Sans s'en rendre compte, la voix de la chasseuse se modifia légèrement, influencée par des années d'écoute des traditions orales de son peuple. Et elle raconta la naissance de cette bâtisse comme si c'était l'un des mythes qui avaient bercé son enfance alors même qu'elle avait connu les évènements qu'elle narrait. Elle emmena la Shield Maiden au cœur des Brymds, les réunions du village où étaient décidés tous les évènements d'importance. Rapporta les multiples interventions des anciens qui s'élevait contre l'absurdité d'une maison qui n'abritait qu'un couple, et conta le courage de la jeune mariée qui fit face avec détermination et courage, aux regards accusateurs et hostiles. Elle évoqua le long été où le couple avait travaillé comme des fous, même selon l'échelle biaisée de Frima, et avait fini par arracher de la terre leur rêve. Elle raconta, le sourire aux lèvres, les réactions offusquées des plus âgés lorsque le banc était apparu à l'extérieur, face à une aube dont on ne pouvait presque jamais profiter. Les sourires des plus jeunes face à la réprobation des aînées, principalement dictée par le fait que les deux amoureux étaient allés au bout de leurs convictions et étaient parvenus à leur objectif malgré l'opposition des Anciens, et sans que cela ne coûtasse rien à la communauté. Et puis la joie, surtout, des enfants et des adolescents qui, attirait par la nouveauté de cet objet, somme doute banal mais désormais célèbre pour les dissensions qu'il provoquait, en avait fait un lieu de ralliement. Elle avait fait partie de ce dernier groupe à l'époque. Avec le temps, tout était revenu dans l'ordre et l'objet avait perdu l'attention qu'il avait gagnée, retombant dans l'oubli et finalement, regagnant probablement sa fonction première : un cadeau d'un amant à sa compagne, une preuve de son amour dans un territoire où il n'y avait guère de richesse à arborer. Elle raconta également les quelques scènes qu'elle s'était remémorées en voyant la Shield Maiden assise là.
Quand le silence retomba, le regard de cette dernière était perdu dans le vide et Æsa crut un moment l'avoir ennuyée encore plus qu'escompté mais quand la femme se tourna vers elle, elle fut surprise par ses paroles :
- Je te remercie pour ton récit.
Cette phrase somme toute banale sur n'importe quelle autre terre avait une signification particulière ici et était ancrée dans la culture Frimarque. Il était coutume de remercier ainsi les anciens après qu'ils euent partagé le savoir de leur vie.
- Tu feras une formidable conteuse quand le temps sera venu.
Un peu gênée par la force du compliment qui venait de lui être fait, la chasseuse laissa à son tour son regard se perdre sur les cimes du bois qui commençait à l'autre bout du champ.
Si dans le sud, la plupart des individus étaient spécialisées dans une tâche, un « métier », ce n'était pas le cas dans la culture Frimarque. Tout le monde devait être capable de remplir tous les rôles, dans la limite des capacités de chacun. Les hommes savaient pister le gibier et tirer à l'arc, même s'ils manquaient d'entraînement, et les femmes savaient tout ce qu'il y avait à savoir sur les mécanismes de développement des arbres et leur abattage, même si elles n'étaient pas taillées pour une telle tâche, probablement en partie, également, à cause d'un manque d'entraînement. Tous les enfants apprenaient à tailler le bois, à tisser, à coudre, à cuisiner et à préparer et conserver les rares denrées que leur offrait Frima.
C'était une communauté et un mode de vie qui se voulaient homogènes mais tous comme les femmes étaient plus douées pour la chasse et les hommes pour le travail de bûcherons, cela n'empêchait en rien la différence, cette caractéristique qui faisait d'eux des hommes comme ceux du Sud et des territoires au-delà. Cette différence, même si elle n'était pas privilégiée pendant la phase d'apprentissage, finissait toujours par s'exprimer pour le meilleur de la communauté. Ainsi, c'était l'une des familles du village qui semblait avoir un don héréditaire pour manipuler la nourriture qui s'occupait de préparer les conserves, de fumer la viande et d'entreposer les ressources qui étaient rapportées au village. De la même manière, c'était sa sœur aînée qui taillaient, depuis l'âge de douze ans, l'ensemble des bâtons rituels sur lesquels étaient plantées les têtes des ancêtres. Elle maniait ses outils avec une telle précision qu'elle était capable de faire émerger la tête d'un Sivern du plus coriace des nœuds et, non content de cet exploit, d'y ajouter des effets qui donnaient presque l'impression que la fourrure de l'animal avait été rajoutée sur le bois.
Dans le même registre, son frère, son cadet de deux ans, était un tisseur de génie, capable de tirer parti de la plus mauvaise des laines et des plus vieilles fibres de végétaux pour en tirer un tissu qui n'avait rien à envier à celui que pouvait produire Æsa avec beaucoup d'application et la meilleure qualité de matériaux. Elle avait souvent envié les talents de son frère et de sa sœur qui étaient plus qu'utiles à la communauté, en plus d'apporter une certaine reconnaissance de sa famille au sein du village. Elle s'était dit qu'elle finirait par trouver la voie qui avait été tracée pour elle par les Valkyries, les esprits protecteurs de Frima, et avait toujours pensé qu'elle avait fini par la trouver dans la mesure où elle n'avait pas trop de mal à traquer ses proies dans la forêt là où sa sœur s'était vite rendue compte qu'elle ne serait jamais douée pour cet art. Peut-être finalement n'était-ce pas son seul atout dans la manche.
D'un autre côté, la Shield Maiden, de par sa vie nomade et relativement solitaire, ne devait pas avoir l'habitude des récits des anciens et en conséquence, ne devait pas être la meilleure juge du « talent » de Æsa. Elle finit par adopter ce dernier point de vue pour sa tranquillité d'esprit.
- Je suppose que la femme, l'homme et les enfants dont tu as parlés sont dans le champ, reprit la guerrière après un long silence.
Cette question posée sans en avoir l'air la ramena brutalement à la réalité des choses. Oui, ils y étaient, tout comme sa sœur aînée, son frère cadet, la petite dernière et ses deux neveux.
- Oui.
- Au moins, aura-t-elle vécu heureuse et aimée, murmura la combattante d'une voix si basse que la villageoise peina à l'entendre, comprenant sans peine que c'était une réflexion toute personnelle qui ne lui était pas destinée.
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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...