsque les jours et le temps ne permettraient plus d'aller aussi loin du village sans risque. Enfin presque sans risque, Frima étant ce qu'il était.

Elle posa son arc sur ses genoux et se concentra sur le bois et les gravures qui le décoraient. Les hivers étaient longs et particulièrement vides, en conséquence de quoi les Frimarques, malgré l'austérité de leurs vies, étaient-ils très portés sur l'art. Les tables, les chaises et même les poutres ou les montants des portes étaient taillés avec soin. Son arc, elle l'avait décoré elle-même. C'était une arme travaillée, en trois parties assemblées au printemps avec de la corne de Sivern et de la peau de Glaricz. Presque un bijou de technologie, mortellement précis à presque cent-cinquante mètres. Conçu pour percer la peau épaisse de la faune de Frima. Les flèches, quant à elles, étaient toutes à usage unique. Là aussi, l'hiver laisser tout le temps nécessaire pour les fabriquer. Faute de faune aviaire, les empennages étaient fabriqués à partir des feuilles d'une plante qui poussait vers la fin de l'été. Partiellement caoutchouteux, ses feuilles résistaient sans peine une année entière sans perdre leur souplesse, ou du moins, en conservaient-elles suffisamment pour remplir leur rôle. Les pointes d'os étaient conçues pour se briser à l'impact, diminuant la force de pénétration de la flèche et lui permettant de rester fichée dans le corps de la proie. C'était la seule raison pour laquelle la tête de l'homme qu'elle avait poursuivi n'avait pas explosé sous l'impact. La pointe avait dû se briser en mille morceaux au contact du crâne et le bois avait continué sur sa lancée, perdant cependant une bonne partie de sa force car les fûts étaient partiellement rugueux. Pas du meilleur effet pour la guerre et les protections que portaient les hommes du sud mais si elle visait avec attention, elle pouvait tout de même en tuer quelques-uns. Les traits étaient conçus, malgré leurs caractéristiques, pour rester particulièrement silencieux. Presque quinze ans qu'elle taillait des flèches et elle avait confiance en ces dernières pour l'accompagner dans cette folle entreprise. Elle ne s'accorda pas d'autre réflexion, mettant à promis ce court élan de bravoure et de courage. Elle se redressa d'un mouvement souple, à moitié accroupie, ramassa les deux têtes et s'élança au pas de course en lisière du bois, ignorant les cadavres et se concentrant sur ses proies.

La première d'entre elle était offerte sur un plateau. L'homme se tenait à l'arrière du bâtiment le plus proche, son arbalète posée contre le mur. Il était tranquillement en train de fumer quelque chose et regardait vers l'est sans vraiment y prêter attention. Elle n'était pas dans son dos mais presque dans son angle mort. Elle n'hésita pas. Elle laissa tomber les têtes et dans le même mouvement tira une flèche de son dos, l'arma, se redressa et décrocha son trait avant de s'accroupir à nouveau. Elle s'accorda une demi-seconde pour vérifier que la trajectoire de la flèche était bonne puis, juste avant l'impact, jaillit du bois avec juste son couteau dans la main. Elle se plaqua violemment contre le mur à côté de l'homme mort, jeta un rapide coup d'œil circulaire puis abattit son arme tout en se laissant tomber. La tête se détacha sans soucis et tenant le couteau et les cheveux dans une main, elle s'élança à nouveau vers le bois tout en raflant l'arbalète au passage. Elle fut surprise par le poids de cette dernière et faillit perdre l'équilibre mais elle regagna l'abri des arbres à peine dix secondes après l'avoir quitté. Là, elle s'accorda une pause. Son cœur battait la chamade. Elle en profita pour faire le point sur sa prise de guerre.

L'arbalète semblait armée et un carreau était engagé. Un autre était rangé dans un repli du lourd manche, prévu à cet effet. Et c'était tout. Elle n'avait pas d'autres munitions. Elle regarda vers le cadavre et vit la sacoche fermée attachée à la jambe mais décida de s'en passer. Elle n'était même pas sûr de savoir comment réarmer l'arme. Et vu la tension qu'elle sentait dans l'engin, il ne devait pas être silencieux du tout. Elle récupéra son arc, lia les cheveux des trois têtes et se remit en route, bien plus lourdement chargée.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant