Chapitre 3 : Valkyries (1)

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C'était un matin comme il en arrive rarement dans le nord. Le soleil se déversait à flot à l'extérieur, tant et si bien qu'on pouvait deviner la clarté à travers le sas. Æsa fut réveillée par le bruit de ce dernier, lorsque Lyvanya quitta la maison. Elle prit son temps pour émerger, bercée par la chaleur résiduelle du poêle et celle de son corps qui avait chauffé son lit toute la nuit. Puis son esprit refit surface et elle se souvint des évènements de la veille, lui ôtant toute envie de dormir. Elle s'étira puis se leva en douceur.

Elle avait passé une bonne nuit, au vu des images de la veille que sa mémoire avait en réserve. Elle ignorait si elle avait fait des cauchemars mais en tout cas, elle n'avait été réveillée que par les trois fois où le bébé avait pleuré pour réclamer à manger ou pour un éventuel inconfort. À chaque fois, Aaditya s'était levée sans râler et avait préparé un peu de la mixture de la veille, dormant presque debout tout en berçant le poupon pour apaiser ses pleurs et en attendant que le feu somnolant réchauffe le lait. Elle s'était également occupée avec une dextérité surprenante de changer les langes lorsque le moment était venu. De son côté, la chasseuse n'avait eu aucun soucis pour se rendormir dès que l'activité avait cessée.

Elle se redressa en silence et entreprit de déplacer discrètement sa couche. Lyvanya était levée mais il n'y avait pas trace du bébé ou de la seconde Shield Maiden qui, vu leur nuit, dormaient peut-être encore.

Elle revêtit les vêtements de la veille et sortit avec son arc et son carquois. Elle n'en aurait pas l'utilité mais elle n'envisageait pas de sortir sans avant au moins quelques années.

Comme la lumière la lui avait fait penser, la météo était exceptionnelle. Il n'y avait pas de brumes ce matin et même pas de trace de gelée. Si la température était descendue cette nuit, ce qui n'était pas à mettre en doute, du moins n'était-elle pas tombée en dessous de zéro. Le ciel était d'un magnifique bleu qui s'assombrissait vers l'ouest car le soleil n'était guère levé que depuis une heure, grand maximum.

Lyvanya était assise sur un banc de pierre appuyé contre la maison, orienté vers l'ouest. Parfait pour admirer les levers de soleil au-dessus des champs du village. Un espoir naïf du jeune homme qui l'avait construit, quand on connaissait les rigueurs du climat de Frima. Enfin, le ciel était beaucoup plus dégagé en hiver mais il faisait également beaucoup plus froid. Peut-être était-ce juste un cadeau pour sa compagne. Peut-être n'était-il destiné qu'à servir que deux ou trois fois par an mais à être tout de même là quand on en avait besoin.

Il avait servi un peu plus souvent que cela, devait reconnaître la chasseuse dont l'esprit faisait remonter quelques scènes qu'elle avait captées au fil du temps. Dans l'une d'entre elles, le couple était simplement assis l'un à côté de l'autre, à l'ombre du soleil qui se couchait de l'autre côté, se murmurant mille et un de ces mots que nul autre que les deux éléments d'un couple peuvent comprendre, et se reposant tranquillement, quoique dans la fraîcheur du soir, après les labeurs de la journée. Dans d'autres, la femme apparaissait après certaines de ses naissances, avant qu'elle ne reprenne la voie de la chasse, un poupon dans ses bras et regardant son compagnon trimé au loin. Ou entourée de son premier fils, puis des autres enfants qui avaient suivi. La joie de l'homme lorsqu'il les rejoignit et faisait « voler » ses enfants dans les cris de joie et d'allégresse.

- Tu m'as l'air perdue dans tes pensées... fit Lyvanya en la ramenant à la réalité.

La chasseuse lui sourit et prit place à ses côtés, quoiqu'en laissant suffisamment d'espace entre elles deux pour qu'aucune ne se sente envahie dans son espace personnel.

- J'avais presque oublié ce banc, pourtant il a fait beaucoup parler de lui dans le village au moment de sa construction, comme tout le reste de cette maison d'ailleurs.

- Ah ?

- Oui. Mais cela n'a rien de passionnant, avec le recul aujourd'hui. Et de toute façon, cela n'a plus aucune importance après ce qu'il s'est passé... finit la jeune femme avec une grimace qui se voulait brave mais qui ne l'était pas tellement.

De là où elle était assise, on avait une vue parfaite sur les champs et sur les cadavres qui gisaient là depuis la veille. La voix, relativement douce et compatissante de Lyvanya empêcha Æsa de s'attarder trop longtemps sur ce qui était là-bas.

- C'est vrai. Mais d'un autre côté, il ne reste que nous quatre et la vie en Frima est faite de détails insignifiants pour le plus grand nombre et pourtant presque vital pour certains. J'ai dans l'idée que c'est le cas de ce banc et j'aimerai connaître son histoire, ainsi que celle de cette maison, surtout s'ils ont tant fait parler d'eux. C'est une manière de me souvenir pour quoi je me bats.

Le silence retomba pendant que la villageoise prenait le temps d'ordonner ses pensées et la Shield Maiden la laissa faire, savourant simplement la fraîcheur sur son visage, qui contrastait avec la saine chaleur que retenaient les fourrures qu'elle portait. De plus, si on faisait abstraction de la terre et de ce qu'elle portait, le spectacle sous ses yeux était aussi rare que magnifique. En conséquence de quoi, qu'elle n'avait aucun problème pour laisser tout le temps Æsa estimerait nécessaire avant de commencer son récit.

Shield MaidenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant