100] Hypnotique

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-Pourquoi « Antigone »?

La jeune femme qui était perdue dans ses pensées en regardant le paysage noir défiler par la vitre est soudain tirée vers la réalité. Elle ne comprend pas la question de Césaré et tourne son visage vers lui.

-P... pardon?
-Pourquoi «Antigone »? Ton prénom. Pourquoi tes parents ont choisi de t'appeler comme ça? Si comme tu le dis nos prénoms ont un sens, alors qu'elle est la raison pour que tes parents te l'aient donné?

Elle ne s'attendait pas à une telle question. Elle se met à regarder devant elle par le pare-brise et hausse les épaules.

-Je n'en sais rien.
-Tu as bien une petite idée. Tu ne leur a jamais demandé?
-Si mais ils sont toujours restés assez vague, à croire qu'ils ne savent pas eux même.
-C'est peut être un esprit qui s'est penché sur ton berceau et leur a dit de t'appeler comme ça.

Antigone sourit:

-Oui... peut être.
-Bon allez je t'écoute... Dis moi.

Elle pousse un soupire et lève les yeux au ciel, amusée de voir que la réponse l'intéresse à ce point.

-Ma mère s'appelle Cali.
« Cali » est la divinité indienne de la destruction. C'est la sultane des enfers indiens. Elle aimait se nourrir de chair humaine, alors pour la satisfaire le peuple n'hésitait pas à réaliser des sacrifices humains. Elle était considérée comme une sorcière, une déesse enchanteresse satanique...
-J'adore déjà ta mère!

Antigone pousse un petit rire, mais Césaré voit bien que ses yeux sont tristes.

-Qui y a t'il?
-J'ai une sœur. Elle a quatre ans de plus que moi. Elle s'appelle Ange.
-« Ange »!?... Ça dénote dis-moi...
-Oui. Mais il faut dire qu'elle porte particulièrement bien son prénom. Si ce sont bien les esprits, alors ils ont eu raison. Elle est parfaite. À tout point de vue. C'est un ange...

Elle le dit sincèrement, mais elle ne cache pas la rancoeur particulière qui perce dans sa voix.

-Tu es proche de ta sœur?
-Je l'étais. Quand nous étions petites. Mais elle a coupé les ponts avec nous depuis cinq ans environ. Je n'ai aucune nouvelle d'elle. Je ne sais même pas si elle est en France ou ailleurs.
-Pourquoi?
-Je n'en sais rien. Elle voulait s'éloigner de sa famille c'est tout. Elle a ses raisons, peu importe. Et ma mère ne l'a pas retenue, loin de là même. Je ne sais pas grand chose sur tout ça, mes parents ne veulent pas m'en parler.
-Je suis désolé...

Antigone se reprend aussitôt, comprenant qu'elle devient beaucoup trop nostalgique:

-Ne le sois pas. Vraiment ce n'est pas grave. Tu es bien placé pour savoir que les familles sont toutes... complexes. A leur manière.

Il hoche doucement la tête, en signe d'approbation et s'engage sur le périphérique afin de rejoindre par la suite l'autoroute, pour quitter Paris, partir loin, en suivant l'horizon.

-Et ta mère? Comment est-elle? Avec un prénom pareil elle doit être sanguinaire...
-Pas vraiment non. Ma mère a peur de tout. Tout le temps. Elle est terrorisée. Pas pour elle, mais pour moi. Je ne sais pas pourquoi, elle n'a jamais été comme ça avec Ange, aussi loin que je me souvienne. Mais elle a toujours été terrorisée à ma place, pour tout et n'importe quoi, comme si elle avait peur qu'il m'arrive quelque chose à chaque seconde... Je n'ai pas mis longtemps à partir de chez mes parents, parce que ça devenait insoutenable, étouffant. Elle essaye de me joindre en permanence, je la rassure le plus que je peux, mais je me dis que je dois aussi faire ma vie, en me détachant de ses inquiétudes, sinon nous n'arriverons à rien, l'une comme l'autre.
-Tu as sûrement raison. Tu dois vivre ta vie, t'épanouir.

Antigone pose doucement son regard vers lui. Elle avale doucement sa salive, puis dit d'une voix presque murmurée:

-Tu sais Césaré... avant que je ne te rencontre mon existence était... futile. J'étais malheureuse. Je ne m'en rendais pas compte, mais maintenant je comprends. Je cherchais en vain quelque chose, un but, une raison à tout ça. Et maintenant que je t'ai, je sais que tu es ce que j'ai toujours cherché. Je t'aime. Tu crois le savoir mais je ne suis pas simplement amoureuse de toi. Je donnerais ma vie pour toi. Je serais prête à tout pour te garder éternellement au près de moi. Parce que sans toi Césaré, je ne pourrais plus vivre. Je ne supporterais pas de redevenir le néant que j'étais. Je n'y survivrai pas. Tu comprends?

Antigone sait parfaitement que ses paroles peuvent paraître idylliques. Elle passe pour une simple jeune fille amoureuse qui croit elle même en ce qu'elle raconte. Que cet amour de jeunesse est un passage, qu'elle mûrira et qu'elle réalisera plus tard que sa vie ne tournait en réalité pas autour de cet homme...
Seulement voilà, Antigone n'en rajoute pas. En réalité, elle ne comprend même pas elle même la portée de ce qu'elle ressent, parce que c'est trop puissant pour un esprit humain. C'est trop irréaliste. Elle essaye de mettre des mots dessus alors que c'est impossible.
« Amour » est ce qui se rapproche le plus de ce sentiment, mais ce n'est qu'une infime poussière de la réalité.

Césaré serre le volant entre ses mains, le pied sur l'accélérateur.
Il tourne lentement son visage vers elle pour la regarder prudemment. Il remarque alors qu'elle a les larmes aux yeux. Elle ne sait elle même pas pourquoi. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle ne comprend pas pourquoi une pareille vague d'émotions est en train de la submerger.

-Antigone...
-Césaré...

Il est hypnotisé par les yeux de la jeune femme embués de larmes. Il aimerait la comprendre. Il l'aime de tout son être. Il ferait tout pour elle, comme elle ferait tout pour lui.
Il ne se lache pas des yeux. Parce qu'il n'y a plus rien autour, à part eux. A part leur raison d'être sur terre.

-Antigone... dis moi que tu es heureuse. Ici. Maintenant. Avec moi...
-Je suis heureuse Césaré. Tu es le seul à avoir réussi à réparer mes rouages. Tu es le seul qui puisse me faire vivre. Tu es le seul... à jamais...
-À jamais.
-Pour que cette nuit ne finisse jamais...

Ils ne sont plus humains. Ce sont des esprits. Des âmes. Unies l'une à l'autre.

Les gouttes salées se mettent à perler sur les joues humides de la jeune femme. Et Césaré les regarde glisser lentement.

Il est tellement hypnotisé qu'il ne voit pas à l'horizon que le soleil est en train de se lever, que la nuit sera bientôt achevée.
Il est tellement hypnotisé qu'il ne voit pas le camion ralentir devant lui.
Il est tellement hypnotisé qu'il ne sent pas la voiture s'encastrer à l'arrière du poids-lourd.
Il est tellement hypnotisé qu'il ne réalise pas que son corps se fait écraser par la vitesse.

Césaré et Antigone meurent sur le coup, sans avoir le temps de comprendre, sans avoir le temps de souffrir.
Leurs regards toujours plongés l'un dans l'autre, pour l'éternité.
Une dernière larme finit de couler le long de la joue d'Antigone, et avec elle s'envole l'âme de la jeune femme, qui vient doucement prendre par la main celle de Césaré. Et ensemble se mettent à valser dans les airs, unies à jamais, à faire l'amour pour l'éternité...
Pour que cette nuit ne finisse jamais.

« Césaré et Antigone sont tous les deux morts jeunes... Alors dans le doute, s'il ne nous reste que si peu de temps à vivre, je pense que nous devrions profiter au maximum de ces derniers instants... »












~~~ F I N ~~~

Antigone Où les histoires vivent. Découvrez maintenant