Lyvanya la regarda partir puis regarda le cadavre frais :
- Celui-là, je n'ai pas envie de me contenter de sa tête.
- Et moi non plus, répondit Aadiyta.
Elles s'approchèrent, imitées par deux autres combattantes pendant que Æsa restait en retrait, son arc et ses yeux toujours vigilant. Le corps fut traîné à l'écart des autres et les Shield Maiden se mirent réellement au travail, vidant les navires, rassemblant les corps et dépeçant celui du bourgmestre. Sa viande serait un peu sèche vu son âge mais cela vaudrait toujours mieux que la viande séchée de leurs réserves. L'après-midi commençait à être sérieusement entamé lorsque toutes les vivres et affaires de rechange avaient été transférées des navires vers la terre. Des combattantes faisaient la liaison avec les groupes à l'extérieur du village et sur le coup de trois heures, tout était prêt pour s'enfoncer dans la campagne du Royaume de Cartel, à l'exception notable des corps des soldats. La viande du bourgmestre avait été soigneusement entreposées afin d'être cuite dans la soirée et les ossements et viscères avaient été laissées bien en évidence au centre de la place du port, face à la jetée. L'odeur et la vision d'horreur seraient un rappel vibrant de ces changements à venir pour les villageois, et ceux pendant plusieurs jours, voire semaines si les règles étaient respectées. Cependant, aucune Shield Maiden ne comptait faire demi-tour pour le vérifier d'autant que cela concernait plus les têtes qui viendraient protéger le village à l'avenir que ce spectacle macabre en particulier.
Tout au long de leurs activités, les combattants avaient pu apercevoir des mouvements du coin de l'œil, derrière des volets entrouverts ou dans des ruelles particulièrement sombres. Il était clair qu'il y avait de la vie dans ce village mais que personne n'osait sortir de chez lui. Quelques patrouilles avaient également croisé la femme du port qui semblait respecter l'accord et faire du porte à porte pour faire passer les nouvelles règles et récolter de la nourriture pour les Shield Maiden. À quatre heures, ils aperçurent finalement une première personne, un homme bedonnant d'une quarantaine d'années, il regarda avec terreur autour de lui et s'arrêta bien avant d'être arrivé au bout de la rue qui le menait au port. Il déposa un grand sac de toile marron, qui semblait bien plein puis pris ses jambes à son cou sans demander son reste. Lorsqu'un groupe de guerrières alla voir de quoi il s'agissait, elles découvrirent une série de boules blanches entourées de feuilles vertes qui formaient comme un cocon. Chacune de ces boules était plus large que des poings. Aucune ne connaissait cette chose étrange mais elles débarquaient sur une terre inconnue et au vu des demandes qui avaient été formulées, il n'était pas dur de deviner que cela devait être mangeable. La vraie question était de savoir comment. Elles commençaient peu à peu à comprendre qu'à moins de se contenter de viande, et encore, elles ne connaissaient pas les plats que l'on préparait avec tout ce que leur offrirait la nature. Dans le nord, on se contentait d'assembler les racines et les très rares récoltes de mille et une façon, pas toujours goutteuses mais l'objectif était surtout de varier avec le peu d'ingrédients disponibles. Si le Sud était suffisamment fertile pour permettre la guerre, il devait y avoir des milliers voir des millions de recettes différentes, et presque autant de saveurs. Comment ferraient-elles pour manger ce que leur offrirait ce village ?
Elles laissèrent le sac à sa place, un bon lieu de rassemblement pour les victuailles, suffisamment loin des corps pour éviter toute réaction idiote.
