La plus jeune des Shield Maiden sortit et le silence retomba.
- Je n'ai pas encore décidé ce que Aaditya et moi-même ferons après tout ceci, mais toi, tu dois prendre une décision. Tu ne peux survivre seule et encore moins en t'occupant en plus de ce bébé. Il a besoin de lait et sa mère n'est plus là pour cela.
La chasseuse se rebella un peu. Elle était consciente de la situation et loin d'être stupide. Elle n'avait juste pas envie de penser à cela ce soir. Si les Shield Maiden avaient le temps de se décider alors elle aussi.
- Je sais qu'il m'est impossible de rester mais pour l'enfant, au moins, j'ai une solution temporaire. Il y a une semaine une des chasseuses de notre village a ramenée une Sivern femelle et son petit. Un coup de chance exceptionnel d'autant qu'elle allaitait encore et que les anciens ont eu la présence d'esprit de mettre ce lait de côté. Il doit y avoir de quoi nourrir la petite encore un ou deux jours, peut-être plus si on peut lui faire avaler autre chose en plus. Il y a un village à deux jours de navigation au sud-est et nous avons une barque ici. Si je me débrouille, je peux peut-être la faire porter là-bas.
La Shield Maiden secoua la tête en grimaçant :
- Ce village n'existe plus non plus. Je te l'ai dit, notre présence ici est une longue histoire. Nous trouverons une solution néanmoins pour la petite, je te rassure. Les Frimarques, même enfant, doivent être capables de résister quelque temps à un estomac un peu plus vide que d'habitude.
La chasseuse était consciente que les paroles de Lyvanya avait pour vocation de la rassurer mais elle eut l'impression qu'il y avait quelque chose d'autre derrière et elle se surprit à être impatiente d'entendre le récit des deux guerrières. Se pouvait-il que Frima connaisse un souci bien plus important qu'une « vulgaire » attaque de brigands ? Il était vrai, que pour des brigands, ils s'étaient comportés avec beaucoup d'assurance, d'organisation et de rigueur. Plus comme des soldats, justement. Elle avait crû que l'appellation utilisée par la Shield Maiden relevait plus d'un aspect pratique d'autre chose mais se pouvait-il qu'il s'agissait en réalité de la vérité ?
Aaditya rentra sur ces réflexions, tendant à la main un énorme cuissot. Elle avait rapidement tranché l'articulation du genou et déboîtée celle de la hanche avant de trancher les fibres et tendons qui reliaient la jambe au bassin. Dans la foulée, elle avait également retiré la peau du morceau de viande, probablement avec une longue incision verticale avant de se servir de ses mains. La viande devait être froide, ou guère plus que tiède mais les traces de sang autour de sa bouche indiquée sans le moindre doute qu'elle avait néanmoins aspiré le sang du morceau, ou de la partie basse de la jambe. Elle regarda rapidement Lyvanya comme pour chercher son approbation ou savoir pourquoi l'atmosphère était légèrement différente de celle qu'elle avait laissé deux ou trois minutes plus tôt mais la plus âgée des deux guerrières lui indiqua juste de la tête le poêle qui se trouvait dans un coin de la pièce de vie.
Le poêle était une invention du sud, mais que les Frimarques bénissaient presque chaque jour. L'ouvrage originel, en métal, avait été depuis longtemps adapté pour les territoires nordiques où l'on n'avait ni le temps d'extraire des minerais ni de richesse à dépenser pour l'achat d'un tel objet. Le « poêle » à la Frimarque était donc un complexe assemblage de pierres, de tuyaux de bois et de torchis qui permettaient de cuire la viande, de chauffer toute la maison et réduisait presque à néant la communication avec l'extérieur. Fini les grandes cheminées dont la large ouverture était une proie de choix pour la pluie ou le froid dès que le feu faiblissait.
