Antigone

7] Borgia

-Tu es véritablement novice ou as-tu déjà un peu pratiqué en privé?

Ce tutoiement soudain surprend Antigone mais la met d'une certaine manière légèrement plus à l'aise:

-Non... je n'ai jamais... « pratiqué »...

Ces mots sonnent étrangement dans sa bouche.
Il plisse les yeux doucement:

-Alors pourquoi es-tu aussi sûre que c'est ce que tu veux?
-Je n'en étais pas sure... Je veux dire, je m'en doutais mais je me disais aussi que ce n'était peut être que des fantasmes et rien d'autre. La sexualité normale ne m'a jamais attirée, au contraire de... ça. Et je ne sais pas pourquoi...
-Qu'entends-tu par « sexualité normale »?
-Et bien... ce que font la plus part des gens j'imagine.

Un petit sourire apparaît au coin de ses lèvres:

-Crois moi, s'il y a bien une chose que j'ai appris c'est que le sexe n'a rien de normal et que les gens ont tous des envies et des désirs plus uniques, particuliers et précis les uns que les autres. La différence est juste que certains les réalisent et d'autre non. Nous deux on fait parti de la première catégorie, et c'est ce qui s'appelle être honnête en vers soit même et surtout ne pas avoir honte de qui on est, parce que quoi qu'il arrive, on ne changera pas notre nature profonde.

C'est étrange, mais ces simples mots qui peuvent pourtant paraître évidents aux yeux de certains, rassurent profondément Antigone qui se sent soudain moins bizarre qu'elle ne pensait l'être...

-Quel âge as-tu?
-Vingt-ans, et toi?
-Trente-quatre.

Même si cela peut en repousser certains. La différence d'âge n'a jamais été quelque chose de repoussant pour Antigone, au contraire. Elle a toujours préféré la maturité d'un homme plus âgé que les enfantillages des garçons de son âge. Et puis quatorze ans... ce n'est pas tant que ça en y réfléchissant bien.

-Te considères-tu comme quelqu'un de stable psychologiquement?

Cette question était la dernière à laquelle aurait pu s'attendre la jeune femme. Elle manque de s'étouffer avec sa gorgée de thé, tousse et lorsqu'elle respire de nouveau normalement elle fronce un sourcil et répond sur la défensive:

-Pardon?!

L'homme se penche en avant de manière rassurante:

-Il faut que tu saches que le BDSM est un milieu qui peut parfois attirer certaines personnes instables où tout simplement inconsciente. Tu es novice, il faut que tu saches précisément où tu t'embarques et moi il faut que je sache qui tu es. Les abus sont rares mais il peut y en avoir. Tu dois savoir discerner le bien du mal, comprendre qu'être soumise ne veut pas dire tout accepter même si tu n'en as pas envie.

Antigone a l'impression soudaine qu'il lui parle comme si elle était complètement conne. Oui pour certaines personnes cette frontière est dangereuse mais elle elle sait ce qu'elle fait. Certaines femmes et certains hommes se font violer et ne savent même pas qu'il s'agit d'un viol, et oui partout comme ailleurs il doit y avoir ce genre de situation dans le milieu du BDSM, mais elle elle sait exactement où s'arrête les droits de l'autre et où commence les siens. Son corps lui appartient, et il lui appartient par conséquent également de vouloir le « donner » à qui elle désire.

Mais elle comprend également que lui qui ne la connaît pas doit être sûre qu'elle soit informée et prête. Elle l'est.

-Je sais. Je sais tout ça. C'est ce qui m'a sous doute en parti attirée. Parce que dans cette situation « j'appartiendrais » à quelqu'un mais en réalité je garderais les pouvoirs. Si je veux arrêter, ça s'arrête.
-Exactement...
-Mais je comprends que tu veuilles me connaître et être sûre que je sois prête, stable et informée. Mais moi aussi je dois savoir si tu n'es pas un sociopathe extrêmement bon manipulateur.

Il sourit, elle lui plaît de plus en plus il ne peut le cacher.

-Je n'en suis pas un. Mais tu as raison: la confiance est la chose la plus importante dans ce genre de relation. Tu comprends donc que je te pose toutes ces questions. Mais tu peux également me demander certaines choses.
-Je ne connais toujours pas ton prénom...

Il plisse le nez et parle presque pour lui même:

-En effet... particulièrement têtue...
-Alors?
-Je m'appelle Césaré.

Ce prénom lui parle. Pas étonnant pour une étudiante en littérature avec option Histoire.

-Comme... Cesare Borgia?

Il hoche la tête, agréablement surpris qu'elle connaisse:

-En effet. Avec les accents ajoutés à l'écrit pour obtenir l'identique prononciation qu'à l'italienne.
-Tu n'es pas le seul à avoir de la culture... dit Antigone avec un léger sourire malicieux sur les lèvres, qu'elle cache aussitôt avec sa tasse de thé qu'elle porte à sa bouche.
-Oui... je vois ça...

Elle se souvient alors de ce qu'il lui avait dit la veille par message: « Guide d'un père aveugle et plus tard martyre pour son frère... La famille vous tient-elle tant à cœur Antigone? », et décide alors de jouer sur le même terrain.
Car après tout... tout ceci n'est qu'un jeu non?

-Meurtrier de son propre frère et amant de sa propre sœur... La famille te répugne-t-elle tant à ce point Césaré?

Ce dernier reste bouche bée, sans pour autant le montrer.
Antigone fait référence à l'histoire de ce fils Borgia (grande famille italienne qui voit son apogée au quinzième siècle) qui a été accusé, même si cela n'a jamais été éprouvé de l'assassinat de son frère Giovanni Borgia. Des rumeurs d'incestes pesaient également sur lui et sa sœur, Lucrèce Borgia, avec qui il aurait entretenu une relation.

Pendragon, ou plutôt, Césaré désormais, finit par entrouvrir de nouveau les lèvres après un instant perdu dans ses pensées:

-« La famille »... Penses-tu que nos prénoms influent sur notre existence d'une manière ou d'une autre?...

Il dit ça si sérieusement et si intensément que la jeune femme perd aussitôt toute trace de sourire. Elle repose sa tasse, de raclé la gorge et finit par répondre:

-Je ne sais pas. Mais Césaré et Antigone sont morts tous les deux jeunes...
-Alors dans le doute, s'il ne nous reste que si peu de temps à vivre, je pense que nous devrions profiter au maximum de ces derniers instants...