Lorsque le problème de cette nourriture inconnue circula dans les rangs, et qu'on y ajouta les risques d'empoisonnement ou le temps qui continuait de filer alors que tout était prêt, un consensus apparut rapidement. En deux minutes, les combattantes se répartirent les différentes charges issues des navires et elles levèrent le camp, n'emportant que la tête du bourgmestre et sa viande comme seul tribut. Cela suffirait comme paiement et pourquoi se casser la tête à protéger un peuple, en usant des traditions ancestrales, alors même qu'elles étaient venues pour détruire le Royaume du Cartel. L'impact horrifique de la chose aurait été intéressant mais les restes d'un corps dépecé sur ce qui devait être le lieu le plus animé du village, suffirait, d'autant que, dommages collatéraux de leur arrivée fracassante, nombre des bateaux de pêche gisaient en morceau à la surface de l'eau ou au fond de cette dernière. Le récit des habitants, et la tête qu'elles laissèrent sur un bâton à la sortie principale de la ville, suffiraient.
En quelques minutes, trois groupes se formèrent et s'enfoncèrent sur un léger pas de course dans la campagne. Elles avaient de nombreux kilomètres à parcourir avant de parvenir dans chacune des zones de chasse qu'elles s'étaient attribuées. Le but était de couper les axes qui reliaient les trois plus grandes villes à la capitale. Cela suffirait à faire réagir rapidement la royauté. Il fallait cependant le faire dans des zones où il était facile de se cacher et de mener des opérations de guérillas avant de se replier en sécurité, vers un camp plus permanent. Les Shield Maiden étaient faites de toute manière pour opérer en tous petits groupes et aucune d'entre elles ne doutaient de leur capacité à porter de sérieux dégât au Royaume de Cartel si elles parvenaient à conserver leur manière d'opérer sur ce territoire nouveau. Le seul problème avait été de trouver les lieux idéaux pour ces trois camps, et ceux pour d'éventuels replis.
Malgré sa densité de population, le Royaume n'avait pas éradiqué tous les arbres de la surface de son territoire. Cependant, une comparaison entre deux cartes, l'une ancienne et l'autre plus récente de presque une décennie avait montré une évolution très importante du territoire avec des bois de plus en plus petits, morcelés et espacés.
Dans ces conditions, il semblait effectivement difficile de trouver assez d'arbres répondant à des critères précis, pour construire une nouvelle flotte, ce qui expliquait l'invasion de Frima, où les pins, souvent parfaitement droits, étaient légions, étant les seuls végétaux, ou presque, à supporter le climat. En fait, il ne restait plus guère de véritable forêt en Cartel si bien qu'elles s'étaient contentées de zones où les bois étaient encore particulièrement rapprochés, souvent loin des plus grandes villes et donc à l'écart. Aucun de ces camps n'était à plus de deux heures des axes désignés lors de l'ébauche des plans de cette guerre si particulière.
Le Royaume du Cartel n'était pas si imposant. Dans sa plus grande longueur, il devait être nécessaire de voyager une bonne semaine à pied. Dans la mesure où les peuples du Sud étaient si prompts à la guerre, cette taille n'était pas surprenante puisqu'elle permettait de mobiliser rapidement une armée d'un bout à l'autre du territoire. En conséquence aucun des groupes n'aurait besoin de plus de trois jours de voyage. La consigne était d'éviter les villes et villages afin de ne pas laisser un sillage permettant de prévoir leurs trajectoires.
Même si par la suite les attaques seraient nécessairement toutes dans la même zone, elles comptaient tout de même éviter de laisser trop d'indices. Au soir, l'un des groupes s'était déjà bien éloigné des deux autres qui campèrent ensemble. Le lendemain, chacun prit un chemin différent. Toutes étaient conscientes qu'elles pourraient ne pas revoir certaines de leurs plus vieilles amies mais aucune n'avait la moindre hésitation sur le cœur. La bataille de la veille, encore fraîche dans leurs mémoires, n'avait pas apaisé leur désir de vengeance. Au contraire, la colère et la fureur n'en étaient que plus grandes. Elles avaient vu l'ennemi. Aucune ne doutait plus de pouvoir le mettre à terre et de l'achever dans un bain de sang. La seule et unique fois de l'Histoire où Frimarques et Hommes du Sud mélangeraient leurs sangs.
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Shield Maiden
خيال (فانتازيا)Il existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...