Antigone

5] Insomnie

Antigone ne réussit pas à fermer l'œil de tout le reste de la nuit. Elle tourne encore et toujours dans son lit à essayer de trouver le sommeil sans succès.

Elle s'est rapidement éclipsée de La Grande Salle après avoir parlé avec cet inconnu aux yeux si noirs au bar.
Elle a terminé d'une traite la coupe de champagne sans la quelle elle n'aurait pas eu l'énergie mentale pour se lever de se tabouret où son corps y était tétanisé, à attraper pour elle ne sait qu'elle raison la carte qu'il lui avait laissé et s'est faufilé jusqu'à vestiaire pour récupérer son manteau et son sac avant de partir pour du bon du club.
Elle a récupéré sa voiture garée quelques rues plus loin et est rentrée chez elle sans se faire prier.

Elle pensait que partir lui ferait peut être oublier ce dont elle a été témoins tout au long de sa courte soirée passé là-bas, mais au contraire ses souvenirs ne font que s'initier d'autant plus devant ses rétines dès qu'elle ferme les paupières.

Si elle veut tant oublier c'est parce qu'à son grand désarois ce qu'elle a vu et ressenti dans Le Rouge et Le Noir lui a plu. Vraiment plu. C'était différent de tout ce qu'elle avait déjà vécu, vu où même imaginé.
C'était effrayant certes, mais si enivrant...

Et cet inconnu... cette lueurs si particulièrement dans ses yeux et dans son sourire; sans parler de son sex-appeal naturel.
Quelque chose émanait de cet homme, quelque chose qu'elle ne saurait décrire mais qui, elle le sait bien, doit être aussi dangereux qu'hypnotisant.
Ce genre de personnes qui ont l'effet du Soleil pour Icar. On se rapproche, si près, trop près, jusqu'à ce que nos ailes fondent et qu'il soit trop tard pour réaliser...
Mais qu'est ce qu'une vie sans risque?
Antigone a prit des risques en allant là-bas, le regrette-t-elle? Pas le moins du monde.

Peu de temps avant l'aube, la jeune femme ne tient plus. Elle se redresse dans son lit, allume sa lampe de chevet et attrape son portable ainsi que la carte comportant le numéro de téléphone de l'homme qu'elle tape sur son écran.

Mais que pourrait-elle écrire? Dire? Se souvient-elle seulement d'elle? À combien de femmes donne t'il ses coordonnées et offre le champagne?

Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. Si il comprend qui elle est alors Antigone est prête à, comme il l'avait proposé, se revoir pour « poursuivre leur conversation ». Dans le cas contraire alors tant pis, elle n'aura rien manqué.

-« Je crois que je vous dois toujours une coupe de champagne... »

Elle hésite un instant mais se décide et appuie sur envoyer.
Antigone fait parti de ce genre de personnes à être timide dans la vraie vie mais extrêmement sure d'elle derrière un écran... Parce que franchement, que pourrait-il lui arriver au chaud dans son lit?

Elle inspire et repose son téléphone sur sa table de chevet. Vu l'heure qu'il est elle n'a pas prête de recevoir une réponse, du moins si elle en reçoit une.
Peut être que de s'être soulagée de ce poids lui permettra-t-il de dormir un peu...

Elle s'apprête à éteindre la lumière mais son portable vibre une fois contre le bois du meuble.
Étonnée elle regarde l'écran et lit:

-«En effet oui... Mais je ne connais toujours pas votre prénom. Une coupe de champagne en échange d'un nom, connaissez-vous marché plus avantageux?»

Antigone est bouche bée. Quel genre de personne à la capacité d'écrire aussi vite une réponse? A croire qu'il s'était préparé à ce qu'elle lui envoie ça.
Et fait est de constater qu'en effet il se souvient d'elle...

-« Antigone. Et vous? »

Comme la première fois il répond dans la seconde:

-« Guide d'un père aveugle et plus tard martyre pour son frère... La famille vous tient-elle tant à cœur Antigone? »

Il fait référence à l'origine de son prénom provenant de la mythologie, Antigone étant la fille d'Oedipe et Jocaste, ce personnage est devenu célèbre grâce à deux pièces de Sophocle.
« Oedipe à Colone » où elle apparaît comme le guide de son père devenu aveugle après s'être crevé lui même les yeux. Et « Antigone » où elle s'oppose à son oncle qui refuse pour des raisons politiques d'offrir une sépulture à son frère. Elle désobéit à ses ordres et est pour cela condamnée à mort en étant emmurée vivante.

Elle a donc à faire à un homme beau ET cultivé, ce qui s'avère souvent rare... Mais cela sont les plus dangereux. Les plus attirants aussi...

-« Je n'ai pas le centième du courage ni de l'honneur de cette femme...
Vous n'avez pas répondu à la précédente question. »
-« Vous connaissez vous suffisamment pour vous sous-estimer ainsi? Vous connaissez vous tout court?
La réponse à votre question est sur la carte que je vous ai donné. »

Elle ignore ces questions. Bien sûr qu'elle se connaît! Du moins... elle le croit... un peu... Quoi qu'il en soit, lui n'a pas à savoir ce qui se passe dans sa tête.

-« Maître Pendragon ce n'est pas un prénom... »
-« Quelque soit la suite des événements entre nous croyez moi, mon prénom ne vous servira pas. Si nous nous arrêtons là alors que vous le sachiez ou non ne changera rien et si nous allons plus loin vous ne serez pas autorisée à m'appeler autrement que ce que vous savez déjà. »

« Si nous allons plus loin... »
Antigone ne peut s'empêcher d'être irrésistiblement excitée à cette idée. Qu'entend-t-il précisément par « plus loin »? Elle s'en doute largement mais les possibilités sont vastes dans ce milieu et les personnes qui en font parti aussi...

-« J'aimerais néanmoins le connaître. »
-« Êtes vous toujours aussi têtue? »
-« Cela m'arrive... »
-« Je désapprouve ce comportement. »

Antigone ne sait pas quoi ajouter à ça. Elle manque d'inspiration et a rapidement compris que quoi qu'elle dise il aura sans doute une longueur d'avance.
Alors elle attend simplement en espérant secrètement qu'il relance la conversation au lieu de la laisser s'éteindre...

Mais rien. Pas de nouveau message.

Du moins c'est ce que pense Antigone durant ce long moment d'attente.
Mais, comme un miracle, le téléphone vibre de nouveau au creux de ses mains et apparaît sur l'écran:

-« Retrouvons nous tout à l'heure au Café Royal. Il se situe dans le quartier du club. Vous trouverez l'adresse sur internet. Rendez-vous à dix-huit heures précise. Ne soyez pas en retard. Le non respect de l'art de la ponctualité est quelque chose qui m'insuporte tout particulièrement... En attendant dormez, vous en aurez besoin. »