Elle s'empara d'un bol qui traînait et laissa la jarre contenant le lait sur la table avant de sortir au pas de course. La chasseuse n'eut pas de chance dans sa fouille pour trouver les brocs et les assiettes. Il n'y avait que quatre placards dans la cuisine et ce fut dans le dernier des quatre qu'elle trouva ce qu'elle cherchait. De son côté, Aaditya joua avec deux couteaux pour sortir la viande du four et la poser dans le plat que la villageoise avait déniché. La plus âgée des trois femmes revient quelques instants plus tard, toujours au pas de course. Elle s'était servie de sa main pour couvrir le bol et ne pas perdre son précieux liquide.
- Si le bébé réclame, on lui préparera quelques choses. En attendant, mangeons. Cela fait un bon moment que je n'ai pas pu profiter d'un repas décent.
Æsa fronça les sourcils. La plus jeune des deux guerrières ne venait-elle pas de lui expliquer que le nomadisme permettait au moins de manger à sa faim la plupart du temps ?
Elle s'installa en silence, troublée par les paroles de ça vis-à-vis et par cette situation inédite. Aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours mangé dans la même pièce, à la même place, et surtout entourée de toute sa famille. La table qui avait vu tant de repas ne se trouvait probablement qu'à quelques mètres de là, tout au plus une centaine, et pourtant, elle avait l'impression d'être à des milliers de kilomètres. Il n'y avait pas ses deux plus jeunes frères pour se chamailler, pas les cris du petit dernier, son neveu qui gisait avec les autres dehors. Il n'y avait plus tous ces milliers de bruits et de gestes auxquels elle était habituée et sur lesquels elle comptait sans s'en rendre compte. Ils étaient trois autour d'une table bien plus petite que celle qu'elle avait toujours connue et pourtant, elle avait l'impression d'être seule. Plus de coups de coude ou de hanche plus ou moins discret pour grappiller un ou deux centimètres de banc. Plus de plats à faire circuler, plus de personne criant pour se faire entendre de son interlocuteur à l'autre bout de la table. C'était tellement différent...
Ils taillèrent de généreuses parts dans le cuissot et commencèrent à manger en silence. Du coin de l'œil, la chasseuse vit que Lyvanya n'avait pas menti : les deux Shield Maiden n'avaient pas dû prendre le temps de manger depuis un bon moment. Elles ne s'embarrassaient même pas avec les couteaux, arrachant directement la chair avec leurs dents et de violents coups de tête. De son côté, elle s'acharna à découper sa part en petits morceaux qu'elle portait à sa bouche avec ses doigts. La viande était brûlante quoique encore saignante à cœur. D'ailleurs, elles n'en avaient pris que les couches supérieures, laissant entre un et deux centimètres de chair autour de l'os. Ils pourraient toujours le remettre quelques minutes dans le poêle pour finir de cuir la viande si elles avaient encore faim. La chasseuse leur accorda quelques minutes avant de prendre l'initiative de la conversation :
- Pourquoi avez-vous si faim ? On n'est en été, vous ne devriez pas avoir de soucis pour trouver des proies ? Surtout sur cette île.
- Pourquoi surtout sur cette île ? Lui demanda Lyvanya avec intérêt, quoique sans lever les yeux de son plat.
La chasseuse lui expliqua rapidement les conditions qui avaient favorisé l'implantation du village.
- Je vois. Je suppose qu'avec de tels atouts en main, le village sera réoccupé un jour ou l'autre. Pour répondre à ta première question, nous sommes en traque depuis presque trois semaines et nous n'avions pas de temps à perdre pour chasser.
- Trois semaines ? Mais qu'est-ce qui...
La villageoise se tut et pâlit en comprenant. Cela faisait trois semaines que les Shield Maiden pourchassaient les soldats qui avaient trouvé la mort cet après-midi. Il était difficile d'imaginer quiconque étranger à la région survivre aussi longtemps avec un tel prédateur à ses trousses.
- Je suppose que le plus simple, c'est de commencer par le début. Sais-tu comment les Shield Maiden communiquent entre elles Æsa ?
Cette dernière secoua la tête. Il est vrai que les guerrières du nord étaient un ordre relativement homogène malgré leur mode de vie en petits groupes de deux à dix individus. Elles se réunissaient parfois lorsque le danger menaçait mais dans aucune histoire des anciens, les moyens qui leur permettaient de communiquer entre elles n'étaient évoqués.
- Il existe dans toute la partie de Frima où nous errons, des milliers de petits sanctuaires, parfois perdus loin des villages, parfois dans ces derniers. Les Shield Maiden qui passent là écrivent sur des journaux des compte-rendus. C'est souvent de simples anecdotes mais parfois, cela permet de relayer des nouvelles plus importantes.
Lyvanya arracha un nouveau morceau de viande qu'elle mâcha et avala avant de reprendre :
- En hiver, nous restons sur le continent, quoique proche de la côte car la mer et la météo sont dangereuses si bien qu'on se croise un peu plus que pendant l'été. Je ne sais pas d'où est partie la rumeur comme quoi les hommes du sud tentaient de franchir la Mâchoire des Dragons comme ils l'appellent. Peut-être est-ce les villageois qui ont fait passer le mot ou un groupe de Shield Maiden qui a quitté très tôt le continent. Plus Aaditya et moi-même avancions dans le printemps, et plus les journaux parlaient de cela. Certains faisaient états de rumeur comme quoi des villages avaient été rayés de la carte. Finalement un mot d'ordre a été relayé et la majeure partie d'entre nous avons pris la mer vers les villages les plus importants que nous connaissions, avant de remonter de fil en aiguille vers l'origine de ces bruits.
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Shield Maiden
FantasíaIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...