FUGAZI

Bend It Like Beckham

"You know how hard it is for our children here. Sometimes they misjudge and start behaving like the kids here."

-Mr. Bhamra

Avril 2016

Point de vue Yasmin Yousfi 

J'ai pas dormi de la nuit. Les événements de la vieille n'ont pas arrêté de tourner dans mon esprit. Ils vont me marier. L'idée est tellement abstraite que j'ai encore du mal à le réaliser. Il y a trois jours j'étais chez moi, à réviser pour mon bac blanc de français et maintenant, je suis censée me marier ?

Comme je n'arrivais pas à dormir, je me suis levée tôt pour réviser. Je ne perds pas le nord. Le plus important c'est toujours mon bac de français au mois de juin. J'ai l'intention d'obtenir le maximum de points d'avance. Et puis il y a quelque chose de rassurant, de familier dans l'idée de faire quelque chose d'habituelle.

Malgré ma conversation avec baba, j'ai bien l'intention d'échapper au mariage. C'est d'un ridicule consommé cette histoire. Je suis bien trop jeune pour me marier. Fin de la conversation. Alors que je suis concentrée sur mes fiches de français, mama ouvre la porte de ma chambre pour s'y glisser.

-Mets ton hijab, Karim et son oncle sont là.

Elle referme la porte sans rien dire de plus. Je soupire. Je déteste quand on m'interrompt alors que je travaille. J'enfile mon hijab et me dirige vers le salon. Je les entends discuter. Ma dot. L'évocation de celui-ci m'arrête nette dans mes pas. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je fais brusquement demi-tour et sors de la maison en me glissant par la fenêtre de la cuisine.

Le soleil est chaud, le vent froid.

J'avance dans le quartier sans trop savoir où je me dirige. Je pourrais me tirer. Disparaitre. La pensée n'a pas le temps de s'imprégner dans mon esprit. Pour aller où ? J'ai quinze ans. Même si je parvenais à fuir, à rentrer en France, je ne pourrais jamais supporter de faire honte à baba de cette manière.

La réalité, c'est que ma seule solution, c'est de convaincre baba de mettre fin à cette idée. L'air me fait du bien. Je m'arrête près d'un muret. Pour respirer. La Kabylie est belle. Son sol rocailleux, ses montagnes. Les oliveraies lâchent un parfum presque sucré dans l'air.

J'aime cet endroit. Je m'y sens comme chez moi. Sauf que j'ai l'impression qu'il m'est volé par cette histoire de mariage. D'autant plus que je ne sais pas ce qui va m'arriver. Si je décide d'écouter ma famille et d'épouser Karim, est-ce que nous allons vivre ici ? En ville ? Rentrer en France.

Rentrer en France serait le mieux. Je pourrais poursuivre mes études.

Mais ferme la Yasmin, il est pas question que tu épouses qui que ce soit. J'ai planifié ma vie jusqu'à au moins mes cinquante ans. Bac, fac, école d'avocat. Et ensuite, je me chercherais un mari pas avant. Je ne serais pas cette nana incapable de se débrouiller dans sa vie parce qu'elle est passée de l'autorité de son père à celui de son mari.

La soumission c'est pas pour moi. Tout le monde le sait.

-C'est donc ici que tu te caches.

Je reconnais immédiatement sa voix. C'est un bel homme. Ses yeux marrons sont clairs, son sourire éclatant. Ça devrait être interdit de sourire autant. Pour ne pas changer de la vieille sa présence me met mal à l'aise.