Trois Fois Manon

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"Si tu m'aimais te ferais pas ça ... Pourquoi tu m'aimes pas ? Explique-moi, je veux comprendre."

-Monique Vidal



Point de vue Yasmin Yousfi.

Mon père était un homme. Un vrai, pas un de ses garçons avec leur virilité toxique qui se prennent pour ce qu'ils ne sont pas. Il ne parlait pas beaucoup, il n'en avait pas besoin. En un seul regard, il était capable de faire passé plus de mots qu'en une longue phrase. Et puis même, il avait ce charisme capable d'électriser toute une pièce.

J'aime mon père. Même s'il n'est plus là.

Il me manque. La peine de sa disparition n'est jamais partie, j'ai simplement appris à vivre avec. Si le son de sa voix se fait de plus en plus ténu, je peux encore l'entendre trancher un débat avec l'une de ses phrases sibyllines donc il avait le secret. Il passait beaucoup de temps dans sa tête. Souvent, son regard bleu se perdait par la fenêtre du salon. Dans ces moments-là, il était loin. Sans doute quelque part en Kabylie.

Si baba n'avait pas été malade. Jamais il ne m'aurait marié de force à Karim. Il aurait tenu sa promesse, celle de me laisser faire des études. Je n'en aurais jamais la certitude, mais je suis persuadée qu'il m'a marié dans le but de me protéger. Aussi moderne qu'il ait été, certains principes qui découlent de vieilles traditions sont ancrées presque jusqu'à notre ADN.

Dans son ADN, s'assurer que j'ai un avenir, passait par le fait de me marier. Me faire passer de son autorité à celle d'un autre homme. S'il avait été là, il n'aurait pas eu besoin de me faire passer sous une autre autorité.

Il y a ça et aussi le fait que Mama a dû insister. Mama n'a jamais été moderne. Elle vivait ses usus et coutumes comme on respire de l'air. Une jeune fille à quinze ans, ça doit se marier. Quitter le domicile familial pour rejoindre celui conjugal.

Je ne sais pas si j'aime ma mère.

La bienséance voudrait que je réponde oui à cette question. Mais les choses sont beaucoup plus compliquées. En réalité l'intérêt n'est pas tant de savoir si je l'aime ou pas, mais si j'ai le droit de l'aimer. Est-ce qu'on peu aimer un parent qui n'a rien fait pour nous protéger ?

Baba est partie sans savoir. Mais elle, elle était là. Elle m'a consolé pendant des heures au téléphone alors que je lui expliquais les mauvais traitements que me faisait subir Karim. Elle m'enjoignait avec force à fermer ma gueule et de changer mon comportement.

Oui parce que s'il te tape dessus, c'est que tu l'as mérité. Ton père n'a jamais levé la main sur moi.

Sauf que mon père était un homme. Karim était lâche, faible, c'était un monstre. Celui de la pire des espèces parce que bien réelle. L'espèce humaine.

Alors non, je ne sais pas si j'aime ma mère, je ne sais pas si j'ai le droit de l'aimer. Ce qui est sûr, c'est que la rancœur que j'ai à son égard et que je nourris depuis des années, revient en force quand la porte de la chambre d'hôpital se ferme derrière Lina.

Lina qui a parfaitement entendu, le sheitana glissé dans sa direction quand elle est passée devant elle. Elle mérite mieux que ça, Lina. Tellement mieux.

Sofian tente d'apaiser la tension qui monte en me faisait des sourires. Sourires qui sont presque là pour l'excuser, de l'avoir fait rentrer si près de moi. Depuis qu'il a refait une entrée fracassante dans ma vie, on a évité le sujet avec beaucoup d'adresse.

FUGAZIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant