1] Hésitation

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Antigone est debout, dans le froid hivernal qui mord ses mollets simplement couverts de bas noirs; les yeux fixés vers le trottoir d'en face, sur la grande porte en bois rouge discrètement dissimulée entre deux immeubles dans une ruelle parisienne banale. Le genre de porte auquel on ne prête pas la moindre attention lorsqu'on ne sait pas ce qui se cache derrière. Mais elle, elle sait, et elle redoute amèrement de s'engouffrer à l'intérieur sachant plus ou moins ce qui l'y attend.

Elle est emmitouflée dans son manteau et attend. Elle essaye sans doute de retarder ce moment au maximum même si l'autre partie d'elle même frétille d'impatience de découvrir ce monde secret.

La nuit est tombée depuis longtemps déjà, il doit être dans les environs de vingt-trois heures, il n'y a pas de lampadaire et donc seule la lumière des quelques fenêtres avoisinantes ainsi que de la Lune lui permet de voir ce qui l'entoure.

Soudain un couple arrive sur le trottoir d'en face et s'arrête devant la porte avant de sonner et d'attendre que quelqu'un leur ouvre.
Elle les observe discrètement de là où elle est, le visage dissimulé sous la bordure en fausse fourrure de sa capuche.
Il s'agit d'une homme et d'une femme tous deux âgés d'une quarantaine d'années. Malgré leurs gros manteaux elle voit aisément que l'homme est en costard et la femme vêtue d'une robe rouge classe et extrêmement sexy accompagnée de bas de la même couleurs et de talons aiguilles si haut qu'Antigone en a le tournis. Ils sont beaux, chic et de toute évidence savent à quoi s'attendre en entrant vu la façon dont les traits de leurs visages sont détendus et leurs petits sourires qu'ils s'échangent sont excités.
Si elle les avaient croisés dans d'autres circonstances elle n'aurait jamais pensé qu'un couple comme ça pouvait s'adonner à ce genre de pratiques et se rendre dans ce genre de lieu... Mais d'un autre côté, qui croirait qu'une jeune femme aussi innocente et studieuse qu'elle a en réalité l'esprit omnibulé par des fantasmes si étranges que même elle ne réussit pas à les comprendre...

Finalement la porte finit par s'ouvrir sur un homme également en costard devant avoir la cinquantaine. En les voyant son visage s'illumine et il leur sert la main (de toute évidence ils se connaissent bien) avant de les laisser entrer sans la moindre hésitation et de refermer derrière eux.

Vu comme ça, ça n'a pas l'air si terrible...
Antigone attend ça depuis si longtemps. Mais la peur, l'appréhension, le stresse et l'angoisse l'empêchaient de sauter le pas. Mais ce soir elle y est. Enfin. Et il est trop tard pour se dégonfler... pas maintenant. Au pire que risque t'elle si ce n'est de se ridiculiser ou de se rendre tout simplement compte que finalement ce n'est pas ce qu'elle croyait?...

Alors, finalement, elle prend une grande inspiration et avance d'un pas décidé vers son but. Elle traverse la minuscule route de pavés et monte le trottoir avant de se retrouver bien plus vite qu'elle n'aurait cru nez à nez avec cette porte en bois vernis.

Une unique petite plaque discrète située sur le mur indique le nom du lieu «Le Rouge et le Noir ».
Antigone n'avait put s'empêcher de sourire lorsqu'elle avait découvert quelques mois plus tôt sur Internet le nom donné à ce club sachant qu'elle était comme par hasard en train d'étudier le roman de Stendhal dans son université durant cette même période.
« Si ça ce n'est pas un signe » avait-elle pensé.

Une porte discrète dans une ruelle discrète avec une plaque discrète... elle est soulagée de constater que comme il l'était précisé sur le site: « La discrétion est pour nous d'une importance primordiale. » Car la dernière chose que désire Antigone c'est bien de se faire repérer par des connaissances ou de se retrouver sur elle ne sait qu'elle site internet malsain.

Elle lève son index et enfonce deux secondes la sonnette avant de la relâcher. Elle ne peut s'empêcher de se balancer machinalement sur l'une de ses jambes puis l'autre à cause du stresse qui ne fait que s'amplifier.

Il est encore temps de partir en courant. Il est encore temps de retourner chez elle et de ne plus jamais venir se présenter dans ce genre de lieux. Il est encore temps d'être normale. Il est encore temps de se mettre avec un compagnon normal, d'avoir des relations sexuelles normales, de finir ses études normales, de trouver un emploie normal, de faire des enfants normaux et de finir sa vie dans une maison de retraite normale avant d'aller pourrir dans un cercueil normal dans un cimetière normal.

Seulement voilà... Antigone n'est pas normale, elle le sait. Et maintenant, elle veut découvrir qui elle est réellement.

Et soudain... la porte s'ouvre.

Antigone Où les histoires vivent. Découvrez maintenant