Lorsque Aaditya se tut enfin, le silence dans la clairière était presque palpable. Elle s'assit pour signifier la fin de son long discours et laisser chacune des autres femmes présentes s'exprimer, qui avec ses voisines, qui à l'assemblée. Lyvanya et Æsa s'étaient assises depuis longtemps, quoique presque au centre du cercle, et afin de libérer ses consœurs, la plus âgée des trois femmes s'adressa à celle qui avait été son apprenti sur le ton de la conversation, sans chercher à se cacher des autres Shield Maiden mais sans, non plus, faire porter sa voix dans le vaste espace.
- Tu as bien changé en une semaine. Tu as pris l'assurance qu'il te manquait, et on sent que tu as lu ce qu'il y avait à lire sur le Royaume de Cartel. Je suis fière de ce que tu es devenue et cela sera un honneur de combattre à ton côté, si ce moment doit arriver. De notre côté, comme tu peux le voir, Danse-Mort avait raison et notre petite chasseuse a reçu ses lames de Shield Maiden.
Aaditya hocha la tête. Il est visible qu'elle avait beaucoup anticipé cette réunion et que c'était seulement maintenant qu'elle notait les détails comme l'attirail de l'ancienne villageoise.
- Félicitation je suppose. C'est à toi, plus qu'à toutes les autres auxquelles j'ai parlé cette semaine, que j'aurais dû poser la question. Beaucoup d'entre nous ont connu leur lot de combats et les morts qui vont avec. Alors nous ne craignons pas vraiment ce qu'il adviendra si nous entrerons en guerre. Mais toi, tu reçois à peine tes lames que notre ordre est dissous. Tu ne préférerais pas retrouver ta vie d'avant ?
La réponse de Æsa ne se fit pas attendre. Elle y avait déjà répondu, pour elle-même, le premier jour de son entraînement, lorsque le poids de ces armes lui avait prendre pleinement conscience de son futur si court.
- Ma vie d'avant repose dans les bois autour de ces champs et sur le cairn que nous avons érigé dans le village. Les Shield Maiden ont perdu le peuple qu'elles désiraient protéger. Moi, j'ai perdu ma famille : mes parents, mes frères, mes sœurs, mes neveux et mes nièces. Certains étaient de vrais artistes dont le talent servait principalement à célébrer la vie, dans toutes ses facettes. Et on les a tout simplement exécutés, au prétexte qu'ils étaient différents, qu'ils étaient simplement des Frimarques. La vengeance qui coule dans tes veines, qui hurle dans le cœur de beaucoup des femmes qui sont ici, je la ressens au centuple. Nulle ici n'est plus décidée que moi à faire couler le sang de ceux du sud, même si ma tête doit, pour cela, finir au bout d'une pique. Je n'ai ni le courage, ni l'envie, de me chercher une nouvelle communauté, de devoir tout réapprendre de mon environnement, de devoir trouver les nouvelles sentes de chasse, les nouveaux lieux de rencontre du gibier. Si je n'avais pas choisi la voie de l'épée, j'aurais tout de même porté le poids du jour funeste de notre rencontre pour le restant de ma vie. Alors non, je n'ai pas de regret, loin de là. Cela signifie juste que j'ai peu de temps pour apprendre ce que je dois apprendre.
- Et tu apprends vite. Tu seras prête, crois-moi. Tu n'as jamais été, je pense, une chasseuse. Tu es avant tout une guerrière née. Tu as besoin d'expérience et de pratique mais ce qui faisait de toi une bonne chasseuse était juste des éléments d'un ensemble plus grand. Si le destin en avait voulu autrement, si cette attaque n'avait jamais eu lieu, je reste persuadé que tu aurais tout de même fini par devenir l'une des nôtres. Tout comme je ressens la même fierté pour toi que celle que j'ai pour Aaditya. Vos épreuves ont été totalement différentes, et vous êtes toutes les deux encore loin de trouver le repos, mais vous évoluez dans le bon sens et avec maturité.
Le silence retomba entre les trois, contrairement à ce qui se passait autour d'elles. Les conversations se multipliaient et les guerrières allaient d'un groupe à un autre, en fonction de leurs affinités et de leurs positions peut-être. Il fallut longtemps pour qu'enfin le silence revienne peu à peu. Presque trois heures. Les feux, un peu à l'écart, produisait une étrange luminosité sur cette assemblée unique en son genre. Aaditya se leva à nouveau.
- Mes sœurs, le silence est revenu, dois-je en déduire que nous avons toutes un avis tranché sur la question ?
Il y eut une vague de murmures approbateurs puis le silence s'installa de nouveau. Toutes étaient conscientes de l'importance de ce qui allait suivre et la jeune Shield Maiden, plus que toutes les autres, ressentait cette pression sur ses épaules. La décision serait collective mais si elle ne posait pas la question, jamais elles n'entreraient en guerre. Elle laissa doucement son souffle s'échapper avant de se lancer.
- Alors ne tournons pas autour du pot. Shield Maiden, que celles qui désirent partir vers le Sud pour y faire la guerre lève leur épée droite vers le ciel.
La jeune femme sortit sa propre lame et la leva d'une main vers le ciel. Dans ce murmure si particulier, une forêt d'acier et d'argent jaillit des fourreaux et s'éleva vers le ciel étoilé, les flammes des feux se reflétant d'une manière particulière et donnant un cachet encore plus irréel à l'ensemble. Par acquit de conscience, la guerrière compta les lames mais elle savait au plus profond d'elle que la décision était prise. Il y avait bien assez de fils aiguisés pour faire couler le sang des hommes du sud. Et en effet, cent soixante-douze lames pulsaient doucement dans la nuit, aux rythmes des flammes des grands feux qui les entouraient.

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Shield Maiden
FantasyIl existe au nord des terres déchiquetées, des milliers et millions d'îles et d'îlots battus par les vents et couverts de glace pendant la majeure partie de l'année. Des terres qui sont si inhospitalières que les gens qui vivent là n'ont pas même le...