Chapitre 3 : Valkyries (3)

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Le silence retomba mais la chasseuse finit par le rompre, ayant perdu la sérénité que lui avait offert la météo clémente, la tranquillité de cette matinée et le récit qu'on lui avait demandé.

- Qu'est-ce qu'on va faire de tous ces corps ? Je ne peux pas m'en occuper toute seule et il est impossible de respecter la tradition avec autant de viande...

- Je sais. Pour les autres villages, on s'est contentées de rassembler les corps comme çà, de mettre les têtes sur un cairn de pierre circulaire et de prélever de quoi tenir quelques jours. Ici, nous n'avons plus besoin de courir alors Aaditya et moi resterons probablement un ou deux jours pour t'aider. On en profitera pour fumer quelques gigots. On peut se permettre de ne prendre que les meilleurs morceaux. On pourra faire un cairn au centre du village si tu veux, un peu comme un autel du souvenir. Et soit on laisse les restes là, soit on dispose les corps tout autour du village, comme un immense cercle protecteur pour ceux, s'il en vient, qui s'installeront ici à l'avenir.

- Pas besoin de faire des réserves, tout ce qui se trouve dans le Wampyarza sera perdu d'ici à ce que le village renaisse de ses cendres. Je ne vais pas pouvoir rester ici cet hiver donc cela ne me sera pas utile non plus. Alors prenez juste tout ce dont vous avez besoin, même si on peut manger de la viande fraîche pendant quelques jours.

- D'accord, partons là-dessus. On continuera à prendre ce qu'on veut sur les soldats.

La villageoise hocha la tête, en partie soulagée de cette décision. Elle n'aurait pu respecter le rituel mortuaire à la lettre et s'il était dans leur tradition de manger les morts, c'était néanmoins encadré par un grand nombre de règles et de décorum destinés à remercier l'esprit du défunt pour son don. Manger la chair de ceux de la communauté sans respecter ces démarches, était quelque chose qui allait contre son sens moral. Les corps des soldats qui étaient venus ici pour porter la mort, par contre, pouvaient être considérés comme des dépouilles animales sans le moindre problème.

- Mais avant, dès qu'Aaditya sera levée, j'aimerais que tu nous emmènes jusqu'à leur bateau. Notre barque n'est pas bien grande alors si on peut l'échanger, c'est tant mieux. Et sinon, il nous faut voir s'il n'y a rien t'intéressant là-bas. Nous coulerons ensuite le navire, ou le laisserons là à titre d'avertissement, si nous n'en avons pas l'utilité. Nous aviserons sur place.

La chasseuse hocha la tête puis, après avoir salué la Shield Maiden d'un petit signe, prit la direction de la crique. Le temps était tellement beau qu'il aurait été dommage de ne pas en profiter pour laver son corps dans le minuscule ruisseau d'eau douce qui se jetait là dans la mer. Les premiers habitants du village avait creusé le lit qui formait une petite piscine un peu en amont de « l'embouchure » du ruisseau. Le courant n'y était guère très fort mais était néanmoins suffisant pour permettre le renouvellement de l'eau entre deux baignades, surtout, il est vrai, que les villageois ne s'aventuraient que rarement à de telles ablutions complètes, préférant de loin les baquets d'eau chaude, une autre invention du sud, qui avait probablement évité quelques pulmonies.

Il était néanmoins difficile de concevoir des bassines étanches suffisamment grandes pour permettre à un homme d'y tenir assis, sans parler de s'immerger complètement. Les Frimarques en étaient donc réduit à jouer avec des bols ou des tasses pour se laver la partie supérieure du corps, tirant sans relâche l'eau de leur « baignoire » avant de se la verser sur la tête et les épaules et de recommencer encore et encore, tout en jouant avec les éventuels brosses et savons, fabriqués dans les deux cas avec des plantes de la région, bien que ces technologies soient également originaires du Sud.

Avant de rejoindre la « piscine » où elle pourrait se laver, la villageoise devait passer chez elle, avec tout ce que cela impliquait, afin de récupérer des affaires de rechange et de quoi se sécher. La météo avait beau être clémente ce matin-là, elle attraperait la mort en quelques minutes si elle restait mouillée à l'air libre pendant plus de quelques minutes.

Les deux portes du sas étaient restées ouvertes toute la nuit et il n'était pas dur d'en deviner l'explication puisque la porte extérieure était presque arrachée de ses gonds. En conséquence, la chasseuse savait qu'elle ne trouvait pas tout dans le même état que celui de la veille. Et pourtant, elle hésitait à franchir le pas de cette habitation qui avait toujours été son chez elle. Finalement, elle inspira un bon coup et pénétra dans l'ombre.

Ses yeux étaient habitués à la luminosité extérieure si bien qu'elle ne put saisir l'ensemble du tableau en un coup d'œil, et c'était une bonne chose. La première chose qu'elle parvint à distinguer, c'était la longue table qui occupait le centre de la pièce sur laquelle donnait le sas. Malgré son poids imposant et sa grande tille, elle avait été renversée sur le côté et poussée contre le mur, bloquant l'accès à une partie de la maison. C'était peut-être une barricade de fortune ou une conséquence de la fouille du lieu. Dans tous les cas, dans la mesure où toute sa famille se trouvait dans le champ, cela n'avait pas suffit et elle ne prit pas la peine de s'avancer dans cette direction. Ses affaires se trouvaient dans une armoire dans le coin opposé de la pièce. Comme tous les enfants non mariés, elle dormait dans la pièce de vie et on avait aménagé un petit espace pour elle. Un endroit où elle pouvait entreposer ses affaires, tant que ces dernières ne devenaient pas trop nombreuses, et où elle pouvait poser sa couche lorsque le matin se levait.

La petite armoire avait été renversée mais elle ne comprenait que des vêtements donc ce n'était pas un problème alors elle s'avança dans l'intention de prendre ce dont elle avait besoin et de sortir le plus rapidement possible.

Son pied heurta un objet qui fila dans l'ombre et explosa contre le mur, sur sa droite. Il lui fallut quelques secondes pour le repérer et l'identifier : c'était un bol en céramique. En fait, maintenant que ses yeux s'habituaient à la faible luminosité, elle distinguait toujours plus de détails. La plupart des meubles avaient été détruits ou renversés, si bien que le sol était couvert de divers objets. Elle se fraya un chemin, glissa tous ses vêtements dans une veste un peu plus large que les autres et fila sans demander son reste, son ballot sous le bras.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant