Six semaines s'étaient écoulées depuis leur tout premier combat sur ces terres qui n'étaient pas les leur et il ne restait plus grand-chose de l'ancienne villageoise. Tout au plus, pouvait-on encore parfois remarquer ses anciens talents de chasseuse, quand bien même elle traquait des proies bien différentes. Æsa était devenu une Shield Maiden à part entière. Ses longues journées d'entraînement avaient fini par payer et désormais, elle avait la technique et une bonne partie de la musculature nécessaire à ce style de combat si particulier. Bien sûr, plus le temps passait et meilleure elle devenait mais elle était déjà une guerrière à part entière. Les très nombreux combats qu'elle avait mené ces quinze premiers jours lui avaient de plus apportée une expérience salutaire.
Une expérience tant physique et purement axée vers le combat, qu'une expérience plus morale, et bien plus difficile, qui avait consisté à comprendre et à accepter que chaque instant puisse être le dernier. Il arrivait que des messagères parviennent des autres groupes et il était clair que c'était le leur qui avait le plus souffert des combats. En deux semaines, elles avaient perdu une dizaine de combattantes et c'était ce qui avait été le plus difficile pour Æsa, même si elle était consciente des conséquences de cette guerre. Après ce que les Frimarques avaient subi, pourquoi devaient-elles mourir ?
Ces pertes avaient emporté, d'un autre côté, les derniers scrupules des Shield Maiden. Elles étaient désormais pleinement ce qu'elles devaient être : des guerrières implacables investies d'une mission presque divine. Elles n'avaient plus aucun problème pour manger les cadavres de cet ennemi à la culture si différente, pour choquer les femmes et les enfants qu'elles s'étaient presque promises de ne pas toucher.
Un bruit sur la route, loin en amont du fossé broussailleux où elle se trouvait, suffit à sortir la chasseuse de ses pensées. Les hommes du sud appelés ces créatures des chevaux et elles semblaient leur être utile pour absolument tout. Elle en avait vu utilisés dans les champs, par des soldats, par des marchands, tirant des carrioles ou des charrues, portant leur propriétaire ou des marchandises. Leur hennissement caractéristique annonçait la venue d'une nouvelle bataille.
Æsa était en embuscade depuis l'aube sur une portion à part de la route qu'elles avaient ciblée ces derniers temps. Les Shield Maiden soupçonnaient qu'une partie des convois passaient désormais ici pour éviter leurs zones d'attaque. Elles avaient vu juste, sans surprise. Elle fit signe à ses trois camarades, situées un peu plus loin sur la route mais elles semblaient aussi prêtes qu'elle-même.
Avec prudence, même si elle estimait avoir encore le temps, elle se déplaça dans le fossé jusqu'à un point qui lui permettait de voir plus facilement la route.
Il y avait bien un cheval et il n'était pas seul. À trois cents mètres, environ, une carriole était tirée par deux chevaux. Sur cette dernière, se trouvait un homme dont les cheveux gris étaient visibles à cette distance. À ses côtés marchaient cinq soldats. Et c'était une surprise.
Les Shield Maiden avaient eu le temps de comprendre la subtilité de la culture du Royaume de Cartel. Les mercenaires étaient des gens engagés pour se battre afin de protéger des pillards ou, en l'occurrence, des Frimarques. Les soldats défendaient les villes et villages et faisaient la guerre. Certains mercenaires étaient d'anciens soldats ou des soldats qui n'avaient pas de travail mais les deux métiers étaient différents. Un soldat arborait toujours le blason de sa ville ou de son pays là où les mercenaires ne portaient pas de signes distinctifs, encore qu'elles eussent affronté par deux fois des compagnies officielles fédérant de nombreux mercenaires et, qu'en conséquence, ces derniers portaient un signe permettant de les reconnaître. Ces signes semblaient presque avoir plus de poids que la valeur combative des hommes. La culture du Royaume de Cartel était, en ce sens particulière. Il ne serait jamais venu à l'esprit d'une Shield Maiden de craindre un incapable pour la simple raison qu'il appartenait à un groupe. Et elles avaient clairement démontré que leur point de vue était le bon en massacrant ces mercenaires comme les autres.
Mais ces hommes en arme étaient des soldats et ils arboraient le blason du Royaume, pas d'une compagnie ou d'une ville alentour. Cela ne changeait rien à leur objectif bien sûr, mais il faudrait interroger l'homme si possible.
- Lâchez les rennes. Ou lancez les chevaux et mourrez. Peu m'importe, je n'ai rien contre un peu plus de viande fraîche.
C'était l'une des choses que les Shield Maiden avaient très rapidement comprises. Ces gens ne craignaient que peu la mort, car ils vivaient la guerre chaque année ou presque. Mais alors que pour les Frimarques, c'était un véritable honneur, la simple idée de savoir leur corps dévoré par une bouche humaine semblait les terrifier. Il arrivait même qu'ils s'évanouissent ou que leur vessie les trahisse. Pourquoi donc craindre ainsi le fait d'être mangé ? Il semblait dans la tradition ici d'enterrer les corps et il ne faisait aucun doute qu'ils étaient ensuite mangés par ce qui vivait dans la tête, sinon la terre finirait un jour ou l'autre par ne plus avoir de place.
Et effectivement, l'homme lâcha très rapidement les rennes.
Elle retourna en rampant à sa position, bien en amont des trois autres combattantes. Elles étaient là pour repousser les hommes vers elle. Bien sûr, c'était dans le cadre des groupes importants. Ici, si elles agissaient vite, à quatre, elles pouvaient faucher les hommes sans même qu'ils ne s'en rendent compte.
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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...