3] Estampe

38.1K 1.8K 135
                                    



Lorsqu'Antigone découvre La Grande Salle son souffle se coupe malgré elle. Elle reste figée sur place et laisse ses yeux aller et venir dans cette pièce immense aux mille-et-un recoins discrets.

Les murs sont recouverts de papier peint rouge avec des motifs noirs étranges. Des lustres majestueux règnent au plafond et émettent une légère lumière tamisée. De nombreux canapés en cuir sombre sont disposés un peu partout et des personnes plus ou moins vêtues y sont assises à discuter, souvent un verre à la main.
Les couleurs maîtresses sont clairement le rouge et le noir que se soit dans les tenues des personnes présentent ou par l'environnement, ce qui donne tout son sens au nom de ce club.

Les vêtements -si l'on peut appeler ça des vêtements- sont particulièrement osés, voir absents et Antigone a soudainement le sentiment d'être en combinaison de ski en août sur la plage. Elle qui a choisi sa robe en essayant au maximum de se fondre dans la masse réalise que c'est sans doute la plus couverte de cet endroit.

-Sur votre droite se trouve le bar et les pièces contiguës que vous trouverez tout au long de votre parcours sont des donjons plus ou moins précis pour certains domaines. Vous pouvez les visiter à votre guise, les entrées sont totalement libres, à l'exception de l'étage supérieur qui renferme des donjons privés et réservés.

Des donjons.
Encore une fois Antigone est heureuse d'avoir fait préalablement tant de recherches sur Internet et est soulagée de ne pas se trouver complètement perdue en entendant ce vocabulaire si particulier de ce milieu. Un Donjon étant une salle spécialement réservée à la pratique d'actes BDSM, qui renferme le plus souvent des meubles et des objets adéquats.

-Je vous laisse ici, mais si vous avez la moindre question vous pouvez vous adresser à notre personnel facilement reconnaissable par leur tenues identiques. N'oubliez pas que vous êtes ici chez vous.

Il lui lance un regard entendu, professionnel et rassurant et sur ces mots tourne les talons, referme la gigantesque porte et laisse Antigone seule, comme une gazelle dans la fausse aux lions.

La jeune femme reste un instant debout sans bouger ou quelques regards amusés sont posés sur elle jusqu'à ce qu'elle se décide enfin à avancer d'un pas hésitant à travers La Grande Salle pour la regarder sous tous les angles. Des yeux se posent sur elle à son passage.
« Dans Le Rouge et Le Noir, les novices sont très facilement repérables et repérés. » disaient des commentaires sur la page de discussion du site; et en effet ils avaient raison. Antigone se sent épiée et elle ne peut s'empêcher d'être d'autant plus mal à l'aise même s'il une partie d'elle se doutait bien que cela arriverait.
« La plus grande majorité des participants sont des hommes et des couples. Les femmes seules se font bien plus rares et sont par conséquent particulièrement convoitées. »

Elle aurait aimé venir accompagnée d'une amie, mais comment aurait-elle pu aborder ce sujet et ses penchants étranges avec la moindre de ses connaissances? Jamais elle n'aurait réussi... alors là voilà seule.

Antigone se décide alors à relever le menton et à regarder un point fixe devant elle sans se soucier de ceux qui l'observent un peu trop à son goût (après tout cela fait parti du jeu non?).

Elle se stoppe face à un immense tableau accroché sur l'un des murs dans le style Estampe Japonaise, représentant une femme nue suspendue la tête en bas par des cordes et des noeuds et un homme finissant d'attacher ses liens, vêtu d'un kimono décoré d'oiseaux majestueux.
La beauté du trait et de la couleur hypnotise Antigone presque autant que le dessin en lui même.

-Vous êtes une adepte du Shibari?

Elle sursaute en entendant cette voix masculine dans son dos et se retourne brusquement pour se retrouver nez à nez avec un homme torse nu et pantalon en simili cuir noir, sans doute dans les environs de quarante-cinq ans, si ce n'est plus.

Son cerveau essaye de connecter pour retrouver la signification de ce mot « Shibari » et enfin elle se souvient. Il s'agit, comme ce tableau le montre, d'un art ancestral japonais consistant à attacher et suspendre des personnes à l'aide de cordes. C'est une technique complexe qui se veut artistique et spirituel. Du moins c'est ce que, encore une fois, Internet lui a expliqué.

-Je... euh... pas vraiment...

En fait elle doit bien avouer que se serait sans doute une expérience particulièrement excitante, mais même si elle se trouve dans un club centré sur la sexualité et le BDSM elle n'a pas à se dévaluer à un inconnu.

-Vous avez déjà essayé?
-Et bien... pas précisément... enfin... non... je n'ai pas... « essayé »...
-Et vous aimeriez?

Antigone reste bouche bée. Elle recule d'un pas, en bafouillant et manque de chuter à cause de ses talons aiguilles dont elle n'a pas l'habitude mais l'homme la rattrape vivement par le bras.

-Ne vous inquiétez ce n'était qu'une question. Mais quoi qu'il en soit si l'envie vous prenait n'hésitez pas à me faire signe.

Il lui fait un clin d'œil amusé et sans plus de paroles tourne les talons et se dirige vers un canapé.

« Le respect est primordial. Le BDSM est basé sur ce même respect et qui conque enfreindrait cette règle ne fait pas véritablement partie de cette communauté. »

Le rythme cardiaque de la jeune femme ralenti enfin en le regardant s'éloigner. Cet homme était plus âgé qu'elle mais transpirait la classe et le savoir vivre.
Si ici tout le monde est véritablement comme cet inconnu et non pas comme les connards qu'elle croise quotidiennement dans le métro alors cet endroit est finalement bien moins effrayant que tout ce qu'elle a enduré jusqu'ici en tant que femme...

Antigone Où les histoires vivent. Découvrez maintenant