Sur les trois cents premiers mètres, il n'y eut rien d'autre que les hurlements des hommes qui se donnaient du courage pour aller à la mort puis les premières flèches furent décochées et la boucherie commença. Ils essuyèrent quatre volées avant d'arriver au contact des lances et lames adverses, et laissèrent au sol des centaines de morts et de blessés dont les hurlements de douleur et de peur étaient perdus au milieu de ceux de leurs camarades maintenant au combat. Les soldats leur passèrent alors dessus, ignorant royalement les blessés et le sang pour venir charger les rangs ennemis, passant sans soucis au travers des paysans de leur propre camp dont les rangs avaient été éclaircis.
Dans la plupart des cas, les volées de flèches devenaient sporadiques à ce moment de la bataille, car la mêlée ne permettait pas vraiment à des archers d'être efficaces, mais c'était les tireurs Archadiens étaient des professionnels réputés apparemment pour leur précision et leur sang-froid si bien que le sifflement des flèches diminua à peine en intensité.
Æsa devait avouer que celle qu'elle avait été encore six mois plus tôt aurait probablement eu pitié de ces gens que l'on envoyait à la mort alors que ceux qui donnaient les ordres ne connaissaient probablement même pas leurs noms, mais cette fille avait disparu depuis longtemps, noyée sous un champ de corps. Désormais, elle arborait un rictus satisfait à l'idée de tous ces hommes du sud qui périssaient stupidement, et ses membres tremblaient presque d'impatience de se joindre à leur tour dans cette danse macabre.
Le combat était clairement mal engagé pour les forces Royales. Les soldats de métier faisaient un bon travail mais ils n'étaient tout simplement pas assez nombreux pour percer l'épais tampon de paysans qui faisait obstacles de leurs corps pour protéger l'unité d'archers que l'on avait approvisionnée de centaines de flèches. En conséquence, l'ordre fut donné à la cavalerie lourde d'entrer en scène. Elle s'élança de ce qui avait été l'arrière des lignes du Cartel lorsque les armées s'étaient faites face, et passa par la bordure nord du champ de bataille, en longeant les bois, dans l'espoir de contourner la mêlée et de foncer directement sur les archers voir sur le commandement ennemi, posté à presque trois cents mètres du front.
Les Shield Maiden y virent une opportunité à ne pas manquer et celles qui se trouvaient à proximité ouvrirent le feu de quelques traits. À cette distance, la précision et la puissance étaient mortelles et une trentaine d'hommes s'effondrèrent les uns après les autres. Sous la surprise, et parce qu'ils ne comprenaient pas d'où venait le danger, les cavaliers s'éloignèrent de la lisière, facilitant la tâche des archers ennemis qui comme s'ils n'avaient attendu que cette opportunité, se mirent à ignorer la mêlée sanglante devant eux pour décocher des milliers de flèches.
La charge des chevaux était particulièrement assourdissante, surtout avec le poids qu'ils portaient, si bien que pendant un temps, il fut difficile d'entendre les cris. Cela n'empêcha pourtant pas l'armée d'Archadie de recevoir ses ordres. Une unité de presque mille hommes qui se tenait à l'arrière des paysans déjà engagés quitta soudain son poste pour se poster sur le flanc nord et alors que la charge semblait enfin parvenir à ses fins, elle se heurta à de longues lances que l'on avait enfoncées profondément dans le sol. Quelques cavaliers lourds profitant du poids des corps de leurs camarades parvinrent à passer mais ils n'étaient pas assez nombreux et ils furent éliminés rapidement. L'unité était cependant loin d'être anéantie avec encore près de quatre cents cavaliers qui s'embourbaient dans un combat au corps à corps pour lequel ils n'étaient pas équipés. La force mise en place par le général Archadien avait parfaitement fait son office, grâce, même s'il l'ignorait, au concours des Shield Maiden. Comprenant qu'ils perdaient leur temps, et leur force, pour rien, les cavaliers, disciplinés, firent volte-face et retournèrent vers les tentes de commandement du Cartel que l'on avait pris la peine de déplacer. Ils laissèrent tout de même derrière eux une autre trentaine de combattants qui ne parvinrent pas à s'extraire de la mêlée ou qui avaient été désarçonnés. Sous le poids du nombre, tous succombèrent en l'espace de deux minutes. La cavalerie lourde, l'arme de la victoire royale, venait de perdre presque un cinquième de ses forces mais n'en restait pas moins une menace.
D'ailleurs, les généraux du Cartel ne s'y trompèrent pas : malgré les milliers de flèches qu'elle venait d'encaisser, l'essentiel des pertes étaient dues au choc avec l'unité de lanciers. En conséquence, il fut ordonné une nouvelle charge, cette fois par le flanc sud.
L'unité de lanciers se dépêcha de prendre place pour protéger les archers. Elle avait perdu quelques hommes mais surtout beaucoup de lances s'étaient brisées. Par chance, on avait prévu de quoi les remplacer si bien qu'elle était presque intacte lorsque les cavaliers lourds s'approchèrent. Cette fois, ils n'avaient pas longé la forêt et les Shield Maiden jugèrent plus prudent de ne pas tirer de peur de dévoiler leur nombre et leurs positions. Les cavaliers étaient en effet suffisamment loin pour qu'on ait le temps de voir les traits venir et d'estimer leur nombre ou leur provenance.
Alors que le scénario semblait se répéter, les cavaliers firent brutalement changer la direction de leur charge, passant à une trentaine de mètres des lanciers, hors de leur atteinte, et venant écraser l'arrière des unités d'Archadie déjà engagées. Ces hommes étaient nombreux mais leurs équipements restaient légers et ils n'avaient pas les moyens de lutter contre ce qui venait de les heurter. Au repos, un cheval et son cavalier, tous les deux en armure, pesait plus une demi-tonne : six cents kilos de muscles et d'acier. Il leurs fallait du temps pour prendre de la vitesse mais une fois lancés, ils étaient capables de plonger profondément dans les rangs ennemis presque sans être ralentis.
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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...