Bon, les grands âtres étaient toujours en activité, nécessaires à la cuisson des plus grosses proies et à certaines préparations pour la viande ou les racines, mais on n'en trouvait généralement qu'un par village, dans une habitation presque entièrement dédiée au travail de la nourriture et aux stockages des réserves. Ce genre de construction comportait généralement, exceptionnellement, un sous-sol, une pièce entière consacrée au fumage, une zone de stockage, en plus du sous-sol, une pièce plus centrale avec une énorme cheminée capable d'avaler même le plus impressionnant des Siverns et un séchoir pour les végétaux, où l'on stockait généralement, à même le sol ou sur des étagères dédiées, les rares racines et tubercules trouvés dans la nature ou cultivés dans les champs. Il était nommé Wampyarza dans la langue des Frimarques ce qui pouvait être traduit par réserve ou garde-manger, même si le lieu était bien plus que cela.
Le cuissot rentrait dans le poêle, sans trop de soucis même, et Aaditya alluma rapidement un bon feu dans l'espace prévu pour lui. Il ne fallut que quelques minutes pour que la froideur de la nuit, qui avait commencé à pénétrer les lieux ne soient repoussées, permettant aux deux Shield Maiden et à la chasseuse de se mettre un peu plus à l'aise et de retirer leurs lourdes fourrures.
Les vêtements des Frimarques étaient essentiellement, et historiquement, constitués de peaux et de cuir car c'était les seuls matériaux qu'ils pouvaient produire eux-mêmes. Cependant, ces dernières décennies avaient vu l'apparition de fibres et de laines, issus du sud d'abord, grâce à quelques échanges commerciaux, puis les techniques avaient été adaptées et les gens du nord étaient désormais capables de produire une laine bâtarde, quoique en faibles quantités, en se servant des longs poils des Siverns et des Glaricz à la sortie de l'hiver. Ce qu'il manquait été produit par un travail long et particulièrement fastidieux sur une plante fibreuse dont les tiges pouvaient atteindre jusqu'à deux mètres de haut et qui étaient récoltées à la fin de l'été. Extraire, tresser et traiter ces fibres occupaient une bonne partie des hommes et des femmes une fois l'hiver venu. Cela permettait de tromper l'ennui et cela occupait les mains pendant que l'on assistait aux longues veillées où les anciens racontaient les mythes et légendes de leur peuple. Le mélange des deux matières avaient été appelés avec ironie, par les marchands du sud qui avaient pu avoir les premiers échantillons de ce tissu dans les mains, « velours du Nord ». Initialement, les fibres végétales étaient en effet bien trop épaisses et rigides, rendant le tissu rêche et rugueux et empêchant d'en faire des vêtements. Il avait en conséquence surtout servi à créer des sacs ou des contenants, remplaçant partiellement le cuir et la peau dans cet usage car plus léger.
Mais avec le temps, le savoir-faire avait évolué et si les marchands du Sud ne s'en étaient pas rendu compte, le Velours du Nord avait bien changé et était désormais porté comme première couche de vêtement par presque tous les Frimarques. Il permettait d'atténuer les frictions entre le cuir et la peau et limiter l'utilisation de fourrures qui avaient tendance à être plus lourde, surtout en double voir triple couche. Désormais, les vêtements d'été ne comportaient plus qu'une seule couche de fourrure contre deux l'hiver. Cette évolution était due à un mélange plus adroit entre fibres végétales et fils de laine. Au lieu de les tisser ensemble en alternant l'un et l'autre, les deux étaient unis dès la fabrication des fils pour permettre un meilleur comportement de l'ensemble. Une réussite donc les Frimarques tiraient une certaine fierté. Ce n'était pas un peuple de science ou d'invention. Les choses bougeaient peu depuis des millénaires pour la simple et bonne raison qu'ils répétaient en boucle les mêmes actions depuis des temps immémoriaux et qu'elles avaient été optimisées depuis longtemps. Pour tous les autres aspects de la vie, ils n'avaient tout simplement ni le temps, en dehors de l'hiver, il est vrai, ni les ressources à perdre dans des projets farfelus dont le bénéfice pour leur survie n'était pas assuré.
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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...