Prologue (3)

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Eh oui, cher lecteur. Ce n'est ni leur habitude de vie, ni leur intelligence qui font d'eux les barbares primitifs et violents que l'on dépeint dans nos contes, mais bien leur habitude alimentaire. Si vous n'avez pas la chance de mourir de maladie ou d'être encore un enfant, ou alors si vieux que votre chair est comme du cuir, vous ne vaudrez guère plus que de la venaison. Vous pouvez être mangé le lendemain ou votre chair peut être fumée en prévision de l'hiver. Tout cela est codifié, bien sûr, non que cela ne change le résultat.

Le groupe familial d'où vient le défunt se réunit à l'aube du jour suivant le décès et prie pour son esprit (ou remercier les dieux pour ce surplus de nourriture ?). Ensuite, au crépuscule, l'homme le plus fort du groupe s'isole avec le corps de la victime et le découpe « soigneusement ». À l'aube suivante, la matriarche d'un autre groupe familiale du village vient et on lui remet les « paquets » qui sont traités dans la journée (mangés ou préparés pour être conservés). Les os sont ensuite rendus intacts à la famille du défunt. Les anciennes de la famille du défunt s'affairent toute la nuit afin de reconstituer le « squelette ». Un spectacle qui retournerait l'estomac de n'importe quel être humain normalement constitué mais qui ne semble leur poser aucun problème. À l'aube du troisième jour suivant le décès, le squelette est emmené à l'extérieur du village, jamais très loin, et soigneusement disposé, à l'air libre, pour tourner le dos au village. Les esprits sont censés pourvoir utiliser ces « cages d'os » pour défendre le village du mal (mais vous et moi savons qu'il est déjà à l'intérieur). En conséquence, dès que la neige a fondu, vous pouvez admirer les morts qui gisent là depuis des années, parfois même des décennies, le climat étant propice à la conservation, l'absence de charognard aidant également. Le corps décapité. Car il faut toujours garder le meilleur pour la fin.

Dès le début de la cérémonie où le corps est dépecé, la tête est coupée au niveau du cou puis enfoncée sur une pique de bois sculptée de multiples sigles. La pique est ensuite plantée le long des « chemins » menant au village. On peut ainsi trouver des têtes à près de deux ou trois kilomètres des habitations. Cela permet de prendre l'ampleur de l'horreur qu'est l'approche d'un village, avec tous ces visages morts plus ou moins décomposés. Généralement, ce sont les plus « fraîches » qui se trouvent à l'extérieur alors que les plus anciennes, dont il ne reste finalement que le crâne, le bâton et la chair ayant finis par disparaître, sont soigneusement posées sur des cairns de pierre à l'entrée du village, parfois même à côté des porches des maisons.

Quand vous approchez d'un village Frimarkis, la mort et la décomposition sont partout. Votre seul salut, votre seule étincelle de chance, c'est que le froid empêche le développement de l'odeur de putréfaction. Mais tout le reste est là, et vous devez sourire à ces barbares stupides, à ces sous-hommes, sans compter que vous devez lever les yeux pour les regarder. C'est une expérience que je ne recommande pas.

Mais il y a bien d'autres stupidités, bien d'autres horreurs et aberrations dans ce peuple décadent et décrépis. Il n'y a là, par exemple, aucun guerrier. Les villages n'étant protégés que par des morts en décomposition. Il semblerait en effet que chaque main soit requise pour survivre aux hivers successifs. En conséquence, la guerre est une perte de temps.

Je gage là qu'ils n'ont rien compris à l'essence de la guerre et du pillage. Une théorie confirmée par un élément de leur culture que j'ai légèrement évoqué un peu plus tôt dans ce texte, avant de le passer sous silence, afin de garder le meilleur pour la fin. Car il existe bien des combattants au nord. Une multitude de petits groupes, de un à une dizaine d'individus, qui errent dans les montagnes, dans les plaines du nord, et qui navigue aussi parfois d'île en île, le nomadisme leur permettant de trouver de quoi vivre dans ce pays ingrat. Des combattants ? Pardon, des combattantes. Des femmes illettrées et stupides qui ne comprennent rien à l'art de la guerre et à l'honneur des combats. Il paraît qu'elles se lancent à l'attaque en hurlant à la mort, le visage couvert de sang. On dit qu'elles boivent le sang de leurs ennemis vaincus, ce qui part du postulat que l'on peut tomber échouer face à de telles créatures, une hérésie, j'en conviens. Ces femmes seraient l'unique bouclier de Frima contre les ennemis de cet « état ». Et je ne suis même pas sûr qu'elles aient un nom.

Bref, pour conclure ce compte rendu exhaustif et objectif, fruit de dix longs voyages vers des terres désolées et inhospitalières, je dirais que ces hommes du Nord ne sont une menace que pour nos bouffons et que même le plus faible de nos mendiants pourrait sans doute s'emparer de leur richesse s'ils en avaient. Leur existence est une insulte à la nature humaine et contrairement aux chiens des îles qui, eux, ont au moins le mérite de combattre avec honneur et avec une rage glorieuse, il serait facile de rayer leur existence de notre paisible terre... Si tant est qu'une telle expédition en vaudrait réellement la peine. Je ne suis même pas sûr que nos chers Drakes, nos dieux bien aimés et bienveillants, voudraient d'une offrande aussi imparfaite.